Le futur du cinéma est-il dans le métavers ?

À l’heure où les regards des entreprises de la tech se détournent du métavers de Mark Zuckerberg, l’industrie cinématographique a-t-elle encore une carte à jouer ?

Du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, depuis ses premiers balbutiements, le cinéma n’a eu de cesse d’évoluer au gré des prouesses technologiques. Il s’est renouvelé à bien des égards pour s’adapter à son audience et à son époque. Alors que les expériences proposées par les salles obscures se veulent de plus en plus immersives, la 4DX propose une plongée sensorielle presque complète, l’industrie s’intéresse désormais à une autre révolution technologique portée par Mark Zuckerberg : le métavers.

Annoncé en grande pompe en octobre 2021, le nouveau vaisseau amiral de Facebook suscite les interrogations. Le créateur du réseau social est persuadé que c’est dans son métavers que se jouera l’Internet du Futur. S’il a depuis quelques jours fait marche arrière sur la question, le cinéma peut-il encore s’en emparer ?

Une nouvelle approche technologique

Qu’elle soit utilisée comme processus de création ou de diffusion, la réalité virtuelle bouleverse largement nos habitudes de divertissement. Sur le secteur du jeu vidéo, très prompt à mettre les évolutions technologiques au cœur de son modèle, elle offre aux joueurs une expérience toujours plus immersive. La sortie récente du PS VR 2 de Sony prouve d’ailleurs que l’intérêt des utilisateurs est là, mais rappelle aussi que cela ne concerne pour l’heure qu’une infime partie des joueurs du monde.

Il faut dire que l’exercice est assez coûteux puisqu’il nécessite d’avoir à la fois une console dernière génération (549 euros) et un casque de réalité virtuelle (599 euros).

L’univers du cinéma est plus frileux à investir dans le domaine. Peu de salles consacrées à la réalité virtuelle sont accessibles en France, elles se comptent sur les doigts d’une seule main. Mais cela ne veut pas dire que l’industrie ne se penche pas sérieusement sur la question, bien au contraire. Plusieurs films du genre ont vu le jour. On peut citer The Limit de Robert Rodriguez avec Michelle Rodriguez et Norman Reedus, qui fait figure de pionnier dans le genre.

Mais l’heure du grand divertissement en VR n’est pas encore arrivée, la technologie s’invite néanmoins déjà dans les coulisses des blockbusters. The Mandalorian a par exemple utilisé la réalité virtuelle dans son processus de création des décors pour son stagecraft (d’immenses écrans qui à la manière des toiles peintes proposent aux cinéastes de modeler leurs arrière-plans au gré de leurs envies).

Les métavers, ces mondes virtuels structurés et ouverts, reposent aussi sur la VR et offrent aux utilisateurs une nouvelle manière de se divertir. En octobre 2022, MK2 annonçait vouloir tirer profit de ce que la technologie avait à offrir en nouant un partenariat avec The Sandbox. La société de production française ambitionne de créer son “land” dans le métavers pour rendre hommage aux nombreux films de sa bibliothèque à travers des manèges et des jeux virtuels.

“Dans une ambiance de fête foraine, les visiteurs pénétreront dans un univers vivant de cinéma” où ils pourront découvrir des références à des métrages emblématiques et accéder “à un carrousel géant qui les propulsera dans un cinéma en plein air perché dans les nuages.”

Le but ici est moins d’offrir de nouvelles productions que de célébrer les chefs d’œuvres existants. L’exploration des métavers pourrait aussi faire naître de nouvelles technologies, qui profiteraient au 7e art sur l’aspect technique et ainsi ouvrir une nouvelle ère pour le grand écran. Les explorations sur les prototypes de gants haptiques constituent par exemple une prouesse technique dont les géants d’Hollywood auraient tout intérêt à s’emparer.

Divertissement communautaire

Mais ce sont surtout ses liens de parenté avec les réseaux sociaux qui font du métavers une piste sérieuse pour l’évolution du cinéma. Quelques années après une pandémie ayant largement impacté les activités du secteur, et laissée quelques stigmates dans les salles obscures, l’aspect communautaire du cinéma est plus que jamais une composante essentielle dans sa singularité. Les films et séries sont à portée de télécommande, les plateformes de streaming ont d’ailleurs connu un essor fulgurant pendant les différents confinements.

Le public a néanmoins appris une chose de cette période d’isolement forcé, le cinéma se savoure autrement à plusieurs. Liesse ou consternation, les émotions sont décuplées face au grand écran. Le 7e art, du moins dans le confort des salles obscures, est un divertissement qui se vit à plusieurs. L’année 2020 a ainsi vu naître des outils inédits comme les pluggin “watch party”, permettant aux utilisateurs de se réunir virtuellement autour d’un film ou d’une série. Disney+ et Prime Video l’ont d’ailleurs introduit dans leurs interfaces pendant le covid pour répondre aux attentes de leurs utilisateurs.

