L’armée américaine a-t-elle vraiment vu des extraterrestres ?

Un « lanceur d’alerte » américain a fait de récentes « révélations » selon lesquelles son gouvernement serait en possession d’engins venus d’ailleurs.

Début juin, The Debrief, un webmagazine jusqu’ici confidentiel et se présentant comme un « espace d’accueil d’informations crédibles sur les sciences, les technologies et la défense », publiait les stupéfiantes révélations d’un « ancien agent des services de renseignements et lanceur d’alerte » nommé David Charles Grusch.

À l’en croire, le gouvernement américain et ses alliés auraient en leur possession « des engins volants d’origine non humaine, intacts ou partiellement intacts », accompagnés des cadavres de leurs pilotes extraterrestres et les étudieraient en secret depuis des années.

L’article de Debrief est signé de Leslie Kean et Ralph Blumenthal, deux journalistes bien connus pour qui s’intéresse aux ovnis. Comme ils le rapportent, « Grusch déclare que des récupérations de fragments partiels et même de vaisseaux entiers par le gouvernement, ses alliés, et des professionnels de la défense ont été effectuées depuis des décennies et jusqu’à aujourd’hui ».

Citant toujours Grusch, l’article décrit les engins comme « d’origine exotique (intelligence non humaine, d’origine extraterrestre ou inconnue) » en se fondant sur « la morphologie des véhicules et des tests scientifiques des matériaux présents » et sur le fait qu’ils posséderaient des « arrangements atomiques et des signatures radiologiques uniques ».

En outre, au Congrès américain et à l’inspection générale de la communauté du renseignement, Grusch affirme avoir remis tout un tas d’informations classifiées prétendument exhaustives sur des programmes très secrets. « Nous ne parlons pas d’origines ou d’identités prosaïques », leur aurait-il assuré.

« Nous n’avons pas vu les prétendues preuves »
Devant des affirmations extraordinaires, on exige des preuves extraordinaires. Sauf que le long article de Debrief ne contient pas de photo, illustration, rapport, ni document de quelque nature que ce soit susceptible d’étayer les affirmations de Grusch. En outre, les journalistes admettent que Grusch n’a jamais vu personnellement d’engins extraterrestres, qu’il ne sait pas où ils pourraient être entreposés et qu’il a refusé de détailler les représailles qu’il prétend pourtant avoir subies de la part de représentants du gouvernement.

Il évoque « la morphologie des véhicules et des tests scientifiques des matériaux présents », leurs « arrangements atomiques » et leurs « signatures radiologiques uniques », ce qui a de quoi faire peur… Mais comment sait-il tout cela ? Présente-t-il ces analyses chimiques ou ces tests scientifiques sur ces matériaux ? Absolument pas.

Dans une interview exclusive de Grusch sur NewsNation, le journaliste Ross Coulthart admet : « Nous n’avons pas vu les prétendues preuves qu’il a fournies aux enquêteurs et il dit ne pas pouvoir nous les montrer pour des raisons de sécurité nationale. Il nous précise également ne pas avoir lui-même vu de photos du présumé vaisseau. »

Dès lors, pourquoi est-ce que quiconque devrait croire Grusch ou ses histoires ? Lorsque les gens – et les journalistes ne font pas exception – sont confrontés à des histoires d’ovnis ne reposant sur rien, les voilà visiblement disposés à jeter toute rationalité par-dessus bord.

Pression pour publier rapidement
Kean et Blumenthal, qui signent l’article de Debrief, sont souvent qualifiés de journalistes, ce qui laisse entendre un travail d’enquête désintéressé et des conclusions présentées de manière objective. En réalité, Leslie Kean est une ufologue persuadée que des extraterrestres ont visité – ou visitent toujours – la Terre. Ralph Blumenthal est, lui, l’auteur d’une biographie complaisante de John Mack, psychiatre de Harvard, aujourd’hui disparu, qui avait pris pour argent comptant des témoignages d’individus affirmant avoir été enlevés par des extraterrestres.

Étant donné que les deux auteurs avaient déjà sorti un article sur les PAN (phénomènes aériens non identifiés, avec l’« anormal » remplaçant désormais l’« aérien ») dans le New York Times en 2017, on peut se demander pourquoi ils ont opté pour Debrief et non une publication plus installée comme le New York Times ou le Washington Post.

Blumenthal y a indirectement répondu sur Twitter, en disant que « le Washington Post n’a pas passé notre article. Avec Leslie, nous l’avons donné au Debrief parce que nous étions soumis à une pression croissante pour le publier très rapidement. Le Post avait besoin de plus de temps et nous n’étions pas en mesure d’attendre ».

« Ancien officier de combat décoré en Afghanistan »
Sous la pression croissante de qui ou de quoi ? L’histoire ne le dit pas. Quant à savoir pourquoi le Washington Post a eu besoin de plus de temps pour publier cet article, on peut raisonnablement en déduire que sa rédaction voulait s’assurer de sa solidité factuelle.

