Il n’en reste plus qu’un en Autriche, symbole de la disparition du chaume: Jacobus van Hoorne, ex-scientifique du Cern reconverti artisan couvreur, se bat pour faire revivre ce matériau aux nombreuses vertus écologiques.
Végétale mais moderne, sa maison détonne. Ses 200 mètres carrés de toiture arborent un beau chaume à la pose compacte, obtenue grâce à des roseaux qu’il cultive localement au bord du superbe lac de Neusiedl (est), dans un paysage classé à l’Unesco.
« Il faut seulement deux semaines de travaux pour couvrir une habitation comme celle-ci », explique à l’AFP le physicien de 37 ans qui n’a pas hésité à abandonner son métier au sein de la prestigieuse Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern) en Suisse, afin de reprendre l’entreprise familiale.
Jacobus van Hoorne présente des ballots de chaume, à Weiden am See, en Autriche,
Après la moisson hivernale, il débarrasse la paille des mauvaises herbes et la lie en bottes, selon une technique transmise par son père, un Néerlandais qui a émigré dans les années 1980.
Jacobus van Hoorne ne regrette pas son choix, mais il s’inquiète devant les difficultés côté production, évoquant la Chine qui pratique des prix imbattables et s’est arrogée une part de marché de 80% en Europe.
Pour les acheteurs de roseaux, concentrés aux Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre ou en France, faire venir la marchandise de Shanghai ne revient pas plus cher que se la procurer sur le Vieux Continent, peste-t-il. Et avec l’inflation, il est encore plus dur de s’aligner sur ces tarifs cassés.
– « Inévitable » –
Jacobus van Hoorne devant sa maison au toit de chaume, à Weiden am See, en Austriche
L’émergence de la sécheresse en Europe a encore compliqué l’équation. La récolte n’est pas bonne, les tiges ne sont pas à maturité et il faut concéder de douloureuses décotes.
Jadis courant dans cette région proche de la Hongrie, le chaume digne des cartes postales a été délaissé au 20e siècle au profit des tuiles et ardoises, matériaux de construction jugés plus modernes. Et beaucoup moins inflammables, ce qui a un impact sur les primes d’assurance.
Il connaît ces dernières années un regain en Europe du fait de ses qualités rustiques d’isolant thermique et phonique.
Face au changement climatique et à la raréfaction des ressources, « le retour aux matériaux écologiques de construction », dont l’origine remonte aux habitations alpines préhistoriques sur pilotis, est « inévitable », assure Azra Korjenic, experte de l’université de Vienne.
Biodégradable, le chaume jouit d’une empreinte carbone négligeable, si l’on prend en compte « l’ensemble du cycle de vie, de la production à l’élimination ».
Jacobus van Hoorne devant son stock de chaume, à Weiden am See, en Autriche
Léger et d’un coût similaire aux toitures en tuiles selon l’artisan, il ne nécessite pas une charpente très forte et peut résister durant 40 ans. Sans oublier ses capacités de stockage du CO2 par la photosynthèse supérieures à celles des forêts.
« Ce qui pose problème, ce n’est pas le matériau mais la formation des artisans et la pression des grands groupes », souligne l’architecte franco-autrichien Raphael Pauschitz, spécialiste de ces thématiques.
« Le chaume, la paille, la terre crue… tous ces matériaux qui n’ont pas de processus de transformation, où la valeur est créée par l’artisan et ses compétences, n’intéressent pas les industriels. »
Pourtant les amoureux des roseaux veulent garder le moral. L’architecte évoque « des projets qui fleurissent partout, par petites touches ».
Marine Leparc, coordinatrice de l’Association française des couvreurs chaumiers, salue elle aussi « un nouvel intérêt pour le chaume et pour les matériaux naturels en général ».
Quant à Jacobus van Hoorne, ses devis s’arrachent comme des petits pains chez les propriétaires des rares maisons en toit de chaume du coin nécessitant un rafraîchissement.
AFP