Les procès climatiques, un levier de pression efficace pour infléchir la politique des États?

Seize jeunes poursuivent l’État du Montana qu’ils accusent d’enfreindre leur droit constitutionnel à un « environnement propre et sain ». Ces dernières années, les actions en justice liées au climat se sont multipliées pour pousser pays et grands groupes à agir. Avec quels résultats ?

L’État du Montana peut-il être tenu responsable du changement climatique ? C’est la question à laquelle doit répondre la justice de cet État du Nord-Ouest américainpoursuivi par seize jeunes plaignants. Leur argument : les politiques énergétiques locales, en favorisant les énergies fossiles, vont aggraver le dérèglement climatique et donc les priver du droit à un « environnement propre et sain ». Un droit pourtant inscrit noir sur blanc dans la Constitution du Montana.

Qualifié d’« historique » par le New York Times, ce procès s’inscrit dans une « vague mondiale » d’actions pour le climat, rappelle Judith Rochfeld, autrice de Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisations citoyennes. « Mis à part dans les grands pays émetteurs où ce n’est pas possible, comme la Chine, l’Arabie saoudite ou la Russie, on assiste à de très nombreux procès dits “climatiques”, que ce soit contre les États ou contre les entreprises sur tous les continents. »

L’affaire Urgenda
C’est l’accord de Paris sur le climat en 2015 qui a fait changer les choses. « Les pays ont été contraints de déterminer et d’afficher des objectifs nationaux précis. Même s’ils étaient non contraignants, les États ont pu les intégrer dans leurs législations », explique la professeure à l’École de droit de la Sorbonne. Ce qui a facilité les actions en justice, les États pouvant désormais être attaqués sur leurs engagements. Le nombre d’actions en justice liées au climat a alors explosé.

Mais le procès qui fait date en matière de justice climatique, c’est celui d’Urgenda, aux Pays-Bas. Dans cette procédure portée par l’association Urgenda, 886 citoyens accusaient le pays de ne pas prendre de mesures suffisantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Au prix d’une longue bataille judiciaire, la justice a confirmé en appel en 2019 le jugement de 2015, ordonnant aux Pays-Bas de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici à 2020 par rapport au niveau de 1990.

Une première mondiale puisqu’elle marque le fait que la responsabilité d’un État en particulier peut être reconnue dans le réchauffement climatique, même si les émissions de gaz à effet de serre sont mondiales.

Depuis, d’autres grandes affaires ont marqué l’histoire de la justice climatique. Comme L’Affaire du siècle en France dans laquelle le tribunal administratif de Paris a retenu la responsabilité de l’État pour préjudice écologique causé par l’inaction de l’État dans sa lutte contre le changement climatique. L’État français était ainsi considéré responsable d’un mauvais pilotage des politiques climatiques.

De la pression politique à la pression financière
« Le but dans ces actions en justice, comme pour Urgenda, c’est de faire pression sur l’État pour qu’il change sa politique, explique Judith Rochfeld. Dans le cas du Montana, c’est de faire reconnaître que cet État, par différentes lois et sa politique climatique, ne garantit pas un climat stable, favorise les émissions de gaz à effet de serre et donc devrait changer de politique.

Si cette demande aboutissait, cela voudrait dire que toutes les lois du Montana qui seraient contraires à cet enjeu, qui favoriseraient par exemple des énergies fossiles ou qui seraient insuffisantes pour contrer le dérèglement climatique, pourraient être contestées comme non constitutionnelles. »

Ces actions en justice sont donc un moyen de pression politique et médiatique, dans la mesure où il participe à la prise de conscience des citoyens. « Même si ce n’est pas nouveau, le fait que ce soit des jeunes qui agissent est important. Symboliquement, c’est une représentation de la génération présente qui porte le fardeau », souligne Judith Rochfeld.

Mais pour s’assurer que les États prennent des mesures plus urgentes, la justice peut aussi agiter la menace financière. Dans le cas de L’Affaire du siècle, où l’État français a été condamné pour inaction climatique, les ONG réunies au sein du collectif ont demandé ce jeudi 14 juin devant le tribunal administratif de Paris un milliard d’euros d’astreinte. Elles estiment que c’est une façon d’obliger l’État à consacrer cet argent au climat. La décision ne sera pas connue avant des mois mais si elle était validée, cela représenterait une somme historique.

Un précédent existe en France. En 2020, le Conseil d’État avait ordonné à la France d’améliorer la qualité de l’air afin de respecter les normes européennes, reprises en droit français, dans les zones où ce n’était pas le cas, sous peine d’une astreinte de dix millions d’euros par semestre de retard. L’année suivante, jugeant que les efforts n’étaient pas suffisants, la sanction est tombée.

Depuis la situation est régulièrement réexaminée : des améliorations ont été constatées, mais les seuils limites restent dépassés dans plusieurs zones, notamment dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. Depuis 2021, l’État a donc été condamné à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros. Les sommes ont été reversés à des associations de lutte contre la pollution de l’air. Et ce n’est donc peut-être pas terminé.

Mais la justice a parfois la main moins ferme. Dans le cas de Grand-Synthe, cette commune du nord de la France particulièrement exposée aux risques de submersion marine et d’inondation, le Conseil d’État a bien reconnu l’inaction de l’État et l’a enjoint à agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais dans sa dernière décision, datée du 10 mai dernier, la haute juridiction constate une fois encore l’insuffisance de l’État dans sa politique climatique et lui réitère sa demande d’action.

Une décision qui n’est assortie d’aucune astreinte. Cette fois donc, les juges ont donc préféré laisser une chance à l’État plutôt que de l’épingler pour sa lenteur ou sa mauvaise gestion des politiques climatiques. Au risque, considèrent certains, en l’absence de pression financière, de perdre du temps face à l’urgence climatique. « La multiplication des procès crée une pression, mais bien sûr cela ne fait pas tout », rappelle la spécialiste du droit climatique.

L’affaire du Montana est inédite dans la mesure où c’est la première d’une série de procédures de ce type à arriver jusqu’au procès aux États-Unis. En 2020, une affaire similaire, l’affaire « Juliana v. United States » avait été rejetée après avoir suscité un élan de soutien. Vingt et un enfants avaient déposé un recours devant un tribunal de l’Oregon dans lequel ils réclamaient au gouvernement fédéral américain de baisser de manière significative les émissions de CO2, estimant que leurs droits constitutionnels avaient été bafoués.

D’autres affaires relatives au climat sont en cours dans les États de Floride, d’Utah, d’Hawaï et de Virginie. « En cas de succès, estime Judith Rochfeld, l’affaire du Montana pourrait être une étincelle pour toutes les autres, comme l’a été l’affaire Urgenda. »

RFI

You may like