Des apprentis terroristes renoncent à leurs sombres projets pour les joies de la ferme… C’est le pari burlesque mais gagné de cette série d’Arte.
Un vent frais, venu du Nord, souffle sur les séries. Deux ans après avoir remporté le prix de la meilleure interprétation collective et le prix des Lycéens à Canneséries, les bras cassés de Countrymen débarquent sur Arte avec leur lot de situations burlesques dignes des Monty Python. Peut-on faire rire en s’aventurant sur le terrain du terrorisme ? C’est ce que défendent Izer Aliu et Anne Björnstad, les créateurs de ce nouveau phénomène inclassable.
Oui, mais voilà, rien ne va se passer comme prévu. Non seulement les trois complices vont devoir composer avec l’arrivée d’un ami d’enfance, Marwan, et de sa petite fille Kiki, venus se planquer à la ferme, mais aussi et surtout avec l’ensemble des habitants du village qui n’en finissent pas de se mêler de leurs affaires. Il faut dire que pour couvrir leurs activités suspectes, les pieds nickelés n’ont rien trouvé de mieux que de relancer la production laitière de l’exploitation et de fabriquer du fromage… halal.
Grâce à cette nouvelle activité, idéale pour créer le buzz sur les réseaux sociaux et remporter des subventions agricoles, la ferme va rapidement devenir la coqueluche de la région (le Telemark) et susciter un enthousiasme inattendu auprès des locaux. D’autant qu’Adil, Tariq, Khabib et Marwan vont s’entourer de personnages complètement farfelus : une prof de moto, policière à ses heures perdues qui répond au doux nom d’Ingeborg, un hippie alcoolique à l’humour douteux, une voisine éleveuse de chèvres un peu encombrante, ou encore la sœur d’Adil, qui fait un carton à la salle des fêtes avec son one-woman-show décapant sur la situation des femmes au Pakistan.
Au fil de ces huit épisodes caustiques, on suit la trace de tout ce petit monde qui n’a de cesse de prendre le spectateur à contrepied. « L’idée était de déconstruire les idées reçues sur l’immigration, sur l’islam, sur les crispations communautaristes, mais aussi sur le monde rural et sur le prétendu pacifisme des pays scandinaves, tout en traitant du choc des cultures. Ce n’est juste pas nécessairement le choc que l’on croit ! » confie Anne Björnstad.
La scénariste, réalisatrice et productrice, n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’on lui doit, dans la même veine un peu perchée, l’excellente Lilyhammer (2013) qui suivait les péripéties d’un mafieux new-yorkais tout droit sorti des Soprano, dans une petite ville norvégienne.
Humour grinçant. Avec Countrymen, on est à la croisée des genres. À mi-chemin de la fable et de la comédie noire, la série est portée par le talent de ses acteurs – qui multiplient les face caméra cocasses pour commenter les situations se déroulant à l’écran – et par les rebondissements complètement décalés du scénario.
Il reste que risquer de rendre sympathiques et attachants trois (prétendus) terroristes en quête de sens est un exercice périlleux, qui plus est dans un pays comme la Norvège, profondément marqué par la tragédie d’Utoya en 2011…
Un écueil débattu longuement entre les créateurs de la série qui ont fini par trancher : bien sûr qu’il faut aussi rire de ce qui fait peur à la société ! Mais n’est-ce pas surtout que la vraie problématique de la série est à trouver ailleurs, non pas autour de l’islamisme et du discours radical, mais plutôt du côté de l’identité, de l’appartenance ? Qui est-on pour soi ? Pour les autres ? Où est-on vraiment chez soi ? N’est-on pas toujours l’étranger de quelqu’un ?
Que l’on se rassure, très vite, le vent nordique reprend le pas sur les questions philosophiques. Et nous ramène, pour notre plus grand plaisir, au pays de l’humour grinçant et du politiquement incorrect§
lepoint