Avec la classe en plein air, l’école change de regard sur les questions d’environnement

Et si l’on faisait classe à l’extérieur ? Au lendemain du premier confinement, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, cette proposition a été suivie par de nombreux enseignants. Des chercheurs et personnels de l’éducation se sont relayés dans les médias pour souligner les bienfaits de ce mode d’enseignement, aussi bien sur le plan sanitaire que pour la santé d’enfants souvent trop sédentaires. Le précédent ministre de l’Éducation en avait d’ailleurs aussi reconnu « la vertu pédagogique ».

Si le principe de la classe « en plein air, à ciel ouvert » prend son origine dans des mouvements pédagogiques du XIXe et XXe siècle, elle semble actuellement sortir d’une certaine confidentialité. Des reportages montrent ainsi des classes de maternelle ou de primaire qui, une fois par semaine, sortent dans un espace extérieur, à proximité de l’école, pour y réaliser des observations, des activités physiques ou des expérimentations, parfois très guidées, parfois beaucoup plus libres.

« Emmenez les enfants dehors ! », Crystèle Ferjou

Cette modalité pédagogique et didactique, qui peut être mise en place autant en milieu urbain que rural, n’est actuellement cadrée par aucun texte officiel spécifique. Dans les représentations, il est donc devenu courant de l’assimiler à l’éducation au développement durable. Cette association se retrouve sur des sites académiques ou des ouvrages de pédagogie.

Pourtant, cette affiliation repose sur un malentendu, ou plutôt sur une méconnaissance du cadre institutionnel général de l’éducation au développement durable. Celle-ci est par ailleurs sous les feux des projecteurs avec le défi climatique et les enjeux relatifs à la biodiversité. Mais que disent les textes officiels de l’Éducation nationale à son sujet ? Et en quoi la classe dans la nature s’ancre-t-elle dans d’autres approches ?

Une éducation à la gestion de la nature

Le cadre normatif et conceptuel de l’éducation au développement durable a été bâti autour de sept circulaires, parues entre 2004 et 2020, et une note de service en 2013, date à laquelle l’éducation au développement durable est entrée dans le Code de l’éducation.

L’éducation au développement durable scolaire est fille de plusieurs recommandations internationales : en 1992, le chapitre 36 de l’Agenda 21, en 1997, la conférence internationale de Thessalonique et, en 2002, le Sommet de Johannesburg sur la Décennie des Nations unies pour l’Éducation en vue du Développement Durable. Ces textes internationaux cadrent l’éducation comme un moyen « au service du développement durable ».

Or avec le développement durable, l’éducation se voit subordonnée à une perspective économique de croissance théorisée à la fin du XXe siècle, comme une solution pour faire face aux enjeux du XXIe siècle :

«Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable.» Rapport Brundtland (1987).

En France, cet horizon conduit à une mise à distance de la nature et des pratiques éducatives dans la nature. En adoptant explicitement une éthique centrée sur l’humain et son développement économique, l’éducation environnementale est désormais appréhendée par la rationalité et la gestion de l’environnement, en mettant à distance des approches sensibles et naturalistes, souvent qualifiées oralement d’attention aux « petites fleurs » et aux « petits oiseaux ».

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Dès 2004, et pendant plus de dix ans, le mot « nature » – au sens de milieu ou d’environnement – est totalement absent des textes officiels français de cette éducation. À partir de 2007, les sorties scolaires et les dispositifs d’immersion du type « classes de mer », « classes de neige » et « classes vertes », n’y sont plus évoqués. La circulaire de 2015 est une exception en instaurant les « coins nature » et en conseillant de nouveau des « sorties dans la nature ». En 2020, les sorties sont présentes dans une parenthèse mais le texte cantonne la nature à un objet de diagnostic ou à un patrimoine à valoriser par les élèves. Elle est ainsi inféodée à la gestion humaine.

En d’autres termes, dans l’éducation au développement durable des textes officiels français, la nature n’est ni pensée pour elle-même ni en tant qu’agent éducatif. Or il en est tout autrement pour nombre de pratiques et d’orientations dans la classe dehors.

