Alors que le Soudan est plongé dans une guerre fratricide entre l’armée régulière fidèle au général Al-Burhane et Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, le chef des FSR, un puissant groupe paramilitaire, les experts s’interrogent sur le rôle que pourrait jouer la milice privée russe Wagner dans le conflit actuel. Présent depuis 2017 au Soudan, avec qui il a noué un partenariat pour piller les ressources aurifères du pays, le bras armé de Moscou sur le continent africain est réputé proche d’Hemedti.
Moins visible qu’au Mali ou en Centrafrique, le groupe Wagner est pourtant bien implanté au Soudan depuis plusieurs années. Alors qu’une guerre ouverte fait rage entre le général Al-Burhane et Mohamed Hamdan Dagalo, le chef des redoutables Forces de soutien rapide (FSR), beaucoup s’interrogent sur le rôle que pourrait jouer la milice privée russe dans le chaos soudanais.
L’histoire de la présence discrète de Wagner au Soudan remonte à novembre 2017. De plus en plus contesté, le dictateur Omar El-Béchir, dont le pays est fragilisé par un strict embargo économique, se rend alors à Sotchi en Russie pour y rencontrer Vladimir Poutine. En échange du soutien russe, El-Béchir offre un accès privilégié à ses mines d’or et propose de faire du Soudan, la nouvelle tête de pont des ambitions du Kremlin sur le continent.
Dans les semaines qui suivent cette rencontre au sommet, Meroe Gold, une compagnie minière détenue par l’entreprise russe, M invest, liée à Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagner, commence à prospecter chez le troisième producteur mondial d’or. Une ressource dont une large partie est exploitée illégalement par les FSR et le clan Daglo.
« Au Soudan, les hommes de Wagner sont étroitement contrôlés par Hemedti qui les utilise comme gardes de sécurité sur ses mines d’or illégales », expliquait en 2022 à France 24 l’historien Gérard Prunier, spécialiste de l’Afrique de l’Est.
« Wagner a plutôt fait profil bas au Soudan parce que la dépendance du pays vis-à-vis d’une aide sécuritaire était moindre qu’au Mali ou en Centrafrique », détaille Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales de sciences Po (CERI).
De gigantesques volumes d’or d’une valeur de plusieurs milliards de dollars sont ainsi pillés par Moscou et participent à gonfler ses réserves de métal jaune. En juillet dernier, une enquête de CNN a révélé l’existence de 16 vols clandestins au départ de Khartoum et Port -Soudan vers Lattaquié en Syrie où la Russie dispose d’une importante base aérienne.
Selon les données du World Gold Council, les réserves de la Russie sont passées de 450 tonnes d’or en 2007 à 2 301 tonnes d’or fin 2022, une thésaurisation destinée à soutenir l’économie russe face aux sanctions occidentales et à financer la guerre en Ukraine.
Proximité avec Moscou
Mais le partenariat entre le Soudan et le groupe Wagner est loin de s’arrêter à l’exploitation minière. En contrepartie de l’accès aux ressources du pays, Wagner offre un entraînement militaire aux FSR ainsi que son expertise en matière de campagnes de désinformation en ligne.
Selon le New York Times, deux jours après le massacre de juin 2019 perpétré par l’armée et des FSR à Khartoum et qui a fait 128 morts parmi les manifestants pro-démocratie, Meroe Gold, a importé 13 tonnes de boucliers anti-émeutes, ainsi que des casques et matraques. Une cargaison destinée à une entreprise contrôlée par le clan Hemedti qui s’apprête alors à retourner sa veste après avoir joué un rôle central dans la dictature islamiste d’Omar El-Béchir.
En 2022, une enquête du Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un regroupement de journalistes d’investigation, fait également apparaître les liens étroits existants entre Wagner et l’appareil sécuritaire soudanais. Selon cette enquête, M invest reversait plusieurs centaines de milliers de dollars à une entreprise contrôlée par les services de renseignement et de sécurité, l’organe qui chapeaute les FSR, en échange d’un accès aux bases aériennes du pays.
La proximité d’Hemedti avec Moscou devient encore plus évidente après le coup d’État militaire qui a évincé les civils du pouvoir. Le 23 février 2022, à la veille du déclenchement par Vladimir Poutine de « l’opération spéciale » en Ukraine, une délégation soudanaise emmenée par le général Daglo, est reçue à Moscou.
Pendant huit jours, le chef des FSR rencontre de nombreux officiels russes dont le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. À cette occasion, un ancien projet de base navale russe sur la mer Rouge est relancé.
« Il faut toutefois rappeler que cette délégation était aussi composée de personnalités proches de Burhane », tempère Roland Marchal. « Cette proximité existe mais il ne faut pas oublier que les Russes n’ont aucun intérêt à se fixer sur Hemedti ».
Choisir le camp du gagnant
Pour le moment, rien n’indique en effet que la milice russe jouerait un rôle dans les affrontements en cours avec l’armée régulière.
« Aujourd’hui, pas un seul combattant de Wagner n’est au Soudan. Et c’est comme ça depuis deux ans », a affirmé mardi Evgueni Prigojine sur Telegram.
Selon Jeune Afrique, qui s’appuie sur une source proche des services de renseignement français, Prigojine et Hemedti seraient en contact régulier. Ce dernier chercherait même à obtenir un soutien matériel du groupe paramilitaire russe pour prendre l’avantage sur son rival.
Mais selon plusieurs experts, Wagner devrait garder ses distances pour préserver ses intérêts au Soudan. « Wagner devrait adopter une attitude opportuniste dans le conflit actuel », assure auprès de l’AFP Catrina Doxee, du think-tank américain CSIS.
« Les relations sont très cordiales avec Hemedti, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais du point de vue russe, voyant la compétition se durcir entre les deux hommes, il est clair qu’il ne faut pas choisir de camp car il y a beaucoup trop à perdre en jouant la mauvaise carte », confirme Roland Marchal. « Au final, ils choisiront le camp du gagnant ».
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