Iran : campagne ouverte, élection fermée

Seuls sept candidats ont été autorisés à se présenter à l’élection du 18 juin. Parmi eux ne figure aucun conservateur modéré ni aucun réformateur de poids.

Ils ne seront que sept candidats. Le puissant Conseil des Gardiens (équivalent iranien du Conseil constitutionnel) a autorisé ce mardi sept hommes à se présenter à l’élection présidentielle du 18 juin. Les douze membres de l’institution, dont une moitié est nommée directement par le Guide et l’autre moitié indirectement, ont disqualifié près de 600 prétendants. Des candidatures parfois farfelues, mais pas seulement : le vice-président réformateur Eshaq Jahangiri, qui concentrait les espoirs de la gauche iranienne, ne pourra pas concourir, pas plus que le réformateur Mostafa Tajzadeh. Même l’ancien chef du Parlement Ali Larijani, un conservateur pur jus, est mis sur la touche. De façon plus attendue, le populiste ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad est lui aussi écarté, comme e 2017. Ne restent que des quasi-inconnus, dont deux réformateurs qui ne pèsent pas lourd, et surtout des durs parmi les durs.

Le favori est Ebrahim Raissi, 60 ans. Longtemps resté dans l’ombre de la République islamique, il fait partie de ceux qui ont mis en œuvre les purges à la fin de la sanglante guerre contre l’Irak : des milliers, peut-être des dizaines de milliers, de prisonniers politiques ont été exécutés en 1988. A Mashhad, ville sainte chiite, le religieux a régné sur la fondation qui gère le mausolée de l’imam Reza et ses milliards de dollars. Sa première incursion en politique s’est soldée par un échec prévisible : il s’est présenté en 2017 contre le sortant Hassan Rohani, qui pouvait alors rempiler pour un mandat (tous les présidents en ont fait deux depuis 1981).

Le Guide suprême lui a ensuite conféré une nouvelle image en le nommant à la tête du pouvoir judiciaire. «Raissi est présenté dans la presse iranienne comme celui qui a tenté de lutter contre la corruption à la tête du pouvoir judiciaire, souligne la professeure de sociologie à l’Université de Paris, Azadeh Kian. Les conservateurs du bazar l’ont soutenu pour cette raison.» Voilà l’homme chargé des basses œuvres de la République islamique propulsé héraut de cette cause très populaire dans un pays qui s’enfonce sans plus finir dans la crise, s’offrant au passage le scalp de Sadeq Larijani, frère cadet d’Ali, qui occupait la fonction depuis dix ans.

«Rohanijani !»

Alors qu’il n’avait que le soutien des ultras en 2017, Ebrahim Raissi apparaît comme le mieux placé pour l’emporter cette fois-ci. Encore plus depuis que ses adversaires les plus sérieux ont été éliminés. C’est le cas d’Ali Larijani. Figure éternelle du régime, il a occupé tout un tas de postes, plus ou moins exposés au sein du régime. Il a notamment été négociateur sur le dossier nucléaire lorsqu’il siégeait au Conseil suprême de la sécurité nationale. Beaucoup voyaient en lui un héritier des mandats Rohani, bien qu’il soit «moins modéré» que ce dernier d’après Azadeh Kian. Ses contempteurs avaient diffusé sur les réseaux sociaux des visuels présentant un Larijani retirant le masque de l’actuel président. «Rohanijani!», se moquait l’affichette.

Sa disqualification interroge. Depuis quelques jours, des rumeurs circulaient sur sa fille qui résiderait aux Etats-Unis. Un choix présenté comme incompatible avec les aspirations politiques de son père. Des «prétextes», évacuent Azadeh Kian : «Le Conseil des Gardiens de la Constitution a tout fait pour que Raissi apparaisse comme le candidat conservateur le plus important. C’est lui qui doit incarner le renouveau des conservateurs.» Alors que l’échiquier politique glissait inexorablement vers le camp des durs depuis la crise née de la réélection contestée d’Ahmadinejad en 2009, un nouveau pas est donc franchi : même les conservateurs dits modérés sont balayés. Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, en a fait les frais sans avoir la possibilité de déposer sa candidature à cause d’une sombre histoire d’enregistrement qui a fuité dans les médias.

Face à lui, Raissi trouvera Saïd Jalili, un ultra, et Mohsen Rezaï, un ancien commandant des Pasdaran, qui s’est présenté sans succès en 2005, 2009 et 2013. Aucun autre Gardien de la révolution n’est qualifié malgré les craintes répétées qu’un militaire prenne la tête de l’exécutif élu. Les candidats sélectionnés devront affronter un adversaire de taille : l’abstention. Les législatives de février 2020 avaient connu la participation la plus faible de l’histoire de la République islamique. Et les appels à déserter les urnes le 18 juin se multiplient. Le pouvoir le sait et le redoute. Pour attirer les électeurs, le ministre des Télécommunications, Mohammad-Javad Azari Jahromi, a proposé d’offrir un mois de forfait à tous les Iraniens pour qu’ils suivent la campagne, qui se déroulera essentiellement en ligne en raison de la pandémie toujours virulente dans le pays. Le président Hassan Rohani a écrit au Guide suprême pour protester contre la décision du Conseil des Gardiens. L’ayatollah Ali Khamenei peut intervenir jusqu’au dernier moment.

 

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