Christian Clot et les Climatonautes ont-ils trouvé la clé de notre adaptation au changement climatique  ?

Ils ont vécu le chaud de la forêt tropicale. Le chaud et l’humide. Ils ont ressenti le froid de la Laponie. Et ils ont goûté à l’aridité étouffante du désert. Ils en sont revenus pleins d’enseignements. Et avec, peut-être, la clé de notre adaptation au changement climatique anthropique. « Ils »,  ce sont les Climatonautes du projet Deep Climate et leur chef de file, Christian Clot. L’explorateur chercheur nous raconte.

Le coup d’envoi de l’aventure Deep Climate avait été donné en décembre 2022. Objectif : étudier la façon dont les humains peuvent s’adapter aux changements climatiques.

La folle mission de Deep Climate dans les environnements extrêmes

Six mois et pas moins de trois expéditions de 40 jours chacune plus tard, les Climatonautes, qui avaient choisi de suivre Christian Clot dans cette incroyable expérience, ont retrouvé la France. « Le premier enseignement à tirer de tout ça peut sembler être une évidence : on avance mieux ensemble. Mais Deep Climate a montré que la différence est réellement énorme.

Très vite, chaque membre de l’équipe a compris que, dans ces milieux, il n’était pas possible de survivre tout seul. Bien sûr, nous avions chacun des personnes avec lesquelles nous étions plus ou moins proches et avec lesquelles nous avions nos incompréhensions, mais dans les moments où nous en avions besoin, nous avons su les mettre de côté pour faire quelque chose d’extraordinaire.

Pour aller au-delà de ce que nous pouvions imaginer. C’est vraiment la coopération qui a finalement permis à chacun de faire face à des conditions extrêmes », souligne l’explorateur chercheur.

L’aventure Deep Climate avait commencé sous la pluie en Guyane. © Lucas Santucci, <em>Human Adaptation Institute</em>, Deep Climate

L’AVENTURE DEEP CLIMATE AVAIT COMMENCÉ SOUS LA PLUIE EN GUYANE.

Par conditions extrêmes, comprenez celles qui règnent d’abord au cœur de la forêt guyanaise puis en Laponie et enfin, dans le désert d’Arabie saoudite. Du chaud. Du froid. De l’humide. Du sec. Rien n’aura été épargné aux Climatonautes.

 « Et non seulement nous nous en sommes sortis, physiquement, physiologiquement et cognitivement.

Mais nous avons aussi réussi à mener à bien toutes les études scientifiques qui avaient été planifiées », se réjouit . De quoi ramener aux équipes du Human Adaptation Insitute (HAI) des milliers de données à analyser.

Cela prendra du temps. Mais « nous irons vite, promet l’explorateur chercheur. Parce que le besoin de trouver des solutions est urgent. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre 5 ans pour publier des résultats. Il nous faut mettre en place rapidement un travail pluridisciplinaire pour comprendre les vrais mécanismes de l’adaptation et les transmettre aux personnes qui peuvent agir ».

La forte influence du climat sur les humains

« On peut tout de même d’ores et déjà noter que la typologie climatique et de terrain influence beaucoup le comportement individuel et social, nous confie Christian Clot. On n’est pas la même personne quand il fait -35 °C que quand il fait +45 °C. » Une conclusion que l’explorateur chercheur tire de ses observations de terrain. 

« En fonction de la souffrance qu’on ressent ou de l’aisance qu’on a — et de facteurs peut-être physiologiques ou  qu’il faudra encore préciser –, notre comportement individuel change. Et avec lui, le comportement du groupe. Car lorsque l’on est dans la souffrance, on a tendance à se focaliser plus sur soi-même. On est moins disponible pour proposer des solutions au groupe. »

Avec quelques différences importantes entre climat froid et climat chaud. « La  a quelque chose d’insidieux. Parce que le  doit lutter et on sent qu’il devient plus difficile de garder la maîtrise de ses émotions et de ses sensorialités. Il peut y avoir des réactions plus fortes. Pour qu’un groupe fonctionne bien dans des conditions chaudes et sèches, il faut savoir mettre de l’huile dans les rouages. » Le phénomène ne s’est pas fait sentir dans la neige de Laponie.

 « Dans le froid, les activités prévues la journée sont envisagées de manière positive. Elles réchauffent. Et le soir, être en collectivité sous une même tente, ça réchauffe aussi. Les autres nous sont agréables. Alors que dans un climat chaud, plus vous marchez, plus votre corps souffre. Et pendant les temps de repos, rester les uns sur les autres pour trouver de l’ombre, alors que vous êtes fatigué et pas au mieux physiquement, peut s’avérer vraiment compliqué », nous explique Christian Clot.

<em>« La chaleur a quelque chose d’insidieux »</em>, a remarqué Christian Clot lors de l’expédition des Climatonautes dans le désert du Néfoud, en Arabie Saoudite. © Lucas Santucci, <em>Human Adaptation Institute</em>, Deep Climate

« LA CHALEUR A QUELQUE CHOSE D’INSIDIEUX », A REMARQUÉ CHRISTIAN CLOT LORS DE L’EXPÉDITION DES CLIMATONAUTES DANS LE DÉSERT DU NÉFOUD, EN ARABIE SAOUDITE.

