Pour parler d’un sujet aussi complexe que le réchauffement climatique, il est nécessaire de schématiser les informations afin de les rendre les plus simples possibles. Certains graphiques et courbes permettent de réaliser l’ampleur du phénomène en un coup d’œil. De tous les graphiques utilisés par les chercheurs du Giec, aucun n’aura jamais autant fait parler de lui que la fameuse « courbe en forme de crosse de hockey » qui a mené à d’innombrables controverses et débats. Explications.
Le champ de recherche consacré au changement climatique est assez récent et évolue à vitesse grand V, d’année en année, avec de nouvelles informations, et parfois des corrections. La courbe en crosse de hockey est l’une des tous premières représentations du réchauffement climatique utilisées par les chercheurs.
Elle permet de visualiser la variation de la température moyenne du Globe, ou d’un hémisphère, sur les 500 à 2 000 dernières années. Elle montre ainsi une tendance à un refroidissement naturel assez lent, avant de brusquement changer d’axe dans les années 1900, vers le réchauffement climatique du XXe siècle, se terminant par une hausse fulgurante à partir des années 2000.
Celle qu’on appelle aussi « la courbe de Mann » utilise les données des scientifiques Mann, Bradley et Hughes de 1999. La ligne reliant les points est donc plutôt plate, avec une légère descente, et se termine par une hausse quasiment à la verticale : d’où son appellation « en forme de crosse de hockey ». Cette représentation choc, qui impressionne et inquiète, a été utilisée dans les rapports du Giec comme la preuve visuelle de la tendance au réchauffement planétaire.
Une courbe critiquée qui s’appuyait sur des données incomplètes
Mais quelques temps après sa première publication, la courbe de Mann a fait l’objet de multiples controverses très animées. Elle a surtout été utilisée par les « climatosceptiques », pour nier la réalité du réchauffement climatique et crier au complot. Que reproche-t-on à ce graphique ? Certains l’accusent d’omettre des informations et de faire disparaître volontairement des périodes plus chaudes de l’Histoire du climat, comme celle survenue au Moyen-âge, connue sous le nom d’optimum climatique médiéval.
Avant de s’attaquer à la courbe, il faut comprendre son origine et les méthodes utilisées. D’où proviennent les données climatiques qui remontent 1 000 ans en arrière ? En lisant les nombreux débats sur le sujet présent sur Internet, il est difficile de démêler le vrai du faux.
Pour clarifier les choses, nous avons interrogé la référence française en paléoclimatologie (l’étude du climat passé) et coprésidente du groupe n°1 du Giec depuis 2015, Valérie Masson-Delmotte : « la courbe de Mann s’appuyait essentiellement sur les anneaux de croissance des arbres, avec des données provenant principalement de l’Hémisphère nord. ll y a eu de nombreuses critiques sur la méthode statistique utilisée, les sources de données ou encore les incertitudes sur certains paramètres.
À l’époque, en 1999, c’était une avancée qui permettait de reconstituer les températures années par années, lorsqu’elle est sortie c’était innovant ».
L’activité solaire et l’activité volcanique sont désormais mieux évaluées
Mais depuis, la science a progressé, les données sont plus fiables et plus nombreuses et d’autres paramètres que l’étude des anneaux de croissance des arbres ont été utilisés, comme l’explique la scientifique : « la courbe montre bien le caractère inédit du réchauffement climatique dans la période récente. Cette ampleur inédite a par la suite été confirmée par d’autres méthodes. Mais la façon dont a été faîte la courbe de Mann est issue d’une méthode du passé et nous ne l’utilisons plus », précise Valérie Masson-Delmotte.
« Par rapport aux années 1990, ce qui a changé c’est que nous effectuons de simulations climatiques en prenant en compte l’activité solaire, l’activité volcanique et bien-sûr l’activité humaine, ainsi que l’ensemble du Globe et pas seulement l’hémisphère nord. Nous avons désormais des données régions par régions.
Il y a 20 ans, lorsque la courbe est sortie, on connaissait déjà ces autres paramètres, liés au soleil et aux volcans, mais nous avons vraiment avancé dans leur quantification depuis. Nous savons notamment que l’influence de l’activité volcanique est bien plus forte que celle de l’activité solaire, surtout ces 2 000 dernières années », explique-t-elle.
Les données sont désormais plus précises, mais le constat global est le même
Les résultats sont donc plus précis, avec une période chaude très nette et durable il y a environ 6 000 ans, avant un refroidissement progressif de l’an 1000 à 1900, puis une inversion et une accélération extraordinaire du réchauffement. Les graphiques les plus récents montrent au final « des résultats similaires au niveau de l’ampleur des variations », selon Valérie Masson-Delmotte.
Malgré des différences avec les graphiques qui ont été utilisés dans les rapports du Giec les plus récents, le constat global reste inchangé par rapport à 1999 : « il y a un réchauffement climatique lié à l’activité humaine, par dessus lequel se superpose une variabilité naturelle ».
Ce qui change par rapport aux réchauffements climatiques du passé, qui ont aussi parfois mené à des températures élevées et à de grandes sécheresses, c’est la rapidité du phénomène en cours et sa répartition uniforme à l’ensemble du Globe : selon les auteurs des rapports du Giec, le rythme est sans précédent au cours des 2 000 dernières années, même si de courtes périodes chaudes, et très régionalisées, se sont produites lors de certains siècles.
98 % du Globe a connu sa période la plus chaude depuis 2 000 ans au cours des dernières années, la période chaude du Moyen-Age, assez régionalisée, se situe donc derrière la période 1950-2000, selon une étude publiée dans Nature en 2019.
LA RECONSTITUTION DE L’ÉVOLUTION DU CLIMAT DORÉNAVANT UTILISÉE PAR LE GIEC AU COURS DES 12 000 DERNIÈRES ANNÉES : REGARDEZ L’ÉCHELLE DE TEMPS QUI MONTRE UN RÉCHAUFFEMENT AU RYTHME SANS PRÉCÉDENT DE 1900 À 2000.
Valérie Masson-Delmotte est catégorique, les méthodes de calculs sont parfois différentes, mais ce qui fait désormais consensus parmi la communauté scientifique, c’est que « même s’il reste encore des questions ouvertes, si le réchauffement climatique lié aux activités humaines n’existait pas, la variabilité naturelle ne conduirait pas la Terre à se réchauffer actuellement ».
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