Un an après, le drame de Melilla reste « impuni »

Le 24 juin 2022, 23 migrants – 37 selon les ONG – sont morts en tentant d’entrer dans l’enclave espagnole de Melilla au Maroc. Depuis, ni les garde-frontières marocains ni leurs homologues espagnols n’ont été inquiétés par la justice. Une situation dénoncée par Amnesty ce vendredi, qui reproche aussi aux autorités locales de ne pas avoir rapatrié les dépouilles des victimes, toujours à la morgue de Nador.

« Ce fut une journée noire que je n’oublierai jamais ». Il y a un an, le 24 juin 2022, Ammar Mohamed Haj, originaire d’Érythrée, a tenté d’entrer dans l’enclave espagnole de Melilla. Sur la riposte des autorités ce jour-là, il « ne peu[t] rien dire », a-t-il confié à l’AFP, préférant « garder le silence » sur ce qu’il a vu. Certains de ses compagnons ont trouvé la mort de manière « atroce ».

Ce 24 juin 2022, près de 2 000 migrants d’Afrique subsaharienne, ont essayé, comme Ammar Mohamed Haj, de franchir la frontière qui sépare ce territoire du Maroc. Selon les autorités marocaines, 23 exilés sont morts. Certains, en chutant de la clôture érigée pour empêcher l’accès à l’enclave, tandis que les autres ont péri écrasés dans des « bousculades ».

Mais des ONG marocaines et internationales de défense des droits humains assurent que le bilan est plus lourd – 37 morts et 76 disparus – et fustigent le recours « excessif » à la force par les autorités.

Un manifestant tient une pancarte indiquant "les autorités espagnoles se conforment à ce massacre" devant le centre de séjour de courte durée CETI de Melilla après qu'au moins 23 migrants sont morts en essayant d'atteindre l'enclave espagnole, à Melilla, Espagne, le 27 juin 2022.
Un manifestant tient une pancarte indiquant « les autorités espagnoles se conforment à ce massacre » devant le centre de séjour de courte durée CETI de Melilla après qu’au moins 23 migrants sont morts en essayant d’atteindre l’enclave espagnole, à Melilla, Espagne, le 27 juin 2022.

Des images amateurs des incidents à la frontière, transmises à InfoMigrants, montrent le déferlement de violence qui s’est abattu sur les migrants ce jour-là. On y voit les forces de l’ordre distribuer des coups de matraque sur des hommes déjà à terre, un amoncellement de corps inertes gisant au sol, et des visages de migrants en souffrance.

D’après Amnesty International, des migrants auraient été aspergés de gaz lacrymogène et battus alors qu’ils se trouvaient au sol. Des accusations relayées par la BBC ou le consortium de journalistes Lighthouse Reports, qui ont dénoncé dans des enquêtes la brutalité des forces marocaines, vidéos à l’appui.

Pointés du doigt, le Maroc et l’Espagne ont toujours nié tout usage excessif de la force, accusant même les migrants d’avoir été « violents » envers leurs policiers. Selon le rapport d’une mission d’information marocaine publié un mois après le drame, les 23 migrants seraient morts par “asphyxie mécanique”, à cause de bousculades et de mouvements de foule. Et certains, en tombant de la clôture métallique.

 

Affaire « sans suite »

Les suites de ce drame ont largement joué en la défaveur des exilés, en mettant totalement hors de cause autorités espagnoles comme marocaines. D’après Amnesty International, ces dernières « continuent non seulement de nier toute responsabilité mais empêchent aussi des démarches pour découvrir la vérité », a déclaré vendredi la secrétaire générale de l’ONG, Agnès Callamard.

Malgré le tollé suscité par l’action des polices marocaine et espagnole, « l’impunité reste totale », dénonce de son côté Miguel Urban Crespo, eurodéputé espagnol de gauche radicale. De quoi créer un « précédent terrible pour l’Europe » et « pour l’Espagne », a déploré à l’AFP le parlementaire.

Le 23 décembre 2022, après six mois d’enquête, la justice espagnole a en effet classé l’affaire « sans suite ». « On ne peut pas conclure que l’action des agents ait augmenté le risque pesant sur la vie et l’intégrité physique des migrants et on ne peut donc pas les inculper d’homicide involontaire », a déclaré le ministère public dans un communiqué.

Toujours selon le parquet espagnol, « aucun des agents n’a eu connaissance » de la chute de migrants les uns sur les autres depuis la clôture séparant l’enclave du Maroc « et de ses conséquences fatales », et n’a su « qu’il y avait des personnes en situation de risque qui nécessitaient de l’aide ». Dans ses conclusions, il souligne également que « l’attitude des migrants » a été « constamment hostile et violente, envers les agents marocains et espagnols ».

Deux mois plus tôt, des experts de l’ONU avaient pourtant condamné le manque de responsabilité attribuée aux autorités marocaines et espagnoles dans ces violences. « Une enquête approfondie, des réparations aux victimes et à leurs familles, ainsi que des garanties que cela ne se répètera pas sont demandées en vertu du droit international des droits de l’homme », avaient-ils exigé. Sans succès donc.

« Il est évident que le gouvernement espagnol ne veut pas fâcher les autorités marocaines », a jugé Jon Iñarritu, député espagnol du parti séparatiste basque Bildu, pour qui Madrid, qui s’est rabiboché l’an dernier avec Rabat, craint une riposte du Maroc, qui pourrait laisser passer les migrants.

Peines durcies en appel

Au Maroc aussi, une enquête a été ouverte, mais n’a pas permis de déterminer la moindre responsabilité. En revanche, 87 survivants du drame ont été condamnés, notamment pour « appartenance à une bande criminelle d’immigration clandestine », à des peines allant jusqu’à quatre ans de prison, selon l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH).

En février dernier, la cour d’appel de Nador a même alourdi les premières condamnations prononcées à l’encontre de huit migrants, qui ont écopé de trois à quatre ans de prison ferme. Ces exilés faisaient partie d’un groupe de 15 personnes, qui avaient fait un recours devant la justice marocaine. Tous ont été condamnés pour « entrée illégale » au Maroc, « désobéissance » et « dégradation de biens publics », selon leur avocat Mbarek Bouirig.

 

Omar Naji, président de l’AMDH à Nador, réclame depuis le drame l’ouverture d’une enquête indépendante car de nombreuses « questions restent en suspens », notamment sur le sort des disparus. Selon Amnesty International, les autorités locales n’ont jamais fourni une liste complète des victimes, et n’ont jamais dévoilé la cause des décès.

Elles n’ont pas, non plus, tenté de rapatrier les dépouilles des victimes. En un an, un seul des migrants décédés a pu être identifié et enterré par sa famille, d’après l’AMDH. Les autres sont toujours à la morgue de Nador, dans l’attente des résultats de tests ADN nécessaires pour les identifier.

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