L’adaptation comme une fonction globale de l’être humain

L’explorateur chercheur tire une autre grande leçon de Deep Climate. « Ces expéditions nous ont montré à quel point le cognitif et la psychologie sont importants en  d’adaptation. Passer son temps à se dire qu’on se sent mal, qu’on a trop chaud, que le vent nous énerve, empêche les mécanismes adaptatifs de se mettre en route.

Au contraire, accepter la condition, cesser de lutter contre son environnement, permet un meilleur vécu et une meilleure adaptation. Dissocier physiologie et , c’est pour moi une erreur qu’on a trop longtemps faite. Parce que cela nous a coupés de certains mécanismes. »

Ces observations pourraient alimenter et enrichir le débat actuel sur l’adaptation au changement climatique anthropique. « Les plans d’adaptation sont très orientés modifications structurelles. Avec des idées comme peindre les bâtiments en blanc ou ajouter des fontaines au cœur de nos villes. Ce sont de bonnes réflexions, mais elles sont insuffisantes. Nous ne pourrons pas nous adapter si nous n’acceptons pas la situation. »

“Accepter, c’est considérer la situation exactement telle qu’elle est”

Est-ce à dire qu’il faut déposer les armes, capituler face au réchauffement ? « Il y a un problème de vocabulaire. Et le simple fait que je doive apporter la précision le prouve. Dans ma bouche, accepter ne veut en rien dire se résigner ou abandonner. Accepter, c’est seulement réussir à considérer exactement la situation telle qu’elle est et pas comme on voudrait qu’elle soit ou encore comme on imagine qu’elle est.

Réussir ainsi à chercher des leviers pour faire face et puis éventuellement, pour agir sur la situation à long terme. Aujourd’hui, face au changement climatique anthropique, nous sommes dans une sorte de stupeur. Nous n’acceptons pas. Et nous ne pouvons donc pas nous adapter, nous projeter dans un futur. »

Au-delà du cercle polaire arctique, les Climatonautes ont fait face à des températures entre -10 °C et -30 °C, avec des froids ressentis allant jusqu’à -50 °C, dans un contexte de très forte variabilité météorologique. © M. Saumet, <em>Human Adaptation Institute</em>, Deep Climate

AU-DELÀ DU CERCLE POLAIRE ARCTIQUE, LES CLIMATONAUTES ONT FAIT FACE À DES TEMPÉRATURES ENTRE -10 °C ET -30 °C, AVEC DES FROIDS RESSENTIS ALLANT JUSQU’À -50 °C, DANS UN CONTEXTE DE TRÈS FORTE VARIABILITÉ MÉTÉOROLOGIQUE. 

L’émerveillement comme arme fatale

Selon Christian Clot, la grande différence entre ceux qui l’ont accompagné dans l’aventure Deep Climate et nous, c’est que « les Climatonautes se sont retrouvés dedans et que nous n’y sommes pas encore ».

Il veut dire par là que ces femmes et ces hommes ont ressenti le climat et ses extrêmes dans leur être. Ils ont eu vraiment très froid. Ils ont eu vraiment très chaud. « Comment voulez-vous faire comprendre à quelqu’un qu’il faut préserver nos forêts si ce quelqu’un n’a jamais vu d’ ? C’est ce qui se passe dans nos civilisations d’aujourd’hui. Certaines personnes n’ont jamais mis les pieds dans une forêt. Pour elles, l’idée de protéger les arbres, c’est trop abstrait.

Pour rendre les choses concrètes, il faut avoir un rapport de sensorialité avec elles. Alors la question se pose : comment faire pour que les gens ressentent le réchauffement du climat ? Nous espérons que la réponse se cache dans nos données. Parce que si nous devons attendre d’être dedans, comme les Climatonautes, ce sera sans doute trop tard pour changer. »

“On ne peut pas se contenter de faire peur aux gens”

Et en notre capacité à nous adapter, l’explorateur chercheur veut y croire. D’autant qu’il tient une clé. La plus belle des clés, peut-être même. « Nous l’avions déjà observé lors de nos missions précédentes comme sur Deep Time, mais Deep Climate a permis de le confirmer très clairement », nous raconte-t-il.

Et cette clé n’est autre que… l’émerveillement ! « La capacité de trouver un intérêt, quelque chose qui nous fait du bien. Si on ne trouve pas ça, on a énormément de mal à accepter. Parce que quand tout est négatif, ce n’est pas évident d’aller chercher l’envie de faire. » Ainsi, la notion de plaisir serait intimement liée à notre capacité de changer. Cela sonne comme une très bonne nouvelle.

« Et ce n’est pas juste une idée en l’. Je suis convaincu que nous pourrons le prouver cognitivement. L’émerveillement a un effet concret sur la capacité de mettre en œuvre le mécanisme adaptatif. C’est quelque chose de très puissant. Trouver quelque chose de joli dans une forêt n’encourage pas seulement à vouloir la préserver.

Cela permet à la personne d’entamer le processus d’acceptation et ensuite de modification de son comportement. » Les équipes du HAI ont d’ailleurs en projet de lancer une étude à ce sujet avant la fin 2023. Pour comprendre comment générer l’émerveillement. « C’est un autre des messages forts que nous voulons faire passer.

Pour gagner la lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut pas se contenter de faire peur aux gens, conclut Christian Clot. Malheureusement, aujourd’hui, beaucoup sont dans la détresse et c’est quelque chose que nous devons changer. »

futura

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