Le président Bola Tinubu est sorti de son silence lundi, deux semaines après avoir annoncé la fin des subventions sur le carburant au Nigeria. Un « sacrifice » nécessaire, selon le nouveau chef de l’État, qui promet en retour des investissements massifs dans les services publics.
Pour les Nigérians, dont près de la moitié vit sous le seuil de pauvreté, le coup est dur mais était attendu. Élu le 25 février, Bola Tinubu avait annoncé dès son entrée en fonction le 29 mai la fin des subventions sur le carburant, qui coûtaient à l’État des milliards d’euros et l’obligeaient à emprunter massivement pour maintenir l’essence à des prix artificiellement bas.
« C’était une promesse de campagne de tous les principaux candidats à la dernière élection présidentielle. Selon eux, le système de subventions au carburant n’était plus tenable et représentait un gâchis pour l’économie du pays », explique le politologue Dele Babalola, chercheur à l’Université de Canterbury Christ Church, au Royaume-Uni.
Le prix de la paix sociale
Depuis le début des années 1980, cette question revient régulièrement dans le débat public. D’autant que la facture ne cesse de s’alourdir pour les finances publiques, sur fond de baisse de la production pétrolière liée à un sous-investissement chronique et à une contrebande généralisée.
En 2022, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), la compagnie pétrolière nationale, a ainsi dépensé près de 10 milliards d’euros en subventions sur les importations. L’État, qui est censé rembourser le manque à gagner à l’entreprise, n’arrive plus à suivre et lui doit désormais 5,7 milliards d’euros.
« La vérité, c’est que désormais le gouvernement ne peut plus se permettre de payer pour des subventions au carburant », a récemment commenté Mele Kyari, le directeur de la NNPC.
« Le problème vient notamment du fait que le Nigeria n’a pas suffisamment de capacité de raffinage et exporte son pétrole brut pour le racheter ensuite sous forme de produits raffinés », rappelle Dele Babalola, qui souligne l’urgence pour le gouvernement d’investir dans les infrastructures pétrolières vieillissantes du pays.
Malgré leur poids démesuré sur l’économie, les subventions au carburant restent très populaires parmi les Nigérians, qui considèrent l’accès à l’essence bon marché comme l’un des rares bénéfices qu’ils tirent de la manne pétrolière.
Au Nigeria, les premières aides à la pompe ont été introduites dans les années 1970 en réponse au premier choc pétrolier. Le gouvernement militaire d’Olusegun Obasanjo a ensuite formalisé ces subventions en promulguant le « Price Control Act » en 1977.
Mais face au coût de plus en plus exorbitant de cette mesure et aux nombreuses fraudes aux subventions, plusieurs gouvernements civils et militaires ont ensuite tenté d’y mettre un terme, mais ont fini à chaque fois par reculer sous la pression populaire.
En 2012, le pays avait été secoué par plusieurs semaines de grèves et de violentes manifestations faisant sept morts et de nombreux blessés et obligeant le président Goodluck Jonathan à renoncer à couper le robinet des subventions.
En 2021, le Nigeria avait adopté un « Petroleum Industry Act » organisant la dérégulation du marché et mettant fin, en théorie, aux subventions. Mais le gouvernement de l’ex-président Muhammadu Buhari avait malgré tout continué de financer ces aides permettant de maintenir des prix bas pour les consommateurs.
« Un consensus » sur la fin des subventions
Depuis l’annonce de Bola Tinubu, le 29 mai, les prix du carburant ont triplé au Nigeria. Cette envolée frappe au porte-monnaie une population déjà accablée par une inflation de l’ordre de 20 %, des pénuries sporadiques d’essence et d’incessants délestages d’électricité.
Si cette mesure préconisée par la Banque mondiale et le FMI était nécessaire pour favoriser le développement du pays le plus peuplé d’Afrique, des voix critiques estiment que le gouvernement n’a pas suffisamment préparé le terrain pour en limiter les conséquences sur les plus modestes.
« Les autorités nigérianes doivent adopter de toute urgence des mesures visant à protéger les droits des personnes les plus touchées par la suppression des subventions pour l’achat de carburant, et accorder la priorité à la lutte contre la faim, le taux élevé de chômage et la forte détérioration du niveau de vie », assure Amnesty international dans un communiqué.
« La fin des subventions était nécessaire mais elle nécessite du tact. Il faut aussi que le gouvernement s’attaque à l’inflation alimentaire et offre des moyens de transport alternatifs », juge l’entrepreneur Oluseun Onigbinde interrogé par le journal en ligne Premium Times.
Pour le moment, le président Tinubu n’a pas fait d’annonces sociales d’envergure pour accompagner la fin des subventions sur le carburant, hormis la signature d’une loi accordant des prêts étudiants à taux zéro sous conditions de ressources.
Même si les concessions sont limitées, le pays semble garder son calme. Aucune grande manifestation n’est programmée et les syndicats, qui réclament des hausses de salaires, ont annoncé lundi suspendre un appel à la grève illimitée pour poursuivre les consultations avec le gouvernement.
« Il y a un consensus qui s’est formé au Nigeria sur cette question. À cause de la corruption, il n’est plus possible de donner du cash à toute la population », estime Dele Babalola. « Pour les Nigérians, si la fin des subventions permet d’améliorer vraiment l’éducation, le système de santé et les transports… alors ils seront prêts à suivre ».
FRANCE24