Au cours des mois de mars et avril, les organisations de défense des droits des migrants présentes en Bosnie-Herzégovine ont été témoins de renvois massifs de migrants en bus, depuis la Croatie voisine. Zagreb affirme agir en vertu d’un accord bilatéral conclu avec son voisin mais des zones d’illégalité demeurent.
Ce sont des convois peu communs que la presse locale bosnienne a repéré entre la fin du mois de mars et le début d’avril. Des bus ou minibus franchissant la frontière nord de la Bosnie-Herzégovine depuis la Croatie et roulant jusqu’aux camps pour migrants de Lipa et Borici. Le 31 mars dernier, le site Dnevni Avaz rapportait l’entrée d’une « centaine de migrants en Bosnie dans des bus en provenance de Croatie ». Le média précisait que les personnes ont ensuite été acheminées vers le camp de Lipa, tout proche de la ville de Bihac.
L’organisation No Name Kitchen, présente dans plusieurs pays des Balkans notamment pour recenser les cas de violences policières aux frontières, a pu recueillir des témoignages d’exilés ayant subi ces réadmissions.
Début avril, une famille kurde a déclaré avoir été arrêtée alors qu’elle se trouvait dans une gare croate. La famille a été emmenée dans ce qu’elle a décrit comme une « prison souterraine » et y est restée deux jours, sans lit, sans couverture et avec une quantité insuffisante de nourriture.
Après un trajet dans une camionnette sans fenêtre, la famille a ensuite été emmenée en centre de détention pour quatre nuits, avant d’être de nouveau déplacée vers un autre lieu. C’est à partir de cet endroit que les autorités croates les ont fait monter dans des bus pour la Bosnie. Une fois de l’autre côté de la frontière, d’autres bus sont venus les chercher et les ont emmenés au camp de Lipa.
Au préalable, les parents avaient été contraints de signer des documents dont ils ne comprenaient pas la signification. Les autorités croates leur ont également déclaré qu’ils avaient l’interdiction de revenir en Croatie pendant un an, faute de quoi, ils seraient emprisonnés pendant 18 mois.
Des refoulements officialisés
No Name Kitchen a pu obtenir un exemplaire de ces documents. On peut y lire des détails comptables semblables à une facture et les intitulés « Coût d’hébergement au centre » et « Coût du transport en véhicule de police ». Preuve que les autorités croates ont souhaité faire payer aux exilés les frais de leur détention et de leur refoulement.
Many of the people on the move pushed back from European Union come with an expulsion paper.
Many have documents showing that they have been put into detention centers in Croatia for weeks &they have been obliged to pay their expenses.
ILLEGAL AND INHUMAN pic.twitter.com/NOrXD37KlY
— NoNameKitchen (@NoNameKitchen1) April 7, 2023
Le document a inquiété les associations d’aide aux migrants présentes dans la zone car, après des années de refoulements violents illégaux, la pratique semble s’être officialisée entre la Croatie et la Bosnie.
« Nous estimons que 250 personnes ont été transportées de Croatie vers la Bosnie selon un accord de réadmission [entre les deux pays]. Mais, il faut rappeler que, même en cas d’accord de réadmission entre deux pays, des irrégularités peuvent exister », indique à InfoMigrants Barbara Becares, de No Name Kitchen.
Impossibilité de demander l’asile
Parmi ces irrégularités figure le fait que les personnes refoulées n’ont pas eu la possibilité de déposer une demande d’asile en Croatie alors que cette protection est inaccessible en Bosnie-Herzégovine. Le système d’asile est totalement inefficace dans le pays. Selon les chiffres du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), cités par Human Rights Watch (HRW), seules cinq personnes ont obtenu l’asile en Bosnie en 2021, une seule en 2020 et trois en 2019.
HRW a publié, début mai, un nouveau rapport sur les refoulements de migrants à la frontières croate confirmant ces pratiques. « Une centaine de personnes, dont plus de 20 enfants non accompagnés et plus de 20 parents voyageant avec de jeunes enfants, ont décrit des refoulements souvent brutaux. Certaines personnes ont déclaré que la police croate les avait repoussées des dizaines de fois, ignorant systématiquement leurs demandes d’asile », souligne l’ONG de défense des droits humains dans le résumé de son rapport.
La Croatie a déjà été accusée de pratiquer des refoulements avec violences à de très nombreuses reprises mais Zagreb a toujours nié ces pratiques. Le pays a intégré en janvier dernier l’espace Schengen de libre circulation. « Dans les mois qui ont précédé la décision, la police des frontières a semblé repousser moins de personnes et réduire certaines de ses pratiques les plus violentes. Néanmoins, en mars, elle avait repris ses refoulements à grande échelle », note encore Human Rights Watch dans son rapport.
Certains de ces refoulements ont concerné des dizaines de personnes à la fois, renvoyées par bus dans le cadre d’un accord de réadmission. « C’est une procédure formelle effectuée aux postes frontières habituels », rappelle HRW. « Mais les réadmissions de Croatie vers la Bosnie-Herzégovine ne tiennent pas compte des besoins de protection et n’offrent pas les garanties essentielles d’une procédure régulière, y compris le droit de faire appel », assure l’organisation.
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