Du 47.1 à l’article 40 en passant par le 49.3, cinq mois d’entraves au Parlement

La bataille de la réforme des retraites a connu son épilogue, jeudi, avec le retrait de la proposition de loi du groupe Liot, vidée de sa substance grâce à l’utilisation de l’article 40 de la Constitution. Un dernier acte dans la lignée des mois précédents, marqués par une série d’entraves au Parlement.

« Nous ferons tout pour que ce débat n’ait pas lieu. » Interrogée sur Public Sénat, le 24 mai, au sujet de la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot), la secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, n’a pas fait dans la langue de bois, trahissant l’état de panique du gouvernement et de la majorité présidentielle.

Emmanuel Macron et sa Première ministre Élisabeth Borne souhaitaient en effet éviter un vote symbolique à l’Assemblée nationale qui aurait pu démontrer l’absence de majorité parlementaire pour reculer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Un vote aux effets potentiellement dévastateurs qu’il fallait donc empêcher.

L’épilogue du combat des opposants à la réforme des retraites, mené de la Nupes au Rassemblement national en passant par le groupe Liot et une poignée de députés Les Républicains, avec une proposition de loi vidée de sa substance par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, résume cinq mois d’entraves au Parlement, principalement menées par l’exécutif, mais aussi, parfois, par les opposants eux-mêmes. Rappel des faits.

Un PLFRSS qui permet l’usage du 47.1
L’examen de la réforme des retraites au Parlement a commencé par un choix de véhicule législatif inédit dans l’histoire de la Ve République : celui d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), alors que les réformes du système de retraite font habituellement l’objet d’un simple projet de loi.

Pour la Première ministre Élisabeth Borne, interrogée à ce sujet le 23 janvier, « les mesures » de la réforme « relèvent d’un PLFSS, et donc on a retenu ce véhicule parce que c’est le véhicule naturel ». Avant d’ajouter : « C’est aussi un type de projet de loi qui est soumis par la Constitution à un certain nombre de règles qui peuvent permettre de lever les obstructions, les blocages ».

Et de fait, le gouvernement n’a pas hésité à activer l’article 47.1 de la Constitution qui permet pour un projet de loi de financement de la Sécurité sociale de limiter la discussion au Parlement à 50 jours, contraignant ainsi fortement les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat.

L’obstruction pour éviter un vote sur l’article 7
En réponse au choix gouvernemental de limiter les débats, les députés de la Nupes répondent par une avalanche d’amendements visant à empêcher un vote, en particulier sur l’article 7 repoussant l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Au total, quelque 18 000 amendements sont déposés par les groupes de gauche, dont près de 13 000 par La France insoumise (LFI).

Cette stratégie d’obstruction est logiquement vivement critiquée par le gouvernement et la majorité présidentielle, mais finit également par faire débat au sein même de la Nupes. Les Français opposés à la réforme des retraites et les syndicats, qui ont organisé avec succès de grandes journées de mobilisation rassemblant plusieurs millions de manifestants, veulent que l’article 7 soit débattu et qu’un vote ait lieu.

Si les députés socialistes, écologistes et communistes finissent, le 13 février, par retirer plus d’un millier d’amendements pour accélérer les débats, alors toujours coincés sur l’article 2, le leader de LFI Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pourtant plus député, convainc ses insoumis de poursuivre l’obstruction. Dans un tweet publié le 16 février qui crée beaucoup de remous au Palais Bourbon, il s’en prend aux communistes : « Pourquoi se précipiter à l’article 7 ? Le reste de la loi ne compte pas ? Hâte de se faire battre ? »

L’examen de la réforme se termine à l’Assemblée nationale le vendredi 17 février à minuit, alors que seuls les articles 1 et 2 ont pu faire l’objet d’un vote.

Au Sénat, Olivier Dussopt dégaine les articles 44.2 et 44.3
Voulant à tout prix obtenir un vote favorable à sa réforme des retraites dans un Sénat dominé par la droite, le gouvernement finit par utiliser deux articles de la Constitution lui permettant d’accélérer encore davantage les débats : le 44.2 et le 44.3.

