France: faible mobilisation pour la 14e journée contre la réforme des retraites

Après cinq mois de mobilisation contre la réforme des retraites, les syndicats et manifestants ont défilé mardi 6 juin dans toute la France. Cette 14e journée a été toutefois marquée par le plus faible niveau de participation depuis le début du mouvement social en janvier, d’après les chiffres des autorités comme ceux des syndicats. Ceux-ci entrevoient la fin du « match » avec une tentative d’abrogation mal engagée à l’Assemblée jeudi, mais entendent « rester unis » pour peser sur d’autres sujets.

Pas de sursaut pour le baroud d’honneur. Plus d’un mois après les manifestations du 1er-Mai, les cortèges contre la réforme des retraites étaient plus épars que jamais, partout en France. Le ministère de l’Intérieur a compté 281 000 manifestants en France, et la CGT « plus de 900 000 » manifestants : c’est le niveau le plus bas annoncé depuis le début du mouvement le 19 janvier, dont l’estimation la plus basse remontait au 11 mars avec un million de manifestants dans le pays.

À Paris, la préfecture a annoncé 31 000 participants (moins que les 37 000 du 15 mars et du 16 février), et la CGT 300 000 participants, plancher déjà atteint à deux reprises durant l’hiver. En province aussi les chiffres sont souvent descendus sous les plus bas niveaux précédemment enregistrés : 8 000 à 50 000 manifestants à Toulouse, entre 5 500 et 10 000 à Rennes, ou encore 5 000 à 10 000 à Grenoble.

Même dans les bastions de la contestation, les chiffres sont les plus faibles enregistrés en près de cinq mois. À Nantes, ils étaient ainsi 8 600 selon la police, 20 000 d’après les organisateurs – plus bas encore que le 11 mars, point bas du mouvement jusqu’à présent.

«Il ne s’est rien passé, c’était une promenade pour les vieux et les enfants : Cela fait un peu enterrement», s’agace Fred, menuisier-charpentier à la retraite, 57 ans, déçu de la manifestation qui a rassemblé peu de monde

Marine de La Moissonnière

À Paris, le cortège s’est ébranlé vers 14h25 (12h25 TU) des Invalides vers la Place d’Italie. Sur un total de 11 000 policiers et gendarmes dans toute la France, près de 4 000 encadrent la manifestation dans la capitale, où un millier de radicaux étaient attendus, selon l’exécutif.

« Le match est en train de se terminer, qu’on le veuille ou non, avec cette inconnue de ce qui se passera jeudi à l’Assemblée », a déclaré mardi le numéro un de la CFDT, Laurent Berger. Il a appelé les syndicats à « peser dans le rapport de force à venir » sur d’autres sujets comme les salaires ou les conditions de travail.

Le chef de la CFDT Laurent Berger dit que «les 64 ans ne seront jamais acceptés» et «le gouvernement va payer le prix fort»

Nathanaël Vittrant

« Nous voulons de vraies négociations », a prévenu à ses côtés la numéro un de la CGT, Sophie Binet. Soulignant que « les retraites resteront toujours un combat », elle a mis en avant l’objectif de « gagner des avancées concrètes ». « L’intersyndicale va rester unie », a-t-elle ajouté, jugeant « probable qu’il y ait d’autres manifestations au vu de la colère dans le pays ».

« Exprimer une colère »
« Ce mouvement a permis d’exprimer une colère », constatait Michel Moulbach, ouvrier en bâtiment de 60 ans et syndiqué CGT dans le cortège lillois, ajoutant qu’« il faut être réaliste » et qu’à l’approche des vacances, « ça va être difficile de ne pas faire une pause ».

L’infirmière et secrétaire générale de la CFDT-Santé Évelyne Rescanières explique qu’il est normal d’avoir une mobilisation moins importante que lors du 1er mai. Malgré cela, elle veut encore y croire.

Selon la cheffe de la CFDT-Santé Évelyne Rescanières, «cela vaut quand même le coup de montrer qu’on est contre cette réforme»

Nathanaël Vittrant

Les cortèges ont été émaillés de heurts entre manifestants et forces de l’ordre, notamment à Lyon, Toulouse, Nantes et Rennes, mais plutôt moins que lors des dernières manifestations. À Paris, un CRS a été blessé, et du mobilier urbain dégradé, et la préfecture avait procédé à 28 interpellations à 18h45.

Le défilé parisien est cependant passé sans accrochage devant l’Assemblée nationale, les manifestants redoublant de huées et collant à même le sol, en lettres majuscules : « Ci-gît la démocratie ». Signe de leur désillusion après les « passages en force » de l’exécutif au Parlement, malgré la tentative d’abrogation des oppositions.

Contrairement aux précédentes journées, peu de perturbations ont été recensées dans les écoles (5,67 % d’enseignants grévistes en moyenne, selon le ministère). Dans les transports, la SNCF a fait circuler neuf trains sur dix en moyenne, tandis qu’un tiers des vols ont été annulés à l’aéroport d’Orly.

Quelques actions coup de poing ont émaillé la matinée en région parisienne : le siège du Comité d’organisation des Jeux olympiques de 2024 a été brièvement envahi par des militants CGT et des électriciens ont procédé à une coupure de courant à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).

Pour Catherine Despoisse, retraitée de la région parisienne, il va lui rester «un sentiment de colère» vis-à-vis d’un pouvoir «qui va à l’encontre du bien commun, avec un manque d’humanité»

Marine de La Moissonnière

Les leaders syndicaux ont tenu leur traditionnel point de presse devant l’Assemblée, marquant symboliquement le lien avec la journée de jeudi, lorsque sera examinée une proposition de loi du groupe Liot visant à abroger la réforme.

« Énorme anomalie démocratique » en cas de non vote sur l’abrogation
Mais le camp présidentiel entend avancer. Comme preuve, les deux premiers décrets d’application, dont celui portant progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, ont été publiés dimanche 4 juin au Journal officiel.

Jeudi, la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet devrait dégainer l’article 40 de la Constitution – qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements ayant un impact financier – pour faire obstacle au texte Liot. À l’unisson de la gauche et des députés Liot, Sophie Binet a plaidé qu’il est « indispensable de laisser le Parlement voter » au risque d’une « énorme anomalie démocratique ». Mais pour Laurent Berger, « ce n’est pas bien parti ».

Pour la droite, « le match est joué », a estimé le chef des sénateurs LR Bruno Retailleau sur Sud Radio. Mais à gauche, le chef de file du parti la France Insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon a promis mardi que « la lutte continuera[it] » contre la réforme même s’il a admis ne pas savoir « sous quelle forme ».

Le débat doit se tenir « dans le cadre démocratique et le respect de la Constitution », a de son côté affirmé lundi le président de la République Emmanuel Macron, en marge d’un déplacement au Mont-Saint-Michel. Le gouvernement prévoit la tenue mi-juin d’une réunion multilatérale, soit à Matignon, soit à l’Élysée, avec syndicats et patronat.

Dans les rangs syndicaux, cette perspective suscite peu d’enthousiasme, avec certains syndicats affirmant d’ores et déjà ne pas être présents.

RFI

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