L’alternative 100 % renouvelable est-elle possible ?

Décarboner le mix électrique français sans l’aide du nucléaire ? Ce n’est pas de la science-fiction : plusieurs études ont conclu à la faisabilité d’un tel scénario, mais les incertitudes liées à la maturité des technologies et à l’approvisionnement en métaux sont nombreuses, et les efforts à fournir importants.

Ambitieux, mais théoriquement faisable. En France, où les énergies renouvelables ont assuré 22,5 % de la production d’électricité en 2021, différents scénarios portant cette proportion à 100 % ont été échafaudés ces dernières années par l’Agence de la transition écologique (Ademe), l’association négaWatt ou encore le gestionnaire du réseau de transport électrique français RTE, battant en brèche l’idée selon laquelle la décarbonation du mix électrique tricolore ne saurait se passer de l’atome.

Mais le chantier est semé d’embûches. L’intermittence du vent et du soleil, en particulier, nécessite de rendre le réseau plus « flexible » en déployant de nouvelles capacités pour sécuriser l’approvisionnement en électricité durant les périodes de faible production. Il faudrait 68 gigawatts (GW) de puissance supplémentaire en 2050, dans le scénario du 100 % renouvelable de RTE (contre 28 à 45 GW dans les scénarios conservant une part de nucléaire)1.

  • Un certain niveau de risque 

Parmi les moyens de flexibilité à développer, il y a bien sûr le stockage de l’électricité. On pense tout d’abord aux batteries stationnaires, mais aussi aux promesses de la technologie vehicle-to-grid permettant de restituer au réseau électrique une partie de l’énergie emmagasinée dans la batterie des véhicules électriques.

Utile pour une modulation journalière, mais pas suffisant pour sécuriser l’approvisionnement sur de longues durées : selon le gestionnaire du réseau électrique, de nouvelles centrales thermiques alimentées avec des combustibles décarbonés tels que le biométhane, ou à défaut (surtout si le gisement de biométhane n’est pas assez important), le stockage de l’électricité grâce à l’hydrogène, seront également « nécessaires » dans un scénario tout renouvelable.

Seul bémol : ce processus, qui nécessite de transformer l’électricité en hydrogène par électrolyse puis de retransformer celui-ci en électricité, pâtit d’un rendement relativement faible, au mieux proche de 40 % selon les données de RTE, « nettement plus faible que celui du stockage par batterie ». Le développement d’interconnexions à l’échelle européenne, soit les capacités d’échange entre les États, contribue également à sécuriser l’approvisionnement en électricité.

« Chaque pays a un potentiel solaire et éolien différent (ce qu’on appelle le foisonnement). Il y a intérêt à essayer de jouer sur les endroits en Europe qui proposent beaucoup de solaire ou d’éolien afin de transmettre le courant d’un pays à l’autre », éclaire Greg de Temmerman, docteur en physique expérimentale et directeur général du think tank Zenon Research. Autre levier à activer : le pilotage de la demande, que le développement des réseaux électriques « intelligents », ou smart grids, promet d’affiner.

« C’est ce que l’on a essayé de faire cet hiver, de demander aux gens de consommer moins et de déplacer leur consommation, poursuit-il. Ce sera d’autant plus nécessaire quand on aura un réseau extrêmement intermittent, si l’on ne parvient pas à stocker suffisamment. »

 Nucléaire <em>versus</em> énergies renouvelables : quelle empreinte environnementale ? © Futura

 NUCLÉAIRE VERSUS ÉNERGIES RENOUVELABLES : QUELLE EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE ? 

Sur le plan technique, il faudra enfin garantir la fréquence du système électrique, c’est-à-dire le nombre de fois par seconde où le courant alternatif change de sens sur le réseau, et dont la stabilité est indispensable à son bon fonctionnement.

Contrairement aux centrales hydrauliques, thermiques et nucléaires, les parcs éoliens et photovoltaïques ne sont pas raccordés au réseau par des alternateurs, mais par une interface électronique qui ne permet pas, en l’état actuel des technologies, de contribuer à la stabilisation de la fréquence du réseau. Ce n’est pas une fatalité : des solutions existent et se développent, mais elles « devront être testées dans des conditions réelles avant d’être déployées à grande échelle », préconise RTE.

En somme, « il est techniquement possible de faire du 100 % renouvelable, mais il y a un certain niveau de risque associé au fait que certaines technologies nécessaires ne sont pas disponibles », juge Greg de Temmerman.

Une nouvelle dépendance

Mettons que ces paris technologiques soient relevés : encore faut-il être capable de déployer les infrastructures nécessaires suffisamment vite pour s’en tenir à ces objectifs. En l’occurrence, dans le scénario du 100 % renouvelable en 2050 de RTE, installer chaque année environ 7 GW de panneaux photovoltaïques, 2 GW d’éoliennes terrestres et 2 GW d’éoliennes offshore. En comparaison, en 2021, les capacités du parc solaire n’ont augmenté que de 2,7 GW, et celles du parc éolien terrestre, de 1,2 GW. Et le premier parc éolien en mer vient tout juste d’être inauguré, en septembre, au large de Saint-Nazaire.

« Il ne peut exister aucune ambiguïté sur le caractère très ambitieux de tels rythmes, qui dépassent les meilleures performances européennes en la matière », évalue RTE. D’un point de vue matériel ensuite, les enjeux sont de taille. « Par unité d’énergie produite, le solaire et l’éolien demandent plus de matières premières que les alternatives fossiles et le nucléaire, indique Greg de Temmerman. Cela a à voir avec la densité de puissance : il faut davantage d’infrastructures de captage pour les renouvelables. »

Le scénario de transition énergétique échafaudé par l’Agence internationale de l’énergie (où le mix énergétique est dominé par les renouvelables, qui cohabitent avec une faible part d’énergies nucléaire et fossile) table ainsi sur une multiplication par quatre des besoins en minéraux d’ici à 20402.

