Conséquence de la pire sécheresse jamais enregistrée dans les Pyrénées-Orientales depuis plus de cinquante ans, quatre communes y sont privées d’eau potable, depuis plus d’une semaine. Les habitants sont contraints d’économiser chaque goutte. Reportage.
« Je n’avais pas d’eau ce matin au robinet ! » « Moi je m’en suis rendu compte vers minuit hier. Heureusement que je m’en suis aperçue et que je n’ai pas lancé mon lave-linge ! » « Toi qui es en bas du village, tu auras de l’eau avant nous ! » 15 h, ce vendredi après-midi, dans le petit village de Corbère-les-Cabanes, 1 040 habitants, à une vingtaine de kilomètres de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales.
Dans le vaste hangar des services techniques, aux murs chargés de matériel et d’outils, quatre élus municipaux, Monique, Christian, Richard et Bruno, papotent sur le sujet du jour : la dernière coupure d’eau. À gauche de l’entrée, l’employé de mairie, Jordi, a dressé une petite table drapée de rouge avec un livre de condoléances pour un ancien qui vient de décéder. Et à droite, une rangée d’imposantes palettes d’eau en bouteille, livrées en camion par Bruno, agriculteur et élu municipal.
1,5 litre par jour pour boire, faire la cuisine, se laver les dents…
Privée d’eau potable depuis le 14 avril 2023, la commune invite ses habitants à venir ici, deux fois par semaine, se fournir gratuitement en bouteilles d’eau. « Ça coûte 3 500 € par semaine à la municipalité, pour 14 palettes de 120 packs », détaille le maire Gérard Soler, qui supervise les opérations. Un à un, seuls ou en famille, les Corbériens viennent se ravitailler : un pack de 9 litres par personne pour six jours pour chaque foyer, comme la semaine précédente.
Soit 1,5 litre par jour pour boire, faire la cuisine, se laver les dents… « C’est un peu juste, alors on fait très attention », confie Audrey, 38 ans, en chargeant ses cinq packs pour elle, son mari Jérôme, et leurs trois enfants, dans le coffre de sa voiture. « Quand mes filles se lavent les dents, je remplis leur gobelet. Une fois sur deux, au lieu de prendre une douche, elles se lavent au lavabo comme dans l’ancien temps. Et on met des casseroles dans les douches pour récupérer l’eau. »
Tous les habitants interrogés nous expliquent leurs astuces pour moins consommer : l’un tire moins souvent la chasse d’eau, un autre réutilise l’eau de rinçage de la vaisselle pour ses plantes, une troisième dit avoir installé « depuis longtemps » des économiseurs d’eau dans sa douche.
Un agent municipal aide une habitante à charger les packs d’eau dans le coffre de sa voiture.
« Chaque goutte compte »
Voilà plus d’une semaine que Corbère-les-Cabanes et trois villages voisins, Corbère, Bouleternère et Saint-Michel-de-Llotes, 3 100 habitants au total, sont privés d’eau potable. La faute à la pire sécheresse que connaît le département depuis plus de cinquante ans. « Chaque goutte compte. La situation est grave », a alerté un tract distribué aux habitants quelques jours avant l’interdiction de boire l’eau du robinet.
« Le forage qui nous alimente habituellement, est à sec », explique Jean-Pierre Saurie, adjoint au maire de Corbère et président du syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable qui gère l’alimentation en eau des quatre communes. « Au lieu de 8 mètres d’eau au-dessus de la pompe, il n’y a plus que 10 cm. » Le syndicat a donc dû se brancher, en urgence, sur un autre forage, utilisé par des agriculteurs.
L’Agence régionale de santé a analysé l’eau, et l’a jugée potable, mais un incident a obligé à procéder à de nouvelles analyses. « Un joint a lâché sur une canalisation. C’est ce qui a provoqué la coupure d’eau », explique l’élu. L’eau courante, mais non potable, revient progressivement dans les canalisations. Bonne pour les douches, les lave-linge ou les chasses d’eau, mais les communes ont interdit l’arrosage des jardins, le lavage des voitures ou le remplissage des piscines. « Moi je la bois quand même », nous glisse un élu.
En attendant qu’elle soit jugée officiellement potable, les quatre communes distribuent toutes de l’eau en bouteille à leurs habitants. « Les employés de la mairie font une tournée pour livrer directement l’eau aux personnes âgées », précise le maire de Corbère-les-Cabanes. Les commerçants ont droit à des jerricans de 20 litres, renouvelés chaque jour. « On ne sert plus de carafe avec le Pastis, on verse directement l’eau dans le verre », sourit Thomas Da Costa, le jeune gérant du Corbère Bar, sur la place du village. L’eau potable sert pour le lave-verres, la machine à glaçons, la machine à café, laver les légumes… « Pour me laver les mains, j’utilise l’eau du robinet, puis du gel hydro-alcoolique. »
Distribution d’eau à Corbère.
« Ça fait des années qu’on est en état d’alerte »
Parmi les habitants qui viennent se ravitailler en eau, beaucoup assurent qu’ils n’ont pas attendu la pénurie pour modérer leur consommation. « Ça fait des années qu’on est en état d’alerte, et qu’on fait comme si le problème n’existait pas ! », s’indigne Sophie, une quinquagénaire de Corbère-les-Cabanes, venue chercher deux packs d’eau pour elle et sa fille.
« Je vois les cours d’eau et les sources s’assécher d’année en année, témoigne Robert Domenech, enseignant retraité, qui vit à Corbère depuis quarante ans. Je suis indigné que les politiques n’aient pas pris plus tôt la mesure de la situation. »
Élisabeth Fanara, 57 ans, gérante de société et habitante de Corbère, avoue avoir été longtemps agacée par les prédictions des écologistes. « Mais là, le réchauffement climatique, ça devient réel. Je suis en train de me dire qu’ils avaient raison. C’est trop grave, ce qui se passe. J’espère qu’on va en tirer les leçons. » Elle pointe les nouveaux lotissements construits ces dernières années dans la commune de Corbère-les-Cabanes. « Est-ce que c’est une bonne chose d’avoir fait venir de nouveaux habitants, alors qu’il y a de moins en moins d’eau ? »
« Je vais mettre un frein sur les nouvelles constructions », promet le maire. De son côté, le syndicat des eaux sonde un terrain agricole pour ouvrir, le plus vite possible, un troisième forage. Et sécuriser une ressource de plus en plus rare et incertaine.
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