La tentative de décrédibilisation du COR orchestrée par le gouvernement est une honte

Gêné par les conclusions du rapport du Conseil d’orientation des retraites qui montre que la réforme ne comble pas entièrement le déficit, le gouvernement tente de décrédibiliser cet organisme indépendant. Des attaques contre les statistiques publiques qui constituent une grave atteinte au débat démocratique.

C’est reparti. Après l’avoir ciblé en février, le gouvernement et les députés macronistes concentrent à nouveau le tir sur le Conseil d’orientation des retraites, qui a publié son rapport annuel le 22 juin. « Vous voyez que ses évaluations changent tous les six mois », cingle le ministre des Finances Bruno Le Maire, affirmant prendre les projections du COR « avec beaucoup de prudence ».

Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, enfonce le clou, évoquant des « prévisions radicalement différentes à six mois d’intervalle, ce qui ne manque pas d’interroger sur les outils dont nous disposons pour piloter le système de retraite ».

« Radicalement différentes », les prévisions du COR? Pour tous les lecteurs réguliers de son rapport annuel, il y a de quoi se pincer. Depuis des années, ce pensum, farci de graphiques et tableaux peu affriolants, livre quasi invariablement le même diagnostic. Les réformes des retraites menées depuis trente ans ont stabilisé l’évolution de la masse des pensions en proportion de la richesse nationale dans les décennies à venir.

En revanche, les recettes sont en berne, créant un déficit qui se creuse lentement de 0,2% à 0,8% du PIB de 2030 à 2070 (contre une variation de 0,4% à 0,8% du PIB l’an passé), en retenant une hypothèse de croissance de 1%.

Ajoutons que ces statistiques froides, aussi idéologiques qu’un annuaire téléphonique, font autorité chez tous les économistes et sont abondamment reprises dans tous les rapports officiels sur les retraites, y compris l’étude d’impact de la dernière réforme des retraites. Les statisticiens du COR se basent d’ailleurs sur les prévisions de croissance du gouvernement pour échafauder leurs simulations à court terme et moulinent les données d’organismes aussi engagés politiquement que l’Insee, les caisses de retraites ou la direction de la Sécurité sociale. Consensuel, le COR compte parmi ses membres des parlementaires de la majorité et de l’opposition, des représentants des syndicats et du patronat, des hauts fonctionnaires et des économistes.

Le gouvernement ne supporte pas d’être contredit
Alors, que reproche exactement le gouvernement au COR? Sa constance, précisément. Et sa vilaine tendance à répéter des vérités statistiques qui ne cadrent pas avec la propagande du moment. En février, le gouvernement ne supportait pas d’être contredit dans son discours alarmiste sur « la faillite » du système de retraites. Aujourd’hui, il est horripilé par des simulations qui montrent que sa réforme ne comble pas entièrement le déficit en 2030. Un jour, il l’attaque sur ses chiffres trop optimistes. Le lendemain, sur ses chiffres trop pessimistes.

Détail piquant: comme le relève entre les lignes le rapport du COR, les sommes qui manquent pour effacer totalement le déficit en 2030 proviennent largement d’une bévue gouvernementale. Dès l’an passé, le ministère des Finances avait en effet intégré un report de l’âge de départ à la retraite dans ses prévisions budgétaires transmises au COR, qui représentaient environ 3 à 4 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Et ce sont ces recettes de la réforme, déjà intégrées par le COR l’an passé, qui expliquent en grande partie que le déficit ne soit pas aujourd’hui totalement comblé par la réforme.

Au rang des sempiternelles critiques, il y a aussi le soi-disant « déficit caché » du régime des fonctionnaires, relancé par le Haut-commissaire au Plan François Bayrou et quelques think tank libéraux, sur lequel le COR s’est maintes fois expliqué. En bref, la réduction du nombre de fonctionnaires (changements de statut de France Télécom, La Poste, RGPP) a considérablement réduit les rentrées de cotisations ces dernières années et l’écart avec les montants des pensions versés par l’Etat à ses anciens fonctionnaires est considéré comme « une subvention d’équilibre » et non un déficit.

Une convention comptable détaillé en toute transparence, qui n’est pas celle du COR mais du budget de la Sécurité sociale. Quant à la prétendue tendance du COR « à noyer le poisson » en multipliant les hypothèses de croissance et de chômage, il paraît difficile de faire autrement pour des projections allant jusqu’en 2070.

Des arguments pour tous les camps politiques
Preuve de son indépendance, le COR livre cette année, comme les années précédentes, des éléments factuels qui peuvent alimenter les discours de tous les camps politiques. Les uns brandiront le scénario qui montre que le déficit est plus que réglé si la France consacre sur le long terme le même montant de recettes aux retraites.

Les autres se saisiront des courbes montrant la dégradation continue du nombre de cotisants par rapport au nombre de retraités à cause du vieillissement démographique.

Pour montrer son souci de la justice sociale, le gouvernement pourrait même mettre en avant la vaste évaluation des effets redistributifs de sa récente réforme des retraites. « Quelle que soit la génération, les retraités aux pensions les plus modestes seraient bénéficiaires de la réforme, écrit le COR. A contrario, les 25% de pensions les plus élevées seraient pénalisées. » Une vraie réhabilitation de la « réforme de gauche » revendiquée par Olivier Dussopt!

Mieux, le COR indique que « la réforme permettrait une baisse de la part des dépenses de retraites dans le PIB sur le moyen terme mais augmenterait cette part à plus long terme, à compter des années 2040 ». Mais, cela, le gouvernement ne souhaite sans doute pas le crier sur les toits. Afin d’éviter que cela parvienne jusqu’aux oreilles de la Commission européenne. Encore une mauvaise raison de bâillonner le COR.

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