Quelque 52 millions d’électeurs appelés aux urnes, 500 sièges en jeu : le scrutin législatif thaïlandais qui se tient dimanche 14 mai oppose encore une fois le bloc conservateur soutenu par l’armée aux partis progressistes, et comme depuis 20 ans, c’est la formation de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra qui fait la course en tête dans les enquêtes d’opinion.
Il a beau vivre en exil, on ne parle que de lui. Thaksin Shinawatra, le fugitif le plus célèbre de Thaïlande, reste incontournable dans la vie politique thaïlandaise. Premier ministre de 2001 à 2006 avant d’être déposé par un coup d’État militaire, il a dû quitter son pays en 2008 pour échapper à des poursuites judiciaires. Il partage sa nouvelle vie entre Londres et Dubaï, mais n’a jamais cessé de tirer les fils de l’opposition thaïlandaise, en capitalisant sur l’immense popularité acquise pendant son mandat.
« Lorsque son parti est arrivé au pouvoir en 2001, ça a été un chambardement total, rappelle le sociologue Jean Baffie, chercheur associé à l’Institut de recherches asiatiques (IrAsia). Pour la première fois, la politique avait un impact sur la vie quotidienne de la population. C’était tout à fait nouveau, et depuis cette époque-là, il y a des gens qui sont des inconditionnels de Thaksin Shinawatra et de ses partis politiques. C’est même la majorité du peuple : dans le Nord ou dans certaines provinces de la plaine centrale, les habitants ne voteront jamais que pour les partis de Thaksin. Il n’y a que lui qui ait cette dimension dans la politique thaïe. »
Paetongtarn Shinawatra
À deux jours des élections, il suffit de consulter les sondages pour prendre la mesure du phénomène. Le parti qu’il a fondé, le Pheu Thai, domine de très loin le paysage politique, avec 38% des intentions de vote, et son programme reste celui qui a toujours fait son succès : augmentation du salaire minimum, couverture maladie pour tous, baisse du coût des transports, soutien aux classes populaires. Les détracteurs de Thaksin Shinawatra crient au populisme depuis des années, mais le résultat des urnes est implacable, car, au nombre de voix, le Pheu Thai est arrivé en tête de toutes les élections depuis une quinzaine d’années, porté par différentes figures du clan familial.
Après son beau-frère, chef du gouvernement en 2008, sa sœur Yingluck, au pouvoir entre 2011 et 2014, c’est désormais la fille de Thaksin, Paetongtarn Shinawatra, qui mène campagne au nom du Pheu Thai, et qui joue, elle aussi, de la nostalgie des années 2000, la période Thasksin, où l’économie était florissante. Peut-elle à son tour se glisser dans le costume de Premier ministre ? Même si le Pheu Thai récolte la majorité des suffrages, c’est loin d’être garanti, car depuis la réforme de la Constitution imposée par la junte en 2017, le Sénat pèse très lourd dans le processus électoral et il est nommé par les militaires.
Le scénario des dernières législatives pourrait se répéter : en 2019, le Pheu Thai avait gagné le vote populaire mais, contraint et forcé par les mécanismes institutionnels, s’était effacé au profit du candidat de l’armée. « Il faut voir le type de gouvernement qui sera formé à l’issue des élections, prévient Matthew Wheeler, analyste Asie à l’International Crisis Group. Va-t-il refléter le sentiment général, respecter le vote populaire ? Ou bien se dirige-t-on vers un exécutif façonné par le Sénat, qui dérive de la junte ? Si l’armée choisit un gouvernement minoritaire et ne tient pas compte du sens des suffrages, il faut se préparer à de nouveaux troubles politiques en Thaïlande. »
Restent deux éléments à surveiller. Au risque de se couper de son électorat, le Pheu Thai pourrait choisir, par pragmatisme, de gouverner avec les partis conservateurs. Et la surprise du chef : après 17 ans d’absence, Thaksin Shinawatra en personne serait prêt à revenir en Thaïlande au mois de juillet. Il faudrait pour cela que Rama X, le puissant roi de Thaïlande, l’y autorise, et que la justice l’absolve. Le feuilleton Thaksin n’est donc pas terminé.
rfi