Quelque 25 réfugiées sud-soudanaises ont été violées au sud de Khartoum. À Bahri, au nord de la capitale, deux domestiques éthiopiennes, abandonnées par leur employeur ayant fui la guerre, ont connu le même sort. À l’est, dans l’enceinte de la prestigieuse université pour femmes Ahfad d’Omdurman, ce sont à nouveau deux femmes de ménage de nationalité éthiopienne qui ont été visées. À Nyala, la capitale du Darfour du Sud, au moins 18 femmes et jeunes filles, souvent issues de communautés déplacées par les conflits précédents, ont elles aussi été violées?
Au total, Hala Alkarib, la directrice régionale de l’ONG Siha (Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa), recense des dizaines de cas de viol depuis l’éclatement, le 15 avril, des affrontements opposant le chef des forces armées soudanaises, le général Abdel Fattah al-Burhane, à celui de la redoutable milice paramilitaire des forces de soutien rapide (FSR), le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemeti ». « Il y a en réalité beaucoup plus de victimes », prévient Hala Alkarib. Le pays des deux Nil a en effet une triste tradition d’utilisation des violences sexuelles comme une arme de guerre.
Une culture d’impunité
Depuis le début du conflit du Darfour, en 2003, des centaines de viols ont été perpétrés. « Pas un seul procès pour viol n’a eu lieu dans cette région », déplore Hala Alkarib. La situation n’est guère plus enviable à Khartoum, où l’activiste cite quelques rares peines d’emprisonnement pour des viols d’enfants. Les habitantes de la capitale ont pourtant, elles aussi, subi massivement ces sévices. Le 3 juin 2019, lors du sanglant démantèlement du sit-in révolutionnaire qui réclamait la remise du pouvoir aux civils, des dizaines de femmes, de tous les âges et de toutes les classes sociales, ont été agressées. Nombre d’entre elles ont depuis gardé le silence.
« J’avais 18 ans et j’étais vierge. Huit hommes m’ont violée. Depuis, c’est comme si j’avais perdu ma valeur. Je n’en ai parlé à personne. Mes proches pourraient me tuer s’ils l’apprenaient », confie anonymement l’une de ces victimes. Bien consciente des tabous dans une société survalorisant la virginité des adolescentes et des femmes non mariées, Hala Alkarib estime que les viols commis depuis le début de la guerre s’étendent en réalité à l’ensemble de la population.
Toutes les femmes visées sans distinction
« Les premiers signalements nous viennent des réfugiées et des populations déplacées, car ces dernières ont été davantage sensibilisées à l’importance de dénoncer ces violences lors de leur passage dans les camps gérés par des humanitaires. Ces femmes sont par ailleurs plus résilientes après toutes les violences qui ont entaché leur passé. Beaucoup d’autres victimes sont encore sous le choc et vont avoir besoin de temps pour déclarer ces viols, si elles le font un jour », souligne la défenseuse des droits des femmes.
Depuis Nyala, la capitale du Darfour du Sud, Nahlla Yousif, la représentante de l’ONG nationale Elmostagbal for Enlightenment and Development, confirme : « Les viols ne se limitent pas aux déplacées. Ils sont utilisés comme une arme de guerre contre toutes les femmes et les jeunes filles sans discrimination. L’objectif est de générer un sentiment de honte au sein de la société », résume-t-elle.
Un appel à la communauté internationale
Les premières victimes qui se sont exprimées ont systématiquement accusé les miliciens des FSR. « Leur entraînement consiste à terroriser les civils », explique Hala Alkarib, de Siha. Les différents mouvements et forces armés ont néanmoins pour habitude de s’échanger leurs uniformes pour semer le doute sur leurs responsabilités respectives? Depuis Omdurman, où les FSR ne sont plus qu’à 200 mètres de chez elle, la militante historique Ihsan Fagiri regrette la culture patriarcale ayant nourri ce climat de violences sexuelles.
« Les mouvements de femmes ont fait de nombreuses propositions de loi au gouvernement de transition d’Abdallah Hamdok entre septembre 2019 et le coup d’État du 25 octobre 2021. Mais personne ne nous a écoutées car ces politiques avaient pour unique ambition de se maintenir au pouvoir », accuse la vice-présidente du collectif No to Women’s Oppression. Avant d’interpeller : « Les combattants utilisent, en ce moment, le corps des femmes comme une arme pour gagner la guerre. Nous avons besoin de l’intervention de la communauté internationale pour y mettre un terme. »
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