Tandis que les recherches se poursuivent au large du Péloponnèse pour retrouver d’éventuels disparus, le déroulement du naufrage du mercredi 14 juin reste vague. Les rescapés avancent avoir été approchés par les garde-côtes grecs, et remorqués par leur navire vers le large. Ce que démentent les autorités.
Deux jours après le naufrage meurtrier qui a fait au moins 78 morts, et des centaines de disparus, les circonstances du drame restent floues. Depuis hier, jeudi 15 juin, deux versions s’affrontent : celle des rescapés et celle des garde-côtes grecs.
Au lendemain du drame, les témoignages des naufragés ont fait émerger un tout nouvel élément, qui n’avait jusqu’ici pas été mentionné par Athènes. « Les survivants nous disent que le bateau a chaviré alors qu’il faisait l’objet d’une manœuvre [pendant laquelle] il était tiré par les garde-côtes helléniques », a indiqué sur France3 le représentant du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) en Méditerranée occidentale et centrale, Vincent Cochetel. Les garde-côtes ont ensuite, toujours d’après les rescapés, tirer le navire « non pas vers les côtes grecques » pour le ramener à terre, « mais en dehors de la zone de secours en mer grecque », vers le large, donc.
Cette version des faits a aussi été partagée au média grec News 24/7 par le chef du parti de gauche SYRIZA et ex-Premier ministre Alexis Tsipras, qui s’est entretenu avec les survivants du naufrage à Kalamata. « Les garde-côtes grecs ont demandé aux migrants de les suivre, mais ils n’ont pas pu », a indiqué un interprète au responsable politique.
« Les autorités ont alors jeté une corde, mais parce qu’ils ne savaient pas comment tirer cette corde, le navire a commencé à se balancer à droite et à gauche, a-t-il raconté. Le bateau des garde-côtes allait trop vite, et le navire des migrants pendait déjà sur la gauche. C’est comme ça qu’il a coulé. »
« Le bateau s’est renversé, alors qu’il était remorqué par les garde-côtes »
Kriton Arsenis, député grec et membre du Front de désobéissance réaliste européen – un parti altermondialiste – s’est lui aussi exprimé dans la presse grecque à ce sujet. « Les réfugiés nous ont dit que le bateau s’était renversé, alors qu’il était remorqué par les garde-côtes. Ils n’ont pas compris comment cela s’est passé ».
Une même version répétée plusieurs fois. Un des rescapés, un Syrien de 24 ans, a également confié à un conseiller local de la ville portuaire de Kalamata que « les garde-côtes ont attaché leur bateau avec une corde et ont essayé de les remorquer vers la gauche. Pour une raison inconnue, le bateau a viré vers la droite et a soudainement coulé ».
L’utilisation d’une corde n’avait, jusqu’à jeudi, jamais été évoquée par Athènes. D’après un communiqué du Premier ministre grec publié le jour du drame, les garde-côtes ont surveillé le bateau toute la journée du mardi, à distance. L’après-midi, un hélicoptère a d’ailleurs été dépêché dans la zone et a pu repérer le bateau, tout en gardant le contact avec lui par téléphone satellite. Ensuite vers 22h40, les garde-côtes grecs ont de nouveau approché le bateau mais, là encore, sans intervenir, estimant qu’il n’y avait toujours pas de danger, avance le document. Trois heures après, le chalutier a chaviré, malgré la surveillance constante des autorités.
« Pas de tentative d’amarrage »
Ce vendredi 16 juin, les autorités ont finalement modifié quelque peu leur version des faits. Quelques heures avant le naufrage, les garde-côtes ont « utilisé une corde pour se stabiliser, pour s’approcher, pour voir si [les passagers] voulaient de l’aide », a déclaré le porte-parole des garde-côtes grecs, Nikos Alexiou, à la télévision grecque ERT. « Mais il n’y avait pas eu de tentative d’amarrage du bateau », a-t-il tenu à préciser. D’après lui, « les migrants ont dit : ‘Pas d’aide, on va en Italie’ et ils ont continué leur chemin. Comme le navire n’avait pas demandé d’aide, nous ne pouvions pas intervenir ».
Au média américain CNN, Nikos Alexiou a indiqué, le même jour, qu’un « changement soudain de poids est susceptible d’être la cause de ce qui a conduit le bateau à chavirer puis à couler ».
En indiquant avoir utilisé une corde, les autorités avouent donc ce qu’elles n’avaient pas mentionné jusqu’à alors : un contact bien plus proche avec le bateau de migrants.
Le journal Kathimerini a publié, quant à lui, une troisième version légèrement différente. Selon le média, trois heures avant le drame, un navire des garde-côtes a allumé des projecteurs et a utilisé des haut-parleurs pour dire aux personnes à bord qu’elles étaient en danger, et qu’elles ne pourraient pas atteindre la côte italienne. Toujours selon Kathimerini, des garde-côtes auraient alors attaché une corde au bateau de pêche afin que l’équipage puisse vérifier les conditions à l’intérieur. Certains passagers ont alors délié la corde afin de continuer leur route vers le nord vers l’Italie.
Depuis des années, les garde-côtes grecs sont accusés d’appliquer des refoulements violents de l’autre côté de la Grèce, en mer Égée. En février 2022, le collectif international de journalistes Lighthouse Reports avait retracé l’histoire de Sidy Keita, ressortissant ivoirien, et de Didier Martial Kouamou Nana, Camerounais, dont les corps avaient été retrouvés échoués sur les côtes turques. L’enquête avait abouti à la description d’une « nouvelle tactique » des garde-côtes grecs, « consistant à jeter de petits groupes de demandeurs d’asile par-dessus bord et les faire nager jusqu’en Turquie ».
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