La décarbonation du secteur aérien est au cœur du Salon du Bourget, qui a ouvert ses portes le 19 juin. Pour façonner « l’avion vert », l’industrie privilégie le développement des carburants durables. Biocarburants, carburants de synthèse ou hydrogène, France 24 décrypte différentes pistes mises en avant et leurs limites.
Comment faire voyager en avion plusieurs milliards de passagers chaque année sans contribuer au dérèglement climatique ? Cette question est au centre de la nouvelle édition du Salon du Bourget, grand-messe aéronautique, qui a démarré lundi 19 juin. Appareils plus durables, carburants écologiques, électrification… Alors que le secteur aérien s’est fixé un objectif de neutralité carbone pour 2050, s’alignant sur l’Accord de Paris, les compagnies aériennes affichent plusieurs solutions pour relever le défi.
De son côté, le président français Emmanuel Macron s’est montré prêt à mettre la main au portefeuille. Vendredi 16 juin, le chef de l’État a annoncé une enveloppe de 2,2 milliards d’euros pour aider les fleurons français du secteur – Airbus, Safran, Thales et leurs sous-traitants – à inventer cet « avion vert ».
L’enjeu est majeur. « Le secteur de l’aviation représente 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2 », explique Isabelle Laplace, spécialiste des enjeux de durabilité du transport aérien à l’École nationale d’aviation civile de Toulouse. « Ce à quoi il faut ajouter d’autres émissions aux effets encore assez méconnus. Parmi eux, par exemple, les traînées de condensation – ces nuages blancs qui se forment au passage des avions – et qui provoquent un effet de serre temporaire », ajoute la spécialiste. Or, ces impacts continueront de croître si rien n’est fait puisque le trafic aérien devrait plus que doubler d’ici à 2050, selon les projections de l’Association internationale du transport aérien (IATA).
Des appareils plus légers, des moteurs plus performants
Pour alléger la facture climatique du secteur aérien, « le premier levier d’action est de jouer sur l’efficacité énergétique des appareils », explique Isabelle Laplace, évoquant des travaux sur les moteurs ou encore sur les matériaux qui composent les avions. « On le fait déjà depuis cinquante ans. Aujourd’hui, un avion consomme 80 % de moins de carburants que dans les années 1970. » Sur cette période, ces progrès technologiques n’avaient cependant pas empêché l’empreinte carbone du secteur d’augmenter face à l’explosion du trafic aérien.
CFM, coentreprise entre l’Américain General Electric et le Français Safran, travaille ainsi pour 2035 sur un moteur qui réduirait d’encore 20 % la consommation de carburant. Mais si « des avancées peuvent encore être faites à ce niveau-là », cela, seul, ne « permettra pas d’atteindre la neutralité carbone », tranche la spécialiste.
Les biocarburants, une solution aux ressources limitées
Outre ces améliorations technologiques, l’industrie aéronautique mise surtout sur les SAF, les « sustainable aviation fuel » – ou CAD « carburants durables d’aviation » en français. « C’est certainement la solution la plus facilement disponible à court terme. Surtout que les SAF ont l’avantage de s’utiliser dans les appareils existants. Il n’y a pas besoin de changer la structure des avions », note Isabelle Laplace.
Derrière le terme de SAF se cachent plusieurs types de carburants. Les premiers sont les biocarburants, ou agrocarburants. Ils permettraient, selon le ministère français de la Transition écologique, de réduire de 80 à 85 % les gaz à effet de serre du secteur aérien. Traditionnellement fabriqués avec du blé, du colza, de la betterave à sucre, voire avec de l’huile de palme, ces derniers sont cependant souvent pointés du doigt par les défenseurs de l’environnement, accusés d’engendrer de la déforestation, des cultures intensives et des changements d’utilisation des sols.
Pour pallier ces accusations, les compagnies aériennes assurent n’utiliser que des biocarburants dits de deuxième génération, c’est-à-dire des déchets et des résidus forestiers et agricoles comme de la paille ou de l’huile de cuisson. « Mais cela est loin de régler tous les problèmes », déplore Jérôme Du Boucher, responsable aviation pour l’ONG européenne Transport & Environnement France, qui ausculte les solutions pour décarboner nos déplacements.
« Les compagnies utilisent majoritairement de l’huile usagée, car c’est la solution la moins coûteuse. Malheureusement, on manque de transparence de la part des vendeurs, notamment en Asie du Sud-Est, et on soupçonne que certains utilisent frauduleusement de l’huile de palme à la place, participant donc à la déforestation », détaille-t-il.
