Les multiples visages de Prigojine, ancien couteau suisse de Vladimir Poutine

Ancien délinquant, ponte de la restauration et chef de guerre… France 24 revient sur les multiples casquettes d’Evguéni Prigojine, protégé de Vladimir Poutine et désormais en rébellion contre le maître du Kremlin.

L’opposition au pouvoir militaire russe a pris un visage pour le moins inattendu… Celui d’ Evguéni Prigojine. Ce proche parmi les proches de Vladimir Poutine a fait fortune dans la restauration, poussé par le maître du Kremlin dont il bénéficiait jusqu’ici des bonnes faveurs.

En coulisses, il a longtemps tiré les ficelles de la propagande russe tout en investissant le terrain militaire par le biais de sa milice Wagner, désormais lancée dans une guerre sans merci contre son propre État.

Un truand reconverti dans la restauration de luxe
Evguéni Prigojine a connu une ascension d’autant fulgurante qu’il n’est parti de rien. Dans le Saint-Pétersbourg de l’ère soviétique, il s’est d’abord fait connaître des autorités comme délinquant. À 20 ans, il a été condamné à 12 ans de prison pour avoir participé à un braquage et a aussi été reconnu coupable d’appartenir au crime organisé.

Il bénéficie d’une libération anticipée dix ans plus tard puis cherche à profiter des opportunités offertes par la chute du régime communiste en se lançant dans… la vente de hot dogs. Il abandonne rapidement cette branche pour reprendre une chaîne d’épiceries, puis décide de se consacrer à la restauration.

Vers la fin des années 1990, il ouvre à Saint-Pétersbourg le « New Island », qui va devenir le restaurant de luxe favori du monde des affaires et de l’élite politique locale. Parmi elle se trouve un certain Vladimir Poutine, qui commence à fréquenter l’établissement.

En 2001, fraîchement élu président de la Russie, Vladimir Poutine choisit d’emmener son homologue français Jacques Chirac au restaurant d’Evguéni Prigojine. D’après la légende entretenue par l’homme d’affaires, l’ex-délinquant reconverti profite de ce repas pour lier connaissance avec le maître du Kremlin.

Dès lors, Evguéni Prigojine s’immisce dans le cercle des proches du président russe à la force de la fourchette. À tel point qu’Evguéni Prigojine décroche un surnom : celui de « chef » de Vladimir Poutine. Sa proximité avec le président russe lui permet de décrocher de très juteux contrats pour assurer la restauration de tous les écoliers de Moscou et de l’armée russe. Des opportunités qui vont lui permettre d’amasser son premier milliard au début des années 2010.

Maître de la propagande russe
Avec Evguéni Prigojine, Vladimir Poutine s’est offert un loyal soldat aux poches très bien remplies. Il devient l’homme de la propagande numérique russe à grande échelle, et s’illustre en particulier par sa créativité pour tenter de discréditer des mouvements d’opposition. « Il n’a pas peur de se salir les mains pour arriver à ses fins », affirme au New York Times Lioubov Sobol, militant de la Fondation anticorruption de l’opposant Alexeï Navalny.

La holding d’Evguéni Prigojine, Concord Group, a ainsi des intérêts dans des médias chargés de propager des rumeurs sur tel ou tel opposant. L’homme est aussi soupçonné d’avoir organisé des coups médiatiques comme l’organisation d’une manifestation de faux militants pro-LGBT+ pour accueillir le président américain Barack Obama lors du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg, en 2013.

Le but, d’après le site russe d’investigation Meduza, était d’aller dans le sens du discours officiel du Kremlin, teinté d’homophobie, sur la défense des « valeurs familiales » face à un Occident présenté comme « décadent ».

Lors de l’élection présidentielle américaine de 2016 remportée par Donald Trump, Evguéni Prigojine est accusé d’avoir mené une « guerre de l’information » contre les États-Unis par le biais de sa « ferme à trolls »Internet Research Agency (IRA), ce qui lui vaut d’être inculpé par la justice américaine.

Chef de guerre
Et puis il y a le groupe paramilitaire Wagner. La milice russe était jusqu’ici perçue comme une armée parallèle à la solde du Kremlin, même si les groupes militaires privés sont, officiellement, interdits en Russie.

Très actif à l’étranger, le groupe Wagner s’est déployé sur les terrains de conflits armés, en Lybie, en Syrie, en République centrafricaine ou bien encore au Mali, négociant son aide militaire contre l’accès aux ressources locales telles que des mines d’or, ou bien en ponctionnant les revenus des États.

En Syrie, Evguéni Prigojine a ainsi obtenu du régime 25 % des revenus des champs gaziers et pétroliers que les forces paramilitaires russes ont contribué à reprendre aux militants de l’organisation jihadiste État islamique, a raconté le quotidien Libération dans une enquête consacrée aux barbouzes de Moscou, publiée en 2018.

Evguéni Prigojine a longtemps nié jusqu’à l’existence de sa force paramilitaire. Mais l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a changé la donne. En imposant sa milice comme un acteur majeur sur le terrain, Evguéni Prigojine a officiellement endossé le costume de chef de guerre. Un rôle qui a considérablement aiguisé son appétit de pouvoir, y compris au sein de son propre pays.

france24

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