“Il ne peut exister aucune ambiguïté sur le caractère très ambitieux de tels rythmes, qui dépassent les meilleures performances européennes en la matière”

Selon ses calculs, les mines existantes et en cours de construction ne devraient couvrir, en 2030, que les 3/4 de la demande en cuivre et moins de la moitié des besoins en lithium. Et la baisse de la concentration des gisements (-41 % en 30 ans pour le cuivre, par exemple3) n’est pas pour aider. « Le contenu énergie [soit l’énergie nécessaire pour extraire les minerais] devient de plus en plus coûteux, et le stock de ressources minérales est de plus en plus dissipé, donc on va tendre de toute manière à l’épuisement », explique Nadia Maïzi, coautrice du sixième rapport du GIEC.

« Les scénarios 100 % renouvelables reposent sur des ressources fossiles exploitées dans les pays du Sud, soulève de son côté Barbara Nicoloso, présidente de l’association Virage Énergie, spécialisée dans la prospective énergétique et sociétale. On peut atteindre 100 % d’énergies renouvelables à l’échelle française, mais qu’est-ce que cela signifie à l’échelle mondiale ? » Sans oublier que l’extraction et le raffinage de ces minerais se concentrent dans une poignée de pays (à l’image de la Chine qui contrôle la majeure partie du raffinage), créant des dépendances géostratégiques toujours plus fortes.

  Même si le solaire et l'éolien sont gourmands en ressources primaires qu'il faudra continuer d'extraire, de grandes quantités de matériaux pourront être récupérées et recyclées. © Mike Mareen, Adobe Stock

  MÊME SI LE SOLAIRE ET L’ÉOLIEN SONT GOURMANDS EN RESSOURCES PRIMAIRES QU’IL FAUDRA CONTINUER D’EXTRAIRE, DE GRANDES QUANTITÉS DE MATÉRIAUX POURRONT ÊTRE RÉCUPÉRÉES ET RECYCLÉES. 

Face aux divers problèmes posés par l’extraction minière, les espoirs se tournent vers le recyclage. Dans les panneaux solaires comme dans les éoliennes, « un grand nombre de matières peuvent être récupérées et recyclées », expose l’ingénieur spécialiste des ressources Philippe Bihouix, à l’exception notamment des contacteurs en argent qui font la jonction des cellules photovoltaïques, et des pales généralement constituées de résines, de fibres de verre ou de carbone.

Pour autant, « le recyclage ne permettra pas de nourrir la croissance, il faudra donc continuer d’extraire de la ressource primaire », souligne-t-il. Les technologies pourraient également devenir de moins en moins gourmandes en métaux critiques, à l’instar des batteries sans cobalt et peut-être même demain sans lithium, à base de sodium (pour sa part beaucoup plus abondant).

Une nécessaire sobriété

Les problématiques d’approvisionnement en métaux s’allègent naturellement dès lors que l’on réduit les besoins. « Même en améliorant toutes les technologies qui servent ces secteurs, on finit par buter sur les limites physiques de la Planète. Pour résoudre l’équation, il faut forcément qu’il y ait un travail qui soit fait du côté de la demande », affirme ainsi Nadia Maïzi.

Outre les mesures d’efficacité énergétique passant notamment par la rénovation thermique des logements, l’impact de la sobriété (télétravail, baisse de la température du chauffage, augmentation du taux d’occupation moyen des véhicules…) est significatif. Selon RTE, celle-ci permettrait d’économiser 90 térawatt-heure (TWh) de consommation d’électricité, pour arriver à un total de 555 TWh en 2050 (contre 468 TWh en 2021).

“Même en améliorant toutes les technologies qui servent ces secteurs, on finit par buter sur les limites physiques de la Planète”

Dans un scénario de mix énergétique d’énergies 100 % renouvelables — et non pas seulement électrique comme le propose RTE, l’électricité ne représentant aujourd’hui qu’un quart de la demande énergétique française — comme celui de négaWatt, les efforts à fournir seraient encore plus importants.

Se passer d’énergies fossiles dans tous les secteurs requiert en effet une électrification massive des usages, que l’association propose d’accompagner de mesures d’efficacité et de sobriété énergétiques ambitieuses, aboutissant l’un dans l’autre à une réduction de 53 % de la consommation d’énergie finale entre 2019 et 20504. Dans cette trajectoire, les besoins en production d’énergies solaire et éolienne sont également moindres : de l’ordre de 140 GW de photovoltaïque dans le scénario négaWatt contre plus de 210 GW dans le scénario RTE, par exemple.

Tout dépend donc où l’on souhaite placer le curseur de la sobriété. « [Celle-ci] n’est pas directement liée au mode de production électrique, estime Greg de Temmerman. Il existe des scénarios 100 % renouvelables, notamment aux États-Unis, qui ne mettent pas du tout l’accent sur la sobriété. L’objectif de sortie rapide du nucléaire augmente les contraintes dans le scénario négaWatt mais c’est indépendant du type de technologie choisi. »

« Ces scénarios, très (trop ?) ambitieux d’un point de vue industriel me font dire que l’on n’a pas pris la mesure des efforts à déployer et qu’il va donc falloir activer d’autres solutions plus rapides, plus simples et moins coûteuses qui sont des solutions d’usage », commente Philippe Bihouix. Reste que, face à la relance nucléaire (les EPR annoncés par Emmanuel Macron n’entreront pas en service avant 2037, dans le meilleur des cas), les renouvelables ont l’avantage de pouvoir être déployées rapidement, en l’espace « de quelques mois ou années », fait remarquer Barbara Nicoloso. Alors, en avant toute ?

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