C’est sans doute là que le métavers a une carte à jouer, dans sa capacité à rassembler des spectateurs aux quatre coins du monde tout en leur offrant le sentiment d’assister à un spectacle dans un environnement différent.

Après un rapide tour dans le métavers de Facebook, Horizon Worlds, force est de constater que la proposition de l’entreprise de Mark Zuckerberg sur ce domaine est encore assez limitée. D’ailleurs, ce n’est que via l’interface de son casque, et même pas dans le métavers, qu’il est possible de visionner des métrages.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est assez déconcertant. S’il est appréciable de découvrir Star Wars dans un vaisseau spatial, on est quand même loin de la révolution graphique et technique.

Les interactions proposées se résument à pouvoir mâcher du pop-corn imaginaire ou boire un soda virtuel… ou lancer une tomate si la narration ne vous convient pas. En contrepartie, il faudra composer avec des voisins bavards, que vous pouvez néanmoins mettre en sourdine quand le besoin s’en fait sentir. Mais il faut alors faire une croix sur tout l’intérêt de ce genre de proposition. Que ce soit pour l’hilarité générale ou simplement pour vivre les choses en grand, le cinéma continue d’avoir notre préférence.

L’expérience proposée par la réalité virtuelle, lorsqu’elle s’applique à des productions conventionnelles (en 2D ou en 3D), est ainsi plus à mettre en parallèle avec celle proposée par le petit écran et les plateformes de streaming. La marge de progression des métavers est immense, mais pas impossible. Pour ce faire, il faudra en revanche que les différents acteurs du secteur s’emparent plus largement de cette technologie et de ses outils.

Un eldorado ?

Selon Mark Zuckerberg et son entreprise Meta, 25 % des gens sur Terre devraient être dans le métavers d’ici 2026. Au moment du lancement, en 2021, 75 % des entrepreneurs ambitionnaient d’investir dans la réalité virtuelle et ses ramifications. Ainsi, plusieurs géants du divertissement ont commencé à se pencher sur la question. Des institutions publiques avaient aussi fait un premier pas vers les métavers, à l’instar du CNC qui annonçait l’année dernière la création d’une nouvelle commission destinée à soutenir l’émergence d’œuvres immersives.

Avec une enveloppe de 3,6 millions d’euros par an, Dominique Boutonnat, le président du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée veut s’investir “dans un domaine d’innovation qui synthétise les enjeux créatifs, technologiques et entrepreneuriaux de l’image dans ce nouveau continent numérique.” Il ajoutait dans le communiqué publié à cette occasion : “C’est aussi un véritable enjeu de souveraineté numérique et de rayonnement international dont nous devons pleinement nous saisir.”

Moins d’un an plus tard, le métavers connaît de premiers remous. Alors que l’IA attire tous les regards, Méta commence à rétropédaler. En février dernier, le conglomérat abandonnait son projet de monnaie numérique Diem, pourtant supposée être à l’épicentre de la stratégie de ces mondes numériques. En mars 2023, Zuckerberg annonçait le licenciement de 10 000 personnes ainsi qu’un nouveau cap pour les prochaines années : l’intelligence artificielle. Sans véritablement être un véritable constat d’échec, cette déclaration a quelque peu ébranlé le secteur.

© MidjourneyAI – Journal du Geek

Disney vient de son côté d’annoncer l’abandon de son projet de métavers, alors même que l’entreprise misait gros sur ce volet de sa stratégie. En pleine crise, et alors que les retombées économiques ne devraient pas arriver avant un petit moment, la firme aux grandes oreilles recentre son attention sur la production d’œuvres pour ses licences iconiques. Pourtant, la promesse était belle, devant permettre à Mickey de dominer plus largement le panorama culturel. Avec ses parcs, sa plateforme et sa présence dans les salles obscures, l’arrivée de Disney dans le métavers représentait sans doute une opportunité de promouvoir ses produits, de s’adresser aux fans de la première heure avec des objets virtuels à collectionner et d’étendre son monde au-delà de ses propres frontières. Mais l’intérêt du public étant ailleurs, l’entreprise a préféré couper court à ses digressions.

Le cinéma à la Ready Player One n’est pas pour demain, mais le 7e art continue de s’emparer des prouesses technologiques. L’intelligence artificielle, surtout depuis l’essor des outils comme Chat GPT représente sans aucun doute une piste de réflexion pour l’avenir du grand écran et des productions télévisuelles. Mais la crise économique a de nombreuses conséquences, poussant les firmes à revoir l’ordre de leurs priorités. Le métavers n’en fait visiblement pas partie.

JDG

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