Le Haut conseil pour le climat (HCC) vient de publier son 5e rapport. L’occasion de se pencher un peu plus sur