Depuis 32 ans, le médecin légiste Philippe Boxho fait parler les morts. Après une formation en médecine générale, il décide de se tourner vers la médecine légale. Pas question pour lui d’entendre qu’il fait cette profession par dépit.
Au quotidien, il est appelé sur des scènes de crime pour examiner les corps, scruter les lésions et déterminer avec précision les causes du décès. Directeur de l’institut médico-légal à l’Université de Liège, il vient de sortir son deuxième livre intitulé Entretien avec un cadavre, aux éditions Kennes. Philippe Boxho veut faire connaître sa profession et rendre son métier compréhensible du grand public. Rencontre.
Le Point : De quelle manière la profession de médecin légiste a-t-elle évolué au fil des années ?
Dr Philippe Boxho : Nous n’exerçons plus de la même manière qu’il y a trente ans. Progressivement, davantage d’attention a été apportée au soin du corps du cadavre. Depuis le début des années 2000, c’est un impératif de refermer le corps afin qu’il soit vu par la famille et qu’un dernier hommage puisse lui être rendu. C’est un grand changement pour la médecine légale et la philosophie de l’autopsie.
Vous êtes le dernier interlocuteur des familles. Comment les aidez-vous à faire leur deuil ?
Le médecin légiste a un rôle fondamental, c’est le seul qui peut dire aux familles de quoi leur proche est décédé.
Tous les proches ont toujours les mêmes questions : comment est-il mort ? pourquoi ? quand est-il décédé ?
En premier lieu, les proches veulent toujours savoir s’il y a eu une souffrance. Nous ne sommes pas là pour leur apporter une vérité édulcorée, on ne ment jamais. Cela ne sert à rien d’alléger la souffrance.
Si on travestit la réalité, ils finiront par se rendre compte du mensonge et ils n’auront alors plus confiance dans le processus judiciaire. Ce serait dramatique.
Une autopsie particulièrement marquante ?
Une jeune femme a tiré sur son père à neuf reprises avec une arme à feu alors qu’il dormait. Pendant l’autopsie, j’ai constaté que chacune des lésions était atone, aucune ne saignait.
Ce qui veut dire qu’elles avaient été faites alors qu’il était déjà mort. Grâce à l’autopsie, j’ai pu déterminer que, en réalité, il était mort pendant la nuit d’un anévrisme cérébral. Sa fille lui a tiré dessus juste après, elle n’est donc pas considérée comme une meurtrière. Pour parler de meurtre, il faut que la victime soit vivante au moment où elle est tuée : ce n’est pas le cas ici, donc la fille n’est pas condamnable.
Sur le plan purement médical, il faut aimer l’anatomie et la physiopathologie, c’est-à-dire le fonctionnement du corps humain.
Je me souviens aussi de l’histoire d’un homme alcoolisé qui avait avalé une petite fourchette en plastique de friterie belge. Quand on avale quelque chose, il y a en premier lieu une ouverture de l’œsophage puis un rétrécissement là où il croise l’aorte. La fourchette est restée calée à hauteur de l’aorte. Au fur et à mesure, elle est entrée progressivement dans l’aorte. Il s’est rendu à l’hôpital mais la fourchette en plastique n’a pas été vue à l’examen.
Il rentre alors chez lui, il a vécu plusieurs jours avec cette fourchette dans le corps jusqu’au jour où il est retrouvé mort allongé dans une flaque de sang très rouge, il s’agissait donc de sang artériel. Je vois alors le morceau de fourchette à côté du vomissement sanguin. Lors de l’autopsie, je découvre qu’elle a bien traversé l’œsophage, elle est entrée dans l’aorte, et l’aorte a finalement coulé vers l’intérieur.
Le médecin légiste est souvent un personnage clé des films et des séries policières. Une représentation fidèle à la réalité ?
Absolument pas ! Souvent les médecins légistes sont représentés sous des traits « atypiques ». Ce n’est pas du tout le cas, nous sommes tous relativement normaux. D’ailleurs, être un bon vivant est une qualité indispensable selon moi pour être médecin légiste. De plus, il est important d’avoir une psychologie bien ancrée et d’être capable de faire la différence entre le boulot et la vie privée.
Comme je le dis souvent, je ne rentre jamais chez moi avec un cadavre dans la tête. Sur le plan purement médical, il faut aimer l’anatomie et la physiopathologie, c’est-à-dire le fonctionnement du corps humain.
C’est une profession entourée de nombreux clichés. Dans la réalité, les autopsies ne sont pas non plus comme ce que l’on voit à la télévision. Les techniques n’ont rien à voir, les salles d’autopsie non plus. Même les bruits de la pénétration de certains objets dans les corps n’ont rien à voir. Autre élément troublant, les cadavres sont souvent très mal représentés. Le cadavre le plus réaliste que j’ai vu était dans Les Rivières pourpres, il était exceptionnellement ressemblant.
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