Des chercheurs « décodent » les pensées grâce à l’imagerie cérébrale et l’intelligence artificielle

Des chercheurs ont mis au point un « décodeur de langage » qui pourrait aider des patients ayant perdu l’usage de la parole. Mais ce nouveau dispositif soulève néanmoins des questions éthiques.

Des scientifiques ont mis au point un décodeur qui, via l’imagerie cérébrale et l’intelligence artificielle, arrive à traduire en langage la pensée d’une personne sans qu’elle ne s’exprime

Des scientifiques ont mis au point un décodeur qui, via l’imagerie cérébrale et l’intelligence artificielle, arrive à traduire en langage la pensée d’une personne sans qu’elle ne s’exprime, selon une étude publiée le 2 mai 2023.

Le prédécesseur du robot conversationnel ChatGPT utilisé
L’objectif principal de ce « décodeur de langage » est d’aider des patients ayant perdu l’usage de la parole à communiquer leurs pensées via un ordinateur. Bien qu’à vocation médicale, ce nouveau dispositif soulève néanmoins des questions sur l’atteinte à la « vie privée mentale », concèdent les auteurs de l’étude parue dans Nature Neurosciences. Pour parer aux critiques, ils soulignent que leur outil ne fonctionne qu’après un entraînement du cerveau en passant de longues heures dans un appareil d’IRM (imagerie par résonance magnétique).

De précédentes interfaces cerveau-machine, destinées à permettre à des personnes souffrant de handicaps majeurs de retrouver de l’autonomie, ont déjà fait leurs preuves. L’une de ces interfaces a ainsi pu retranscrire les phrases d’un paralytique incapable de parler ou de taper sur un clavier.

Mais ces dispositifs requièrent une chirurgie invasive, avec l’implantation d’électrodes dans le cerveau, et se focalisent uniquement sur les zones du cerveau qui contrôlent notre bouche pour former des mots. « Notre système, lui, fonctionne au niveau des idées, de la sémantique, du sens », a dit lors d’une conférence de presse Alexander Huth, neuroscientifique à l’Université d’Austin au Texas, co-auteur de l’étude. Et ce de manière non-invasive.

Durant l’expérience, trois personnes ont passé 16 heures dans un appareil d’imagerie médicale fonctionnelle (IRMf) : cette technique permet d’enregistrer les variations du flux sanguin dans le cerveau, rendant ainsi compte en temps réel de l’activité des zones cérébrales durant certaines tâches (parole, mouvement…).

On a fait écouter aux volontaires des podcasts racontant des histoires. Ce qui a permis aux chercheurs de déterminer comment les mots, les phrases et leur signification stimulaient différentes régions du cerveau. Ils ont ensuite intégré ces données à un réseau neuronal artificiel de traitement du langage utilisant GPT-1, le prédécesseur du robot conversationnel ChatGPT.

Le réseau a été entraîné à prédire comment chaque cerveau réagirait au discours entendu. Chaque personne a ensuite écouté une nouvelle histoire à l’intérieur de la machine IRMf, afin de vérifier si le réseau avait deviné juste.

« Plus profond que le langage »
Résultat : même s’il paraphrasait ou changeait souvent l’ordre des mots, le décodeur arrivait à « reconstituer le sens de ce que la personne entendait », a expliqué Jerry Tang (Université d’Austin), premier auteur de l’étude. Par exemple, lorsqu’un utilisateur a entendu la phrase « je n’ai pas encore mon permis de conduire », le modèle de réseau a répondu « elle n’a même pas encore commencé à apprendre à conduire » . L’expérience est allée plus loin : même quand les participants imaginaient leurs propres histoires ou visionnaient des films muets, le décodeur était capable de saisir l’essentiel de leur pensée.

Ces résultats suggèrent que « nous décodons quelque chose qui est plus profond que le langage, puis nous le convertissons en langage », a poursuivi M. Huth. Il s’agit d’une réelle avancée par rapport aux précédentes interfaces cerveau-machine, a réagi David Rodriguez-Arias Vailhen, professeur de bioéthique à l’Université espagnole de Grenade, qui n’a pas participé à l’étude.

Cela nous rapproche d’un avenir où les machines seront « capables de lire dans les esprits et de transcrire les pensées », a commenté le scientifique. Mais il avertit que cela pourrait se faire contre la volonté des personnes, par exemple lorsqu’elles dorment, et donc compromettre à l’avenir notre liberté.

Des risques que les auteurs de l’étude ont anticipés, en démontrant que le décodeur ne fonctionnait pas sur le cerveau d’une personne sur lequel il ne s’était pas entraîné. Les trois participants ont en outre réussi à déjouer facilement la machine : tout en écoutant un podcast, ils devaient compter par sept, imaginer et nommer des animaux, ou se raconter une autre histoire dans leur tête… Autant de tactiques qui ont « saboté » le travail du décodeur. Les auteurs de l’étude ont néanmoins appelé à la mise en place d’une réglementation visant à protéger la vie privée.

Sciences et Avenir

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