Certains y voient une sorte de vengeance, d’autres un simple jeu; mais tous les chercheurs s’accordent à
Les biologistes marins suivent en ce moment une situation assez préoccupante. Depuis quelques mois, de plus en plus de navires ont subi de violentes attaques de la part d’orques. Et si l’on en croit les statistiques compilées par un certain Rui Alves, créateur du site orcas.pt qui recense ces événements au large de l’Espagne, la tendance est à la hausse — un constat qui pose de nombreuses questions.
C’est évidemment peu rassurant pour les équipages des embarcations concernées. Car malgré leur apparence placide, ces majestueux mammifères marins sont peut-être les superprédateurs les plus redoutables de la planète. Ce n’est pas pour rien si les orques sont surnommées killer whales (“baleines tueuses”) en anglais.
Ces véritables montagnes de muscles de trois tonnes, capables de nager à près de 60 km/h, peuvent causer des dégâts considérables lorsqu’elles chargent à toute vitesse. Elles disposent aussi d’une mâchoire exceptionnellement puissante, capable de déchiqueter tout ce qui passe à sa portée sans le moindre effort.
Et surtout, les orques sont aussi exceptionnellement intelligentes. Elles sont capables de se concerter pour mener des attaques coordonnées à l’efficacité prodigieuse, en utilisant des stratégies très élaborées. Par exemple, des orques ont déjà été filmées en train de fracturer précisément la banquise pour isoler des phoques, avant de générer de grosses vagues pour éjecter leurs victimes impuissantes de leur refuge.
10 attaques depuis le 1er juin
Heureusement pour nous, les orques sauvages ne sont traditionnellement pas considérées comme une menace pour l’Homme. Des navigateurs ont même signalé que certains individus se sont approchés d’embarcations humaines sans se montrer agressifs, probablement dans le but d’établir un contact — un comportement déjà documenté chez d’autres espèces comme les dauphins. Dans la nature, les orques ont plutôt tendance à éviter les humains en règle générale.
Mais depuis quelques mois, la tendance semble s’inverser. De plus en plus de navigateurs rencontrent des groupes d’orques. Mais surtout, elles semblent aussi de plus en plus agressives. Alors que les cas d’attaques étaient quasiment inexistants avant 2020, ces mauvaises rencontres sont désormais nettement plus fréquentes. D’après la carte d’Alves, depuis le début du mois de juin, des bateaux ont rencontré des orques tous les jours au large de l’Espagne — et 10 de ces contacts ont été classés comme des attaques.
Ces chiffres confirment une tendance déjà documentée par cette étude de l’équipe de Alfredo López Fernandez, un biologiste espagnol. Les auteurs expliquent en effet que des groupes d’orques auraient coulé au moins trois navires de plaisance ces dernières années.
Un changement de comportement qui a laissé les chercheurs perplexes. Car jusqu’à présent, les rares cas de véritables attaques sont quasiment tous survenus en captivité, dans des parcs animaliers — un cadre de vie difficilement supportable pour ces animaux habitués à vivre en famille dans de grands espaces. Et ils ne savaient pas vraiment quelle conclusion en tirer.
Un simple jeu… ou une véritable vengeance organisée ?
Il existe toutefois une piste intéressante. Il est en effet de notoriété publique que les orques ont établi des systèmes de communication exceptionnellement élaborés. Elles peuvent s’échanger des informations d’un groupe à l’autre, et transmettre ce savoir à leur descendance. Il est donc effectivement possible que certaines populations d’orques aient identifié les embarcations humaines comme des menaces, et que cette information se transmette d’un groupe à l’autre.
Ils suggèrent en effet que tout pourrait avoir commencé avec une orque baptisée White Gladis. Cette dernière aurait vécu un « moment d’agonie critique » ; elle aurait par exemple pu être mutilée par le moteur d’un bateau, comme de nombreuses baleines malchanceuses. C’est cette détresse qui aurait motivé une première attaque, avant que ses congénères ne se mettent à l’imiter.
Cette information a parfois été traitée de façon assez sensationnaliste. Un média australien a par exemple affirmé que White Gladis était en train de « monter une armée pour attaquer des yachts ». Si la réalité est en fait beaucoup plus nuancée, les chercheurs reconnaissent qu’il y a peut-être un fond de vérité dans cette interprétation.
« Nous ne connaissons pas l’origine de ce comportement. Mais l’hypothèse d’un comportement défensif basé sur un traumatisme passé devient de plus en plus crédible chaque jour », expliquait l’équipe de López Fernandez. « Ce comportement pourrait se transmettre aux jeunes par simple imitation, puis aux autres orques qui considèrent que c’est important pour leur survie », a ajouté le chercheur dans une interview à LiveScience.
D’autres chercheurs ont rejeté cette interprétation, et considèrent que ces agressions relèvent davantage de la curiosité et du jeu que d’une vraie hostilité. Mais tous s’accordent sur un point : plus ces contacts s’intensifient, plus il devient important de faire la lumière sur cette situation — pour la sécurité des marins, mais aussi des orques, dont certaines sous-espèces sont déjà en danger d’extinction.
journaldugeek