Jean Todt au Sénégal: «Il faut expliquer que la route est dangereuse»

Ancien co-pilote de rallye et figure de la Formule 1 devenu envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la sécurité routière, Jean Todt vient d’achever une tournée au Sénégal et en Côte d’Ivoire, deux pays endeuillés récemment par des accidents particulièrement meurtriers. Comment parvenir à l’objectif de réduire de moitié les victimes de la route d’ici à 2030, notamment sur le continent africain ? Faut-il privilégier la prévention, les sanctions ? Entretien avec Jean Todt.

RFI : La route tue plus en Afrique que dans le reste du monde. Selon l’ONU, on y déplore autour de 25% du nombre de victimes alors même que le continent concentre à peine 2% du parc automobile mondial. Comment l’expliquez-vous ?

Jean Todt Pour faire une comparaison, pour une population de 100 000 habitants, il y a 25 morts tous les ans en Afrique, comparé à l’Europe, il y a 5 morts pour 100 000 habitants. C’est échelle par cinq. Les raisons sont le manque d’éducation, l’application des lois, la qualité des véhicules, la qualité des routes, la qualité des secours. Cette situation doit changer.

Vous dites, on connaît les solutions, elles existent. Quelles sont-elles ?

Il y a des choses extrêmement simples comme attacher sa ceinture de sécurité, non seulement pour le conducteur, mais pour également les passagers avant et arrière. Le port du casque : si vous sortez de cette pièce où nous sommes, vous allez voir tous les deux-roues sans casque. Les quelques casques que vous pouvez voir, souvent ne sont pas aux bonnes normes. C’est plus une casquette qu’un casque. Donc là, éduquer et faire appliquer les lois, parce que la loi existe : le port du casque est obligatoire, le contrôle de la vitesse, le fait de téléphoner en conduisant, le fait d’être sous l’influence de l’alcool ou de la drogue en conduisant. Si on arrive à contrôler ces éléments, on atteindra l’objectif de diviser par deux le nombre de victimes.

Vous dites, ce sont des solutions simples. Mais certaines ne le sont pas tant que ça ou en tout cas demandent des moyens. Par exemple, la vétusté des véhicules. C’est un fait, le parc automobile ici au Sénégal ou dans la région demande des moyens pour le renouveler, l’état des routes également, le contrôle de la vitesse. Ça, ce sont des investissements…

Vous avez raison pour les véhicules, vous avez raison pour les routes. Par contre, le contrôle de la vitesse, il peut commencer aujourd’hui. Il suffit d’avoir une police diligente et de pouvoir acheter quelques radars, de toutes les manières qui seront rapidement compensés par les pénalités qu’auront à payer tous les offenseurs de la route. Au niveau du parc, il y a deux aspects. Il y a des véhicules anciens qui sont déjà dans le pays, donc, là, il faut procéder à des contrôles techniques. Puis, il y a des véhicules qui sont importés, il faut effectuer un contrôle avant que le véhicule soit rendu disponible aux futurs acheteurs.

Il y a aussi la problématique, on l’a vue ici, des pneus importés d’occasion, les pneus usagés, interdits depuis récemment. Cela aussi, c’est quelque chose que vous retrouvez dans d’autres pays ?

Bien sûr. Là, il faut faire également appel au secteur privé, engager les manufacturiers, les fournisseurs de pneumatiques. Puis, beaucoup de gens ne savent pas qu’ils ont sur leur véhicule des pneus qui sont trop vétustes. Donc, il y a beaucoup d’informations à mettre en œuvre.

Ici, au Sénégal, il y a eu des accidents dramatiques. Dans un plan du gouvernement en ce début d’année, l’une des mesures a été l’interdiction pour les transports de voyageurs de rouler la nuit. Est-ce que cela, pour vous, c’est une mesure efficace, directement, concrètement ?

Au-delà des mesures, il faut s’assurer de l’application des mesures. Là effectivement, c’est une mesure qui a été appliquée de manière à éviter d’avoir des chauffeurs qui transportent des passagers dans un état d’endormissement, il faut que les chauffeurs aient le temps de dormir. Donc, ça me paraît indispensable.

Et pour revenir à ce plan, ces 22 mesures du Sénégal, on a vu à ce moment-là des réticences notamment des transporteurs qui ont dit : « non, ça, on n’en veut pas ». Le gouvernement a dû reculer sur certaines mesures. Comment faire face à ces réticences, à ces blocages ?

Déjà, il y a tout le temps une réticence au changement. Ce qu’il faut, c’est expliquer que la route est dangereuse, que les gens sont vulnérables s’ils sont sur la route, que ce soient des piétons, des cyclistes, des motocyclistes ou des automobilistes. Et les changements constructifs, il faut les mettre en œuvre quelles que soient les réticences qu’il puisse y avoir.

Vous insistez plus sur les sanctions que sur la prévention ?

Les deux vont de pair. Il faut une bonne prévention, cela évitera les sanctions. Mais si la prévention est insuffisante ou si les gens ne veulent pas écouter, il faut des sanctions. Il faut être dissuasif. Il faut avoir peur et savoir que si on fait une erreur, il y aura des conséquences.

Vous êtes un ancien copilote, ancien directeur de l’écurie Ferrari durant toute une partie de votre carrière. L’objectif a été d’aller vite, le plus vite possible. Est-ce que ce n’est pas contradictoire de demander aux gens d’aller moins vite ?

Absolument pas. On va vite dans certaines conditions. Dans la Formule 1, le vainqueur c’est celui qui va avoir été le plus performant. Mais par contre, quand les pilotes de Formule 1 s’arrêtent pour ravitailler, passent par la voie des stands, il y a une vitesse limitée : 80 km/h. Et s’ils sont à 81 km/h, ils sont pénalisés, ils ont perdu la course. C’est de la discipline.

rfi

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