La dématérialisation des rendez-vous en préfecture, amplifiée avec la crise sanitaire, a boosté un marché parallèle. Certaines personnes déboursent plusieurs centaines d’euros pour mettre fin à des mois d’attente et obtenir un rendez-vous en quelques semaines. Mais les arnaques fleurissent aussi.
« Service rapide et efficace de prise de rendez-vous en préfecture », « Prise de rendez-vous : premier arrivé, premier servi », « Fini les longues heures de recherche interminables »… Sur Facebook, Tiktok ou encore Snapchat, les groupes de revente de rendez-vous en préfecture pour obtenir ou renouveler un titre de séjour pullulent.
Et sur ces pages, des dizaines d’internautes partagent leur détresse. « Je cherche un rendez-vous depuis trois mois et je n’arrive pas à en trouver. Mon récépissé se périme le mois prochain, aidez-moi », écrit Adam. « D’urgence, j’ai besoin d’un rendez-vous à la préfecture de Nanterre », implore de son côté Kandé. Tous sont excédés d’une chose, voir apparaître la fameuse phrase « il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement » sur le site de leur préfecture.
« Je n’ai quasiment rien eu à faire »
Ibrahim, un Malien de 50 ans, a lui déboursé 350 euros pour voir cet obstacle disparaître. Arrivé en France en 2006, après avoir reçu une OQTF et travaillé plusieurs années en utilisant l’identité de quelqu’un d’autre, il a finalement décidé de payer pour obtenir l’accès à la préfecture car son patron s’était rendu compte que ses papiers n’étaient pas les siens. « Je ne pouvais plus travailler », raconte-t-il.
Le grand gaillard vêtu d’un tee-shirt noir et d’un pantalon de sécurité est exaspéré : « Sur les chantiers, je connais tous les métiers. Il me manque uniquement les papiers ». Ainsi, il a été mis en relation avec un revendeur via un ami malien qui y avait déjà eu recours. « Je n’ai quasiment rien eu à faire », témoigne Ibrahim. Après avoir contacté le numéro, « j’ai payé et j’ai eu un rendez-vous au bout de quelques semaines », ajoute-t-il. Mais malgré les centaines d’euros dépensés, il est toujours en situation irrégulière, son dossier ayant été rejeté. Un recours a été déposé.
Pour Pala, un Comorien de 32 ans qui est sans-papiers à Mayotte, le rendez-vous lui a couté 300 euros. Rencontré par Infomigrants en mai dernier, il raconte avoir trouvé « facilement » un « cyber » à Mamoudzou, le chef-lieu de l’île, après avoir été expulsé une fois et avoir dû refaire la traversée en kwassa-kwassa, un petit navire de pêche régulièrement utilisé pour parcourir les 70km qui séparent Mayotte des Comores.
« Ce sont des gens qui disent avoir une source à la préfecture et prennent les rendez-vous. On dépose notre dossier au cyber et il nous envoie un mail avec le rendez-vous », selon le père de famille. Pour lui, comme pour Ibrahim, l’attente après le paiement n’a duré que quelques semaines.
Outre les réseaux sociaux, des services sont également proposés par des sites internet comme « alerte-rdv-prefecture » ou « prefecture-rendezvous ». Grâce à un robot, ils scannent 24h/24 les préfectures et alertent immédiatement les abonnés lorsque des rendez-vous sont disponibles. Pour certains, une dizaine d’euros suffit pour être sur la liste des alertes.
« Ces gens profitent des faiblesses des gens comme nous »
Le business des rendez-vous est un marché noir qui fourmille aussi d’arnaques. Sarah, une Algérienne de 45 ans, en a fait l’amère expérience. Arrivée en France en février 2020, elle cherche depuis à régulariser sa situation. « Ils te mettent l’eau à la bouche puis te prennent tout », se désole-t-elle.
Après un premier versement de 70 euros, on lui réclame un second paiement de 130 euros « pour confirmer le rendez-vous ». Méfiante, elle accepte tout de même, espérant enfin mettre fin à l’attente. Mais après avoir payé, c’est « une confirmation de rendez-vous qui était totalement fausse » qu’elle reçoit.
Pour elle, c’est une immense déception, raconte-t-elle avec émotion. « J’y ai cru car je voyais sur Facebook des messages de personnes les remerciant. Mais tout était faux. Quand vous êtes dans une situation désespérée et qu’on voit des messages sur les réseaux sociaux disant que ça fonctionne, vous vous accrochez à ça et vous y allez.
Ces gens profitent des faiblesses des gens comme nous », regrette-t-elle. Aujourd’hui, Sarah vit avec son mari mais ne peut pas travailler et est en situation irrégulière depuis trois ans. « Je vis dans une grande prison. Je n’ai aucune vie sociale. Sans titre de séjour, je ne peux absolument rien faire », témoigne-t-elle. Et d’ajouter : « J’attends désespérément d’avoir un rendez-vous par la voie normale, mais c’est quasiment impossible ».
« C’est fou que les gens en viennent à payer pour accéder aux services publics gratuits »
Si ce business prospère depuis maintenant plusieurs années, c’est une conséquence de « l’impossibilité d’accéder aux préfectures et de la dématérialisation des titres de séjour », explique Lize Faron, responsable des questions entrée, séjour et droits sociaux à La Cimade. Un phénomène qui s’est d’ailleurs amplifié avec la crise sanitaire durant laquelle « il y a eu une fermeture complète des administrations ». « Ça se comprenait dans le contexte, mais depuis, les préfectures n’ont jamais rouvert leurs portes au public », regrette Lize Faron qui réclame plus de créneaux et une réouverture des guichets.
Car la difficulté d’accéder aux préfectures plonge les concernés dans une extrême précarité. « Il y a de plus en plus de personnes qui nous sollicitent parce qu’elles n’arrivent pas à renouveler leur titre de séjour donc elles passent des semaines, voire des mois, sans aucun document pour justifier leur séjour régulier. Et du titre de séjour découle tous les droits comme le droit au travail ou à la protection sociale… Ou tout simplement le droit de vivre en France sans risquer un contrôle et une expulsion », ajoute Lise Faron.
« On est vraiment sur des logiques de désintégration des personnes et une défaillance des administrations qui occasionnent des fins de droit. On trouve ça fou que les gens en viennent à payer pour accéder aux services publics gratuits, mais c’est le résultat du système organisé par les pouvoirs publics », dénonce-t-elle.
D’autres organisations, comme le Défenseur des droits, ou même des sénateurs, ont alerté l’État sur ce « marché noir ». Interrogé par Infomigrants, le ministère de l’Intérieur indique que ces affaires « font systématiquement l’objet de plaintes auprès de l’autorité judiciaire » et que « plusieurs dispositifs techniques ont été mis en place afin de limiter le risque de captations des rendez-vous en ligne ».
Depuis juin 2020, près de 170 millions « de connexions illicites ou malveillantes » ont été identifiées et déjouées, montrant ainsi « l’efficacité du dispositif ». Mais toutefois, ces mesures « ne permettent pas de lutter contre une fraude ‘manuelle’ effectuée par des personnes physiques rémunérées pour ce faire visant à préempter des rendez-vous puis à les monnayer », ajoute le ministère.
infomigrants