En réponse au dépôt de plusieurs sous-amendements par la gauche, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, brandit par deux fois, le 9 mars puis le 10 mars, l’article 44.2 lui permettant de « s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ».

Il dégaine surtout l’article 44.3, le 10 mars également, obligeant le Sénat à « se prononcer par un vote unique sur l’ensemble du texte et sur plusieurs amendements retenus par l’exécutif sur les articles 9 à 20 », déclare Olivier Dussopt. Cette procédure, dite du « vote bloqué », permet au ministre de ne retenir, comme le stipule la Constitution, « que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ».

« Les masques tombent. Le gouvernement fait son coup de force parlementaire. Après avoir contourné l’Assemblée nationale, le gouvernement bâillonne le Sénat en déclenchant le vote bloqué », dénonce le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, sur Twitter.

Par 195 voix contre 112, la réforme des retraites est finalement adoptée par le Sénat le 11 mars après une fin d’examen du texte menée au pas de charge. L’article 44.3 n’avait été utilisé jusque-là que trois fois dans l’histoire de la Ve République.

Faute de majorité à l’Assemblée nationale, Élisabeth Borne se résout au 49.3
Après plusieurs jours de tergiversations et ne pouvant compter sur l’ensemble des voix des députés Les Républicains, Emmanuel Macron et sa Première ministre décident, le 16 mars, d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer sans vote à l’Assemblée nationale la réforme des retraites.

« Aujourd’hui, sur le texte du Parlement, l’incertitude plane, à quelques voix près. On ne peut pas prendre le risque de voir 175 heures de débats parlementaires s’effondrer », affirme Élisabeth Borne devant les députés, engageant la responsabilité de son gouvernement.

Avec l’article 49.3, le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale « est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée », indique la Constitution.

Deux motions de censure sont déposées par le groupe Liot et par le RN. Elles sont examinées le 20 mars. La première manque de peu, à neuf voix près, de faire chuter le gouvernement Borne, tandis que la seconde arrive loin du compte. La réforme des retraites est donc considérée comme adoptée.

L’article 40 pour contrer la proposition de loi d’abrogation du groupe Liot
La réforme des retraites étant promulguée par Emmanuel Macron le 15 avril, les opposants au passage à 64 ans tentent un dernier coup. À l’Assemblée nationale, le groupe Liot profite de sa « niche parlementaire » – une journée durant laquelle les groupes d’opposition peuvent présenter leurs textes – prévue le 8 juin pour déposer une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites.

Mais l’exécutif et la majorité présidentielle trouvent la parade, arguant de l’inconstitutionnalité du texte au titre de l’article 40, qui stipule que les propositions de loi et les amendements des parlementaires ne peuvent entraîner une diminution des recettes ou un alourdissement des charges publiques.

Si l’argument est exact en théorie, l’Assemblée nationale est plus souple en ce qui concerne le respect de l’article 40 dans la pratique. Les députés ont ainsi pour habitude de laisser s’exprimer l’initiative parlementaire afin que le débat puisse avoir lieu.

C’est ainsi que la proposition de loi du groupe Liot passe l’étape de la vérification de sa validité par le bureau de l’Assemblée nationale au moment de son dépôt, puis le contrôle par le président de la commission des Finances, Éric Coquerel, saisi par le groupe Renaissance sur la question de l’article 40. Mais la majorité présidentielle parvient le 31 mai à voter en commission la suppression de l’article 1 – celui abrogeant le passage de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.

Cet article est réintroduit sous la forme d’amendements avant l’examen du texte dans l’hémicycle. Mais ceux-ci sont jugés irrecevables le 7 juin par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui affirme qu’elle applique « la règle, rien que la règle ».

« C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’une présidente de l’Assemblée nationale écarte des amendements reprenant une disposition déclarée deux fois recevable. (…) C’est une faute politique grave. (…) C’est une nouvelle étape dans l’abaissement de l’Assemblée nationale qui sortira meurtrie de cette législature », fustige le député Charles de Courson (Liot), jeudi 8 juin, lors de l’examen du texte, avant que le groupe Liot ne décide, au terme de la discussion générale, de le retirer.

france24

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