Soudan: des bénévoles ramassent et enterrent les cadavres inconnus qui jonchent les rues de Khartoum

Un mois après le début des affrontements entre l’armée soudanaise et les forces paramilitaires,  les principales villes du Soudan sont toujours le théâtre de combats de rue et subissent des raids aériens. Dans la capitale Khartoum, des corps sans vie jonchent les rues, laissés à l’abandon compte tenu de la situation sécuritaire peu stable. Des bénévoles soudanais ont lancé une initiative pour enterrer dignement les victimes civiles de la guerre, et retrouver les disparus, morts ou vivants.

Dans les principales villes de l’agglomération de Khartoum, où les combats se poursuivent en pleine rue, les habitants se retrouvent sans accès aux denrées de premières nécessité ou aux services médicaux urgents. Seulement 28% des établissements médicaux opèrent actuellement dans le pays, seulement 16% de ceux de la capitale selon le comité central des médecins soudanais.

Mi-avril, lorsque les affrontements armés se sont déclenchés entre les forces armées soudanaises (SAF) et les paramilitaires des forces de soutien rapide (FSR), la rédaction des Observateurs avait reçu nombre d’images montrant les rues de la capitale jonchées de cadavres de civils et de soldats, les raids et échanges de tirs en continu empêchant leurs proches ainsi que les équipes médicales de récupérer ces corps et les enterrer. 

Depuis la deuxième semaine des combats, un groupe de bénévoles, œuvrant sous la supervision des organisations du Croissant Rouge et de la Croix Rouge soudanais, arpente les rues de Khartoum pour ramasser les défunts et les enterrer dignement. Les bénévoles de cette initiative partagent sur Twitter, Instagram ou Facebook des numéros de contact mis à la disposition des habitants de Khartoum, Omdurman et Bahri – qui constituent le « grand Khartoum »- pour que tout citoyen qui croise un cadavre puisse en signaler les coordonnées aux équipes qui le récupèrent par la suite.

Des bénévoles partagent sur Facebook, Instagram et Twitter cette annonce : « Si vous croisez un cadavre dans n’importe quelle zone [de Khartoum] appelez nous. Ceci est un service uniquement bénévole, sans rémunération. »

« J’ai ramassé des têtes séparées de leurs corps, c’est atroce »

Mohammad Moussa est bénévole de la localité de Khartoum. 

Les bénévoles ne sont pas très nombreux et nous avons seulement deux véhicules : l’un pour transporter les membres de l’initiative, l’autre a été transformé en véhicule mortuaire. Ce n’est pas suffisant pour couvrir toute l’agglomération de Khartoum, alors on fait le tour d’une localité à la fois, et ainsi de suite, et nous progressons de cette manière.

Le Croissant rouge chapeaute l’initiative sans toutefois pouvoir y participer, car lorsque des équipes humanitaires sont sur le terrain, il faut aussi assurer leur protection [ce qui est compliqué par les nombreuses infractions au cessez-le-feu par les deux parties du conflit, NDLR].Ils nous fournissent toutefois des tenues protectrices et des équipements pour récupérer et conserver les corps en toute sécurité.

C’est très dur car certains de ces corps sont dans la nature depuis des jours : nous devons récupérer des cadavres en état décomposition parfois très avancé, voire mangés par des bêtes. J’ai ramassé des têtes séparées de leurs corps, c’est atroce.

Dès lors qu’on a commencé l’opération, nous avons rencontré des difficultés au niveau administratif, car plus aucun représentant de l’administration locale n’était présent à Khartoum pour nous donner les autorisations nécessaires à l’enterrement d’un aussi grand nombre de cadavres.

“Les morgues des quelques hôpitaux encore opérationnels à Khartoum sont pleines à craquer”

Nous avons donc dû aller obtenir cette autorisation à Jebel Aulia [à 39km, NDLR] au sud de la ville, et encore, les procédures ont aussi pris beaucoup de temps, vu la situation sécuritaire très fragile. 

Lorsqu’on identifie un corps, grâce à des documents, ou s’il correspond à une description donnée par sa famille, l’étape suivante est de l’enterrer. Pour les autres, en théorie nous devons les stocker à la morgue, mais les morgues des quelques hôpitaux encore opérationnels à Khartoum sont pleines à craquer. Une fois, nous avons dû laisser les corps dans le véhicule pendant toute une nuit jusqu’à ce que les tombes soient creusées, parce qu’il n’y avait pas d’espace « de stockage » à la morgue de Jebel Aulia.

Cette internaute lance un avis de recherche d’un jeune homme disparu le 14 mai après qu’il ait été arrêté à un checkpoint des Forces de Soutien Rapides

A un moindre degré, nous aidons aussi à identifier et retrouver les personnes dont la disparition a été signalée par leurs proches sur les réseaux sociaux. Si un corps correspond à une description ou porte une marque identifiable, les équipes préviennent leurs familles. Nous fonctionnons beaucoup au bouche-à-oreille, car certaines zones sont totalement coupées d’internet et de télécommunications.

Parfois, une personne disparue est en réalité tout simplement terrée quelque part sans accès à un téléphone, et bloquée à cause des combats. Dans ce cas, nous faisons travailler le réseau de bénévoles d’une ville à une autre, qui vont apporter les nouvelles aux proches des disparus et leur assurer que leur proche est bien vivant.

Ce n’est pas la première fois que la capitale soudanaise se retrouve submergée de cadavres inconnus. En 2022, plusieurs milliers de cadavres des victimes de la répression policière des manifestations pro-démocratie ontété découverts dans un état avancé de décomposition dans les morgues de Khartoum et Omdurman, qui souffraient déjà d’un surplus de cadavres non identifiés par rapport à leurs capacités respectives. 

Haitham Ibrahim est coordinateur presse au Croissant Rouge soudanais. 

Nous avons actuellement  déployé deux équipes de bénévoles : l’une à Khartoum centre, l’autre à Bahri [appelée « Khartoum Bahri », la ville se situe à l’est de la du centre-ville, NDLR]. Après l’opération de Jebel Aoulea où sept personnes ont été enterrées, nous sommes montés à Afraa, au nord de Khartoum, où nous avons pu enterrer onze autres personnes. Nous essayons de communiquer et de coordonner avec les deux parties du conflit afin d’assurer une protection à nos équipes bénévoles. Enfin, nous avons pu trouver de la place pour plus de victimes dans la zone d’Ash Shuqaylah.

Des bénévoles enterrent une personne dans un jardin privé, à cause de l’insécurité des routes.

Nous n’avons pas pu avancer plus que cela à Bahri et au centre de Khartoum, car les combats se sont intensifiés et les procédures étaient donc bloquées. Mais, dès qu’un cessez-le-feu sera réellement respecté et que nous aurons le feu vert pour nous déplacer en sécurité dans les zones les plus touchées, nous pourrons couvrir une zone de mobilisation plus large.

Depuis que les combats ont éclaté au Soudan, pas moins de 600 personnes, dont des civils, ont été tuées, et plus de 5100 gravement blessées au 16 mai, selon l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS).

observers

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