Les Soulèvements de la terre, un mouvement écologiste qui dérange

Né en 2021 à Notre-Dame-Des-Landes, le mouvement Les Soulèvements de la terre, est dans l’œil du viseur du gouvernement. Ce dernier le tient responsable des affrontements survenus fin mars à Sainte-Soline lors d’une manifestation interdite contre l’existence de retenues d’eau. L’organisation écologiste qui revendique des actions concrètes pour défendre l’environnement est accusée d’écoterrorisme et pourrait être dissoute.

« Plusieurs envahissements d’entreprises, plusieurs exactions fortes contre les forces de l’ordre, plusieurs destructions de biens, des centaines de gendarmes ou de policiers blessés, plusieurs appels à l’insurrection, j’ai donc décidé d’engager la dissolution des Soulèvements de la Terre » : tels sont les mots de Gérald Darmanin devant l’Assemblée nationale le 28 mars dernier, trois jours après les affrontements qui ont éclaté entre forces de l’ordre et manifestants à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.

L’objet de la colère : des gigantesques réserves d’eau destinées à répondre aux besoins de l’agro-industrie confrontée au changement climatique. Pour les militants écologistes, ces stockages accentuent la pression sur les ressources en eau et nuisent à la biodiversité. Plusieurs personnes ont été blessées dans les deux camps qui se rejettent la responsabilité des violences.

Les Soulèvements de la Terre sont un groupement hétérogène, non déclaré formellement comme association auprès des pouvoirs publics. Leurs sympathisants, paysans, jeunes urbains ou syndicalistes, entendent se mobiliser pour la protection de l’environnement via des actions locales fortes. Ils veulent durcir la mobilisation dans un contexte d’urgence climatique. Parmi leurs récentes mobilisations, celle de Sainte-Soline, celle dans le Tarn contre le projet d’autoroute Castres-Toulouse, mais aussi celle de Villefranche-sur-Saône en mars 2022 sur le site Bayer-Monsanto, ou encore sur les sites de Lafarge en juin 2021.

Actions locales et bras de fer
Leur stratégie : aller sur le terrain pour installer un rapport de force avec l’État ou avec des entreprises « écocidaires ». Ils revendiquent donc des opérations de sabotage avec la présence d’éléments radicaux pour faire planer une menace, dans le sillage d’autres groupes tels que Dernière Rénovation, Just Stop Oil, ou encore Extinction Rebellion.

« On ne se décrit pas en soi comme un mouvement pacifiste, après très clairement, nous n’avons jamais appelé et nous n’appellerons pas à nous attaquer à des personnes », déclare Benoît Feuillu, l’un des porte-parole du mouvement des Soulèvements de la terre.

Rien de très nouveau dans cette désobéissance civile. En 1999, José Bové, leader de la Confédération paysanne qui se bat contre la mondialisation et souhaite défendre les éleveurs contre les mesures de rétorsion douanières américaines sur le foie gras et le roquefort, saccage un fast-food célèbre à Millau. Il renouvelle l’exercice en 2004 en détruisant détruit une parcelle de maïs transgénique dans le sud-ouest de la France.

Selon une source policière interrogée par l’AFP, la nouveauté réside plutôt dans la « multiplication des contestations sur des projets de plus basse intensité, par exemple une bretelle d’autoroute ou un entrepôt Amazon », avec un « niveau de violence (qui) monte désormais très vite ».

Une répression plus forte

En octobre 2022, lors d’une première manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin utilise le terme d’« écoterrorisme » et criminalise ainsi les personnes mobilisées. Selon une étude de 2022 de l’École de droit de Sciences Po, il existe en effet une véritable montée en puissance de l’arsenal répressif pour contrer la désobéissance des militants : « délits spéciaux », « procédures plus restrictives » ou encore « cellules de gendarmes spécialisées », « placements en garde à vue abusifs ». Les lois réservées à l’antiterrorisme sont ainsi appliquées aux mouvements écologistes.

Le 13 avril dernier, plusieurs militants du collectif des Soulèvements de la Terre se sont donc rendus place Beauvau pour déposer leurs observations écrites et contester la dissolution. « Le gouvernement viole à la fois la liberté d’expression et la liberté d’association », font valoir les avocats du mouvement.

De nombreuses personnalités, chercheurs, militants ou scientifiques soutiennent le collectif. Le réalisateur Cyril Dion réfute les accusations : « Nous ne sommes pas des gens violents et nous n’appelons absolument pas à la violence, mais à la responsabilité pour faire cesser cette destruction systématique du vivant sur la planète ». Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue française, de son côté, dit défendre « toutes les formes de liberté d’expression, sachant que les mouvements de masse pour la justice climatique jouent un rôle important de catalyseur par rapport à l’inertie de l’action pour le climat et la biodiversité ».

Pour Philippe Descola, éminent anthropologue, « révolté par l’accaparement des terres au profit d’une minorité, par le détournement des biens communs — également au profit d’une minorité -, par l’artificialisation des territoires », la répression du mouvement est à contre-courant de l’urgence écologique. (À lire sur le site Reporterre, le média de l’écologie).

Le 19 avril, à Nantes, Chambéry, Dijon, Montpellier, Angoulême, Orléans, ou encore Lyon et Lannion, des manifestations de soutien ont eu lieu. Sur les pancartes, « Nous sommes les Soulèvements de la Terre ».

RFI

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