Premier long métrage à Cannes : Envoûté et envoûtant, le Congo de Baloji

Premier film de fiction congolais sélectionné à Cannes, «Augure», du rappeur Baloji, a reçu un accueil chaleureux de la critique sous une pluie de qualificatifs tels qu’«envoûtant», «magique», «ensorcelant», etc. Vu de la Croisette, cette année, le surnaturel n’a, en tout cas, pas perdu son charme.

Un cavalier de noir vêtu, chevauchant une monture d’encre zèbre, une zone désertique surchauffée à blanc. Devant une flaque d’eau miraculeuse, il met pied à terre. Sous le chèche, il s’avère qu’il s’agit d’une … cavalière. De son sein pressé, jaillit un lait qui génère dans le liquide, de sublimes nuées rose fluo. En une séquence d’ouverture, Augure convoque, dans la section «Un certain regard» du Festival de Cannes, un univers où le surnaturel tend à déborder. En swahili, le titre Omen signifie présage.

Bienvenue dans le premier long métrage de fiction représentant le Congo (Rdc, ex-Zaïre) jamais projeté au Festival de Cannes et, en même temps s’agissant d’une coproduction, le seul film belge parmi 60 productions sélectionnées provenant de 27 pays. En Belgique, Bajoli, son auteur, est une star belgo-congolaise du rap.

Il revendique son identité «afropéenne», selon sa propre expression. (Ma) musique est «trop noire pour les Blancs/Trop blanche pour les Noirs», chante ce poète doublé d’un artiste performer. 137, avenue Kaniama, titre d’un de ses albums, indique avec précision l’adresse de sa naissance, en 1978, dans un quartier populaire de Lubumbashi, chef-lieu du Katanga et capitale économique de la Rdc.

Techniquement, Augure s’apparente au genre du film dit «choral», distribuant le récit en quatre personnages. Celui qui sert de prétexte à l’action s’appelle Koffi (Marc Zinga). Natif lui aussi de Lubumbashi, il revient après 15 ans d’absence auprès de sa famille, accompagné de sa future épouse, Alice, enceinte de jumeaux. C’est pour eux l’occasion de s’acquitter de la dot due au père du marié en vue de la noce. Mais, comme Koffi l’appréhendait, l’accueil n’est en rien chaleureux.

Il porte toujours sur le visage un angiome. Une tache de vin qui peut sembler banale si on considère que près d’un enfant sur dix naît avec sur la terre. Mais ici, au Katanga, c’est la marque diabolique du Zabolo. Elle assigne Koffi au statut de sorcier qui lui a valu d’être autrefois banni par sa mère. En outre, sa fiancée, Alice (Lucie Debay), a la peau blanche, ce qui n’arrange rien à l’affaire.

Et puis, il est «mal coiffé» saigne du nez et souille le visage de son neveu nouveau-né. Malédiction supplémentaire. Bref, non seulement sa mère ne lui ouvre pas, mais le jeune homme se voit prescrire un vigoureux exorcisme au cours d’un rite syncrétique mixte d’animisme et de christianisme, comme il en abonde dans la région. Trois clous sont plantés au sommet du masque de bois dont on lui couvre le chef.

Une tentative d’auto-exorcisme ?
Ce ne sont que quelques péripéties d’un voyage fantasmatique qualifié par les critiques internationaux présents à Cannes «d’onirique» (?), «hallucinogène» et/ou «ensorcelant» dans une Afrique que l’Occident préfère imaginer cadenassée dans les réserves du Musée de l’Homme ou encore de celui des Arts Premiers, sur le Quai d’Orsay à Paris. Fétiches, processions hautes en couleurs ou se défient sur un ring de catch en plein air, des gangs de gamins déguisés en mini Mobutu à toques léopard ou encore en tutus roses de danseuses tandis qu’une fanfare de type New-Orleans anime la danse des masques.

Tous sorciers, sorcières ? Baloji explique que pour lui, il est question de dénoncer par ce film haut en couleurs certes, les «assignations» que font peser sur les personnes, les superstitions qui courent les rues de Lubumbashi et alentours. Augure peut au demeurant être considéré comme un œuvre «d’art total», picturale, magique et musicale : ses quatre personnages-clés ont été déclinés en quatre albums musicaux.

Enfin, en swahili Tshiani, le patronyme de Bajoli signifie homme de science mais aussi, au pluriel, sorcier. Et si l’envoûtant Augure était (par ailleurs) une tentative d’auto-exorcisme ?Par Jean-Pierre

lequotidien

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