Une éducation avec la nature

Précisons que les pratiques de classe dehors sont caractérisées par des objectifs très divers. Les intentions des enseignants peuvent aller de la couverture stricte des programmes, au bien-être de l’élève en passant par la reconquête de la place de l’enfant dans la ville.

Lorsque les objectifs sont strictement disciplinaires, les contenus peuvent donc être très éloignés des problématiques socio-écologiques. En se basant sur la nature, parfois avec des outils apportés in situ (livres, loupes, matériel plastifié, etc.), les élèves travaillent les mathématiques, les sciences, le français, les arts plastiques, l’éducation physique et sportive. La nature est utilisée pour les apprentissages formels : des brins d’herbe pour compter ou pour classer, un bâton et le sol pour faire du graphisme, le paysage pour dessiner, pour inventer un poème ou une histoire, des rondins de bois pour créer un parcours…

Mais, au-delà, lorsque les espaces de pratique sont suffisamment « ensauvagés », la nature peut littéralement entrer dans les relations éducatives. Elle contribue à l’apprentissage de deux façons, soit d’une façon formelle, lorsque ses manifestations sont présentées, expliquées et mises en avant par l’enseignant, soit d’une façon informelle, par le simple fait de s’y trouver en immersion.

Avec le Covid-19 la classe en plein air a la cote (Le Parisien.

De premiers travaux publiés de la recherche-action participative Grandir avec la nature montrent en effet que les enseignants construisent des savoirs sur des situations vécues au dehors et non planifiées : un oiseau qui passe, un changement dans la saison, des bruits… Ils contribuent aussi à montrer que la nature est une source d’apprentissage à travers la construction, par l’expérience, de liens identitaires et d’attachement à l’environnement.

Cette part informelle, nommée écoformation, place l’éducation des élèves dans une perspective bien plus orientée vers le devenir de l’être humain que vers un programme économique prédéfini.

Une éducation « par en bas »

La classe dehors n’est donc pas assimilable à l’éducation au développement durable telle qu’elle est prescrite dans les circulaires de l’Éducation nationale. Construite par la mobilisation d’acteurs de terrain, dont des professionnels de l’éducation à l’environnement qui ont alerté dès 2008 sur la diminution des pratiques éducatives au dehors, elle est en mesure d’intégrer la nature dans ses méthodes, ses objectifs et ses finalités. C’est une éducation bâtie « par en bas », par le « terrain ».

A contrario, l’éducation au développement durable est une éducation « par en haut » orientée par des instances internationales vers un objectif de croissance économique. Son adossement aux objectifs de développement durable (ODD) confirme cette tendance.

Ils sont désormais obligatoires pour toute labellisation d’établissement par exemple. Or dans les ODD, la « vie aquatique » et la « vie terrestre » sont en quatorzième et quinzième position, bien après « l’accès à l’emploi » (en huitième position) ou « l’innovation » (en neuvième position), ce qui exprime clairement les hiérarchies à l’œuvre.

En voulant inscrire leurs pratiques dans les cadres existants, les acteurs s’en accommodent et inventent perpétuellement des manières de faire. En l’occurrence, cela permet d’inclure la classe dehors dans le cadre de l’éducation au développement durable mais sans une prise de conscience de son essence. D’autant que l’institution scolaire elle-même alimente un certain flou.

Dans le récent « vademecum de l’éducation au développement durable », on peut lire quelques appels à l’éducation par la nature pour les petites classes à côté d’approches comportementalistes et gestionnaires, largement prédominantes. On pourrait donc en conclure qu’elle prend acte du terrain et incorpore ses évolutions et que peu importe les pratiques, elles peuvent toutes être classées « éducation au développement durable ».

Oui mais, au fond, pour quelles finalités et dans quel cadre éthique des relations humain-nature les enseignants voient-ils leurs pratiques professionnelles orientées ? Ce flou n’est-il pas un des principaux obstacles à sérieuse éducation environnementale ?The Conversation

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