Au-delà de cela, se pose la question des ressources disponibles. « On ne va pas tripler notre consommation d’huile ou de produits agricoles pour en faire des déchets disponibles pour l’aviation », poursuit Jérôme du Boucher. « Or pour alimenter en carburants tout le secteur, il faudrait des volumes de biomasse énormes. » Un constat partagé par Isabelle Laplace : « il me semble impossible que les biocarburants suffisent un jour à faire voler tous les avions, d’autant plus que la demande va certainement continuer d’augmenter en parallèle dans tous les secteurs, notamment dans celui de l’automobile. »
Les autres types de SAF sont les carburants de synthèse, les e-fuels. « Ils sont fabriqués grâce à de l’hydrogène vert et du monoxyde de carbone (CO) », détaille Isabelle Laplace. Eux aussi ont l’avantage d’émettre beaucoup moins de CO2 que le kérosène, mais ils émettent d’autres polluants comme les oxydes d’azote (NOx). « Ce n’est par ailleurs une technologie que l’on maîtrise aujourd’hui qu’à petite échelle et en toute petite quantité. Nous n’en sommes qu’à un stade expérimental », précise la chercheuse.
Malgré ces enjeux, les choses s’accélèrent à l’échelle européenne. Fin avril, le Parlement européen s’est mis d’accord sur un règlement, intitulé ReFuelEU Aviation qui prévoit que 2 % de SAF devra être mélangé au kérosène des avions en circulation d’ici à 2025. Ce chiffre passera à 6 % d’ici 2030, 20 % d’ici 2035, 34 % d’ici 2040 et atteindra 70 % en 2050.
L’Eldorado de l’hydrogène
Une autre source d’énergie suscite de nombreux espoirs du secteur : l’hydrogène vert. Airbus a ainsi promis un avion équipé d’un moteur à hydrogène pour 2035. De son côté, la petite entreprise française Blue Spirit Aero fondée en 2020, dévoile au Bourget son avion à hydrogène de quatre places censé atteindre une vitesse de croisière de 230 km/h.
« Évidemment, ça apparaît comme une solution miracle puisque l’avion n’émettrait que de la vapeur d’eau », note Isabelle Laplace. Mais les limites sont nombreuses. « Aujourd’hui, l’hydrogène vert, fabriqué à partir d’une source d’électricité décarbonée, n’existe qu’à petite échelle. Cette énergie provient toujours à plus de 95 % de gaz naturel fossile », insiste Isabelle Laplace. « Et comme pour les SAF, se pose la question des ressources disponibles », poursuit Jérôme Du Boucher. « On sait que la demande en électricité propre va augmenter considérablement dans les prochaines années. Or, on ne peut pas installer des panneaux photovoltaïques partout aux dépens de la biodiversité. »
Sans compter les nombreux défis logistiques : contrairement au SAF, l’hydrogène nécessiterait de renouveler les avions et donc de lancer une nouvelle chaîne de production. Il faudrait aussi trouver une façon de le stocker à bord des appareils – l’hydrogène est quatre fois plus volumineux à stocker que le kérosène et doit être maintenu à – 250° C.
L’électrique pour les courts courriers
Dernière solution envisagée : l’électrique. La start-up française Voltaero, qui développe de petits avions hybrides carburant-électricité, a présenté dimanche son premier appareil sous sa forme définitive, un cinq-places qu’elle espère produire en série à l’horizon 2025 et qui a déjà recueilli plus de 200 pré-commandes.
Électrique au décollage et à l’atterrissage, l’avion est ainsi équipé d’un petit moteur thermique qui ne se met en route qu’une fois en vol, pour recharger les batteries si nécessaire. Celles-ci peuvent également être branchées sur secteur quand l’appareil est au sol. « Un appareil prometteur mais qui se limiterait à des courts courriers en raison du poids des batteries », note Isabelle Laplace. « Une solution qui peut donc être écologique dans certaines zones du globe où le ferroviaire est inexistant ou dans des archipels mais il sera préférable de prendre le train quand cela est possible. »
Pour les deux spécialistes, le scénario à venir dans les prochaines années est le même : « les filières vont toutes se développer à plus ou moins long terme », estiment-ils. « Ces carburants coexisteront et seront utilisés en fonction des usages. »
« Quoiqu’il en soit, la décarbonation du trafic aérien ne passera que par une réduction du trafic aérien », termine Jérôme Du Boucher, blâmant « l’effet rebond ». Selon une étude publiée en septembre 2022 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les progrès technologiques de l’aviation ne suffiront en effet pas car tout cela n’ira pas assez vite. Parmi les pistes évoquées par l’institution pour limiter l’usage de l’avion : plafonner le nombre de vols dans les aéroports ou encore taxer les billets d’avion, tout en rappelant que dans le monde, 1 % seulement de la population est responsable de 50 % des émissions des avions.
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