« Au contact de la nature, il se passe quelque chose d’unique. »Dans son dernier livre, Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences, nous invite à découvrir plus exactement de quoi il s’agit. À en explorer les fondements scientifiques. Mais aussi à en vivre l’expérience directe. Tout… naturellement !
À l’heure où il ne semble plus être question autour de nous que d’intelligence artificielle, ce à quoi nous invite Michel Le Van Quyen dans son dernier livre peut sembler aller un peu à contre-courant. Il est chercheur en neurosciences alors, le cerveau, ça le connaît. « Depuis le XVIIIe siècle, nous avons pris l’habitude de nous le représenter comme une machine ou un ordinateur », remarque-t-il. Et cela va encore dans le sens de notre histoire toute récente avec ChatGPT. « Mais à mon sens, c’est une erreur. Notre cerveau ressemble bien plus à une forêt. Avec des cellules nerveuses connectées les unes aux autres comme autant d’arbres en interaction. »
« ÉCOUTEZ CE BRUIT QUE L’ON ENTEND LORSQUE RIEN NE SE FAIT ENTENDRE. » C’EST LE CONSEIL QUE DONNAIT PAUL VALÉRY. ET SI AU DÉTOUR D’UNE RANDONNÉE DANS LES ALPES, VOUS TENDEZ BIEN L’OREILLE, VOUS AUREZ PEUT-ÊTRE LA CHANCE DE VIVRE L’EXPÉRIENCE DU CHANT DES MONTAGNES.
Une image romantique. Plutôt séduisante. Non ? Peut-être parce qu’elle est inscrite en nous. Au plus profond de notre histoire évolutive. « La nature n’est pas un environnement comme les autres », nous fait remarquer Michel Le Van Quyen. Elle n’est pas un simple décor qu’il nous est proposé de contempler. C’est l’endroit dans lequel nous avons vécu pendant quelque 300 000 ans. La nature est en nous. La nature est nous, pourrions-nous nous laisser aller à dire. « J’aime donner l’exemple du microbiote – toutes ces bactéries, ces virus, ces microbes dans nos intestins.
La science a montré qu’il est en interaction avec notre cerveau et nos émotions d’une part et avec notre environnement d’autre part. Au cœur de notre être, il nous relie biologiquement à la nature, nous explique le chercheur en neurosciences. Il efface les limites entre l’intérieur et l’extérieur, entre le soi et le non-soi. Il matérialise en quelque sorte l’idée d’un vivant comme une continuité biologique qui s’étend au-delà du corps. »
Ainsi donc, si nos activités ont un impact sur la nature – nous ne le savons que trop, de nos jours -, la nature, elle aussi, a un impact sur nous. Elle est en interaction permanente avec nous. Avec notre cerveau. Au Japon, on recommande les balades en forêt pour lutter contre le stress.
Parce que l’odeur de la forêt calme l’amygdale, cette structure cérébrale programmée pour réagir à la menace. De quoi offrir un temps de repos régénérateur à notre cerveau.
Et des études ont montré que les odeurs qui se dégagent des arbres ont également une action bénéfique sur notre système immunitaire. Les effets d’un seul week-end au vert s’étendraient même sur plusieurs semaines.
« Comprendre que l’environnement dans lequel nous vivons a un effet sur notre santé et plus largement encore sur notre bien-être, ça permet de reconsidérer les choses, souligne Michel Le Van Quyen. D’imaginer des aménagements de nos villes qui permettraient de restaurer notre lien ancestral avec la nature. » De retrouver l’alternance jour/nuit, par exemple, en agissant sur l’éclairage des boutiques ou les enseignes lumineuses.
« Il y a dans notre rétine, des récepteurs qui sont sensibles à la lumière bleue – la lumière artificielle émise par nos écrans. Ils ne sont pas reliés à notre cortex visuel qui est en charge du traitement des images. Ils sont directement reliés à une tête d’épingle dans notre hypothalamus. Une tête d’épingle qui régule toutes les fonctions essentielles de notre corps. Le surplus de lumière artificielle auquel sont notamment exposés les citadins perturbe son fonctionnement », nous explique le chercheur en neurosciences.
« LA COULEUR EST LE LIEU OÙ NOTRE CERVEAU ET L’UNIVERS SE RENCONTRENT », DISAIT PAUL CÉZANNE. LES SCIENTIFIQUES L’ONT CONFIRMÉ. ET MICHEL LE VAN QUYEN AIME LE RAPPELER.
Revivre l’expérience de la nature
Autre idée : verdir nos villes. « Revégétaliser, ce n’est pas seulement souhaitable pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre ou pour nous assurer un peu de fraîcheur au cœur de l’été. Chaque pause verte apporte des bénéfices », nous assure Michel Le Van Quyen.
Et germe alors en nous un nouvel espoir. Celui qu’en reprenant contact avec la nature, nous puissions enfin prendre la mesure de la crise écologique dans laquelle nous avons plongé le monde. Le chercheur nous le confirme. « Il n’est pas nécessaire de tout savoir sur la nature pour expérimenter ses bienfaits. Parce que l’expérience de la nature se situe à un autre niveau. Elle se vit à la première personne. Les connaissances scientifiques, elles, s’avancent avec une certaine distance.
Elles s’appréhendent à la troisième personne. Elles restent bien sûr fondamentales. Indispensables. Mais je crois qu’elles ne permettent pas de refléter l’entière complexité de la réalité. Les émotions, les perceptions ouvrent d’autres fenêtres sur le monde. Et elles peuvent avoir des effets sur notre façon d’aborder les choses bien plus profonds que les connaissances scientifiques. En France, on reste très cartésien. On pense que la connaissance scientifique est suffisante à argumenter, à légitimer un changement de mode de vie. Mais pour moi l’expérience directe de la nature est aussi très importante en la matière. »
Le saviez-vous ?
La ronronthérapie, ça vous dit quelque chose ? L’apaisement que l’on ressent lorsque l’on entend un chat ronronner. « Comme avec la nature et ses paysages, l’expérience que nous avons avec les animaux est polysensorielle, nous explique Michel Le Van Quyen. Comme un petit plus, elle offre aussi l’expérience de l’altérité. Du vivant qui nous ressemble. Mais pas tout à fait quand même. »
Les chercheurs le savent désormais, le lien que nous avons avec les animaux est inscrit dans notre cerveau. Et dans le leur. On y trouve des neurones miroir qui résonnent en nous lorsqu’ils sont là. En eux, lorsque nous sommes là. Comme si nos biologies voulaient se synchroniser. « Cette impression que nous partageons quelque chose de commun qui est le vivant. »
Dans son livre « Cerveau et nature, pourquoi nous avons besoin de la beauté du monde », Michel Le Van Quyen partage d’innombrables références à des études qui prouvent les bienfaits de la nature sur notre corps et sur notre esprit. Les connaissances scientifiques sont là. Ne nous reste donc plus qu’à en faire l’expérience directe en foulant de nos pieds nus le sable d’une plage, en nous perdant dans une forêt ou dans le bleu du ciel, en écoutant le bruit du vent, en caressant un chien. Et nous serons peut-être enfin prêts à rendre à la nature tout le bien qu’elle nous fait…
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