Et que lorsque les journalistes du quotidien ont découvert qu’il n’existait aucune photographie dudit vaisseau spatial, aucune analyse scientifique de ses prétendus matériaux composites, aucun mémo, lettre ou document d’aucune sorte détaillant les débris du vaisseau ou les cadavres de ses pilotes, peut-être ont-ils judicieusement décidé de ne pas offrir à Grusch une tribune que ses affirmations non étayées ne méritaient pas.

Que fait-on lorsqu’on croit à une histoire pour laquelle il n’y a pas de preuves ? On souligne les références et la crédibilité des témoins. Ainsi, Kean et Blumenthal commencent par établir le sérieux de Grusch : « Le lanceur d’alerte David Charles Grusch, 36 ans, ancien officier de combat décoré en Afghanistan, est un vétéran de la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) et du National Reconnaissance Office (NRO). Il a été le représentant du bureau de reconnaissance au sein du groupe de travail sur les phénomènes aériens non identifiés de 2019 à 2021. De fin 2021 à juillet 2022, il a été le codirecteur de l’analyse des PAN au sein de la NGA et le représentant du groupe de travail. »

Les journalistes ajoutent que Grusch « a reçu de nombreux prix et décorations pour sa participation à des opérations secrètes et clandestines visant à promouvoir la sécurité des États-Unis ». Ils citent même un colonel de l’armée à la retraite et cadre dans l’aérospatiale, Karl E. Nell, qui a travaillé à l’analyse des PAN de 2021 à 2022 à ses côtés et qui décrit Grusch comme « irréprochable ».

« Ils nous mentent ! »
Pour d’autres sources, on croirait lire des lettres de recommandation vantant un « officier d’état-major et stratège expert » et un « intégrateur de forces totales capable de concevoir des solutions innovantes et d’obtenir des résultats concrets ». Sauf que, si un « lanceur d’alerte » ou un témoin a des preuves solides à faire valoir, qu’il ait ou non un CV long comme le bras importe peu.

Depuis trois-quarts de siècle – soit depuis l’affaire Roswell en 1947 –, les ufologues ne cessent d’exiger du gouvernement américain de la « transparence » sur ce qu’il sait des extraterrestres. Si le gouvernement ne s’y est pas toujours plié de bonne grâce, on lui doit tout de même d’avoir rendu publiques nombre d’informations sur le sujet, notamment du côté de l’Armée de l’air avec son rapport Roswell : faits et fictions dans le désert du Nouveau-Mexique sorti en 1994 et son rapport Roswell : affaire classée l’année suivante.

Cela va sans dire, cela n’a pas suffi à calmer les ufologues. Leur mantra ? « Ils nous mentent ! » Certes, pour des raisons de sécurité nationale, le gouvernement avait effectivement menti, au départ, pour Roswell en parlant d’un « ballon météo ». En réalité, il s’agissait d’un ballon espion captant la signature acoustique des essais nucléaires effectués par l’Union soviétique en haute atmosphère. Mais le fait que le gouvernement mente parfois ne signifie pas qu’il ment toujours, ni qu’une théorie du complot est vraie par conséquent et par défaut. Chaque cas doit être examiné séparément et en fonction de ses propres mérites.

En réponse à l’article de Debrief, le Pentagone a publié un communiqué disant ne pas avoir « découvert d’informations vérifiables permettant d’étayer les affirmations selon lesquelles des programmes concernant la possession ou la rétro-ingénierie de matériaux extraterrestres ont existé dans le passé ou existent à l’heure actuelle ».

Sans surprise, cela n’a pas non plus ébloui les ufologues. Qu’est-ce qui pourrait les satisfaire ? Rien de moins qu’un aveu embarrassé sur des vaisseaux spatiaux extraterrestres effectivement cachés et un contact établi avec des intelligences extraterrestres depuis des lustres.

Mais alors, qui ment ?
Cette phrase de l’article de Debrief ajoute davantage à la confusion : « Dans ses déclarations dont la publication a été autorisée par le Pentagone en avril, M. Grusch a affirmé que les “programmes historiques” relatifs aux ovnis ont longtemps été dissimulés au sein de “multiples agences insérant des activités PAN dans des programmes d’accès secret conventionnels sans en rendre compte de manière appropriée aux diverses autorités de contrôle”. »

La révélation de la dissimulation de « programmes historiques » relatifs aux ovnis aurait donc été autorisée à la publication par le Pentagone ? Selon NewsNation, le département de la Défense a même approuvé les questions de l’interview de Grusch, sans cependant l’attester par des « photographies, images, pièces à conviction, légendes » ni « d’autres documents complémentaires ». Et il lui a adjoint la mise en garde suivante : « Notre accord pour publication n’implique aucune approbation du département de la Défense ni la confirmation de l’exactitude factuelle des éléments présentés. »

Mais alors, qui ment ? David Grusch ou le Pentagone ? Si le ministère de la Défense a bien autorisé David Grusch à s’exprimer dans la presse et savait ce qu’il allait dire, qui peut bien menacer de représailles ce « lanceur d’alerte » ? Là non plus, l’histoire ne le dit pas.

