Les principaux usages du S-métolachlore, un puissant herbicide polluant les eaux souterraines, vont être interdits en France, tandis que l’insecticide phosphine, crucial pour les exportations vers l’Afrique, est pleinement autorisé, selon des décisions publiées jeudi par l’Agence de sécurité sanitaire (Anses).
Depuis la fin mars, l’agence est bousculée au nom de la souveraineté alimentaire par le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau qui lui a enjoint de revoir sa copie ou a cherché à la contourner sur des pesticides, mettant en exergue les risques économiques découlant de ses décisions.
Dans une série de décisions publiées sur son site – qui ne sont assorties d’aucun commentaire du gouvernement – l’Anses a scellé le sort du S-métolachlore, dont le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, réclamait le maintien « faute d’alternative », et pris une nouvelle décision sur l’insecticide PH3 (ou phosphine) qui autorise pleinement son usage en fumigation directe sur les cargaisons de céréales destinées à l’exportation hors Union européenne.
La restriction d’usage de la phosphine, qui devait entrer en vigueur le 25 avril, avait semé la panique chez les exportateurs français, qui redoutaient de ne plus pouvoir exporter leurs blé, orge et autres céréales vers leurs principaux clients en Afrique.
L’Anses a finalement à nouveau autorisé cet insecticide sans restriction, en vertu d’un règlement européen permettant les exportations hors UE si le pays importateur « exige ou accepte » une fumigation par contact directe avec le produit « afin de prévenir l’introduction d’organismes nuisibles sur son territoire », comme le demandait le gouvernent.
Concernant l’herbicide S-métolachlore, l’interdiction concerne la plupart des usages, comme initialement annoncé par l’agence et contre l’avis du ministre de l’Agriculture.
Un délai de grâce permettra toutefois la vente de produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore jusqu’au 20 octobre 2023 et les stocks de ces produits, largement employés sur le maïs, le tournesol et le soja, pourront être utilisés jusqu’au 20 octobre 2024.
– « Comme prévu par la loi –
Fin mars, M. Fesneau avait demandé à l’Anses « une réévaluation de sa décision », qui priverait les agriculteurs français de ce désherbant avant que l’interdiction ne soit généralisée dans l’ensemble de l’Union européenne.
« L’Anses a pris une décision en responsabilité comme prévu par la loi », a salué auprès de l’AFP le député socialiste Dominique Potier, estimant qu’il n’y avait « aucun avenir pour l’agriculture dans une alimentation décorrélée de la santé publique ».
L’Anses avait annoncé le 15 février vouloir interdire les principaux usages du S-métolachlore: après usage dans les champs, cette substance se dégrade en des dérivés chimiques, des « métabolites », qui se retrouvent dans les sols, les eaux de surface et eaux souterraines – et donc potentiellement dans l’eau potable.
Lors de « contrôles des eaux destinées à la consommation humaine, trois métabolites du S-métolachlore ont été fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité » fixées par la législation européenne, avait-elle indiqué, engageant en conséquence une procédure de retrait.
« Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence », avait réagi Marc Fesneau devant les agriculteurs et représentants de la FNSEA réunis en congrès.
La charge avait fait réagir de nombreuses ONG environnementales et des élus, qui y voyaient une atteinte à l’indépendance de l’Anses et rappelaient que le S-métolachlore était considéré comme une « substance cancérigène suspectée » par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) depuis juin dernier.
Sous couvert de l’anonymat, un responsable de l’Anses avait regretté auprès de l’AFP « la violence des attaques, venant du ministre lui-même » et défendu le travail de l’agence, mandatée depuis 2015 pour évaluer les pesticides et autoriser ou non leur mise sur le marché.
Dans le cas du S-métolachore, l’Anses avait été saisie en mai 2021 par le gouvernement pour réexaminer les AMM sur cet herbicide « sans attendre les décisions qui seront prises au niveau européen ».
Constatant une présence importante des métabolites de la substance dans les eaux, l’agence sanitaire avait dans un premier temps réduit les doses d’emploi autorisées. Mais cela n’avait pas suffit, les produits ne respectant toujours pas les valeurs limites définies par la législation européenne. Ce constat a donc finalement conduit l’Anses à publier ses décisions de retrait.
AFP