Après qu’un épisode de mortalité massive a mystérieusement frappé les oursins diadèmes dans les récifs des Caraïbes en 2022, des scientifiques américains ont mené l’enquête. Ils révèlent l’identité du coupable dans une étude.
Lorsqu’un oursin perd ses épines, ce n’est généralement pas bon signe… Alors, quand des plongeurs ont découvert un vaste tapis d’aiguilles sur le fond marin autour des Îles Vierges des Etats-Unis en 2022, ils ont vite lancé l’alerte.
Dès lors, cet évènement inquiétant survenu dans l’océan Atlantique ouest – depuis la Floride jusqu’au sud des Caraïbes – a fait l’objet d’une enquête scientifique, dont les organisateurs livrent les conclusions dans la revue Science Advances.
Tels des inspecteurs de la police judiciaire, la Professeure Mya Breitbart (département de science marine à l’université de Floride du Sud, Etats-Unis) et ses collègues ont rassemblé des indices sur cet épisode de mortalité massive. La victime n’est autre que Diadema antillarum, l’oursin diadème des Antilles – reconnaissable à ses épines très longues et fines qui lui confèrent un diamètre pouvant atteindre une cinquantaine de centimètres (source DORIS-FFESSM).
Victime collatérale du « crime » : le récif corallien
Le « crime » était d’autant plus grave que l’oursin-diadème des Antilles était déjà sorti fragilisé d’un précédent épisode de mortalité massive, survenu dans les années 1980 et qui avait provoqué la disparition de 98 % de sa population. De plus, la « victime collatérale » de ce triste forfait n’est autre… que le récif dans son ensemble. En effet, ces prédateurs consomment des algues qui, sinon, proliféreraient au point d’étouffer l’écosystème.
Alors qu’une enquête de ce type peut se poursuivre pendant plusieurs décennies avant de trouver une issue, ce mystère-là a trouvé sa résolution… en quatre mois seulement ! « Nous sommes plus que ravis d’avoir percé ce mystère (…) et un peu étonnés d’y être parvenus si rapidement », a confié la Pr Breitbart dans un communiqué. « Nous disposions d’une excellente équipe et des outils nécessaires pour mener à bien l’équivalent d’une enquête médico-légale dans le domaine de l’océanographie. »
En effet, les chercheurs américains n’ont pas oeuvré seuls. Un programme de science participative a été lancé afin de recueillir un maximum de données dans l’environnement marin, et des collègues d’autres pays concernés leur ont fait parvenir des oursins malades. « À l’époque, nous ignorions si ce dépérissement était dû à la pollution, au stress ou à autre chose – nous ne le savions tout simplement pas », avoue Ian Hewson de l’université Cornell, premier auteur de l’article, cité dans le communiqué.
Mieux lutter contre la maladie des oursins
Au total, ils ont examiné des échantillons issus de 23 sites des Caraïbes. A l’aide d’analyses génomiques, ils sont parvenus à identifier le coupable. Il s’agit d’un cilié, autrement dit, d’un être vivant unicellulaire (ni animal, ni végétal, ni fongique ni bactérien) recouvert de cils qui lui permettent de se déplacer et de se nourrir.
Si la plupart des ciliés sont inoffensifs, celui-ci – le « scuticocilié » – s’avère mortel pour les oursins. Ces animaux succombent à l’infection en seulement quelques jours, ont vérifié les scientifiques à l’aide d’une expérience d’inoculation du pathogène à des oursins sains.
La « scuticociliatose » ou « scuticociliose » (nom donné à la maladie) avait déjà été documentée pour d’autres organismes marins – notamment des requins – mais jamais pour des oursins, remarquent les auteurs. «
Nous sommes ravis de partager ces informations avec tout le monde, qu’il s’agisse des gestionnaires de récifs ou des scientifiques, afin de pouvoir étudier (la maladie) plus en détail et tenter d’enrayer (sa) propagation », souligne la Pr Breitbart.
Si l’enquête est globalement résolue, il reste néanmoins plusieurs aspects à éclaircir.
Par exemple, la provenance du scuticocilié et les conditions environnementales susceptibles d’avoir favorisé l’infection de ses victimes. Ou encore, sa dangerosité pour d’autres espèces d’oursins. Fait intriguant, les chercheurs ont noté que l’épisode de mortalité massive s’était produit peu ou prou aux mêmes endroits que ceux où les coraux souffraient de la « maladie de la perte de tissu » – un autre terrible fléau dans les Caraïbes… pour lequel l’enquête, elle, est toujours en cours.
geo