Et quid de la vidéo de John Greenewald Jr., dans laquelle on « apprend » que David Grusch aurait approché les ufologues George Knapp et Jeremy Corbell il y a plus d’un an pour leur demander de sortir son histoire… alors qu’ils se trouvaient à une convention Star Trek et qu’ils récitaient la scène d’ouverture de La Colère de Khan (1982) dans leur chambre d’hôtel ?

Entrailles de poulet et cervelles de mouton
Jusqu’à quel niveau de loufoquerie cette histoire peut-elle aller ? L’avenir nous le dira mais, à mon avis, nous sommes condamnés à répéter les expériences passées. Quand votre mémoire institutionnelle d’un sujet comme celui-ci remonte à loin, difficile de ne pas être cynique, même lorsqu’un scepticisme impartial s’impose. Après tout, il n’y a ici rien de nouveau, si ce n’est le changement de nom et de date. J’entends ce genre d’histoires depuis que nous avons lancé le magazine Skeptic en 1992.

En 1995, la même année de la sortie du deuxième rapport officiel du gouvernement américain sur Roswell, un « film d’autopsie extraterrestre » faisait le tour des médias. Il s’agissait d’un film en noir et blanc de 17 minutes, décrivant soi-disant l’examen secret par l’armée américaine d’un cadavre d’extraterrestre récupéré dans une soucoupe volante qui s’était écrasée à Roswell en 1947. Un film « divulgué » à la presse par un homme d’affaires britannique, Ray Santilli, qui affirmait que les images lui avaient été remises par un caméraman militaire à la retraite ayant (bien entendu) insisté sur l’anonymat.

Dix ans plus tard, Santilli avouera que le film était bidon et fait à base d’entrailles de poulet et d’articulations et de cervelles de mouton obtenues chez un boucher du coin. Tout en soutenant mordicus, d’une manière excessivement peu plausible, avoir bien vu le « vrai » film en 1992 mais qu’il était trop dégradé pour être exploité. Et qu’il avait donc été obligé de le « reconstruire ».

En 1997, les « lumières de Phoenix » allaient déclencher un autre cirque médiatique. Le gouverneur de l’Arizona, Fife Symington, en tiendra même une conférence de presse avec un assistant vêtu d’un costume d’extraterrestre. L’homme était personnellement persuadé que ce que nous savons aujourd’hui être des fusées éclairantes militaires étaient en réalité des vaisseaux spatiaux extraterrestres s’agitant autour de la base militaire locale.

Ensuite, il y a eu l’« ovni Bonsall » en 2000, l’ovni mexicain de 2004, le PAN de l’USS Nimitz en 2004, l’ovni de l’aéroport international O’Hare en 2006, les multiples observations d’ovnis de l’USS Theodore-Roosevelt en 2014 et 2015, et les vidéos « Go Fast », « Gimbal » et « Tic Tac » sur lesquelles on allait s’exciter comme jamais depuis Roswell – qui demeure la mère de toutes les histoires d’extraterrestres.

Biais de disponibilité
Sauf qu’aucune de ces histoires n’a permis de confirmer l’existence d’une visite extraterrestre ou d’un contact avec une intelligence venue d’ailleurs – et encore moins d’une technologie chinoise ou russe ayant des décennies ou des siècles d’avance sur la nôtre. Nous n’avons pas plus de preuves de contact aujourd’hui qu’en 1947.

Les croyants sont convaincus qu’il doit y avoir du feu sous toute cette fumée, étant donné la pléthore de témoignages dont nous disposons sur les ovnis et les PAN. Mais nous n’avons là rien d’autre que le produit d’un biais de disponibilité – nous nous souvenons plus facilement de ce qui est frais dans notre esprit – et d’une mémoire défaillante, de toutes les histoires précédentes dénuées de preuves crédibles.

Cette fois, nous répètent-ils comme à chaque fois, les choses sont différentes. C’est peut-être la bonne. Enfin, nous avons un authentique lanceur d’alerte exposant la plus grande découverte de l’histoire de l’humanité. Dans le raisonnement bayésien, il existe « la loi de Cromwell », du nom d’Oliver Cromwell, connu pour s’être exclamé : « Je vous adjure, par les entrailles de Christ, de croire qu’il est possible que vous vous trompiez. » Selon cette règle, nous ne devons jamais attribuer une probabilité de 0 ou de 1 à quoi que ce soit, au cas où nous serions dans l’erreur.

Alors d’accord, je donne à cette dernière histoire d’ovnis une probabilité de 0,01 – soit 1 % de chance d’être vraie. Et je suis même prêt à joindre le geste à la parole : je donnerai 1 000 dollars à quiconque pourra produire des « preuves indubitables, irréfutables et indéniables » d’un contact avec des extraterrestres d’ici le 31 décembre 2024, à la condition qu’il égalise la mise. J’ai mis au défi tous ceux qui croient en l’existence des ovnis mais jusqu’à présent, je n’ai pas eu de réponse à mon offre. Bizarre, qu’ont-ils à perdre ? Ne croient-ils pas la divulgation du contact tout à fait imminente ?

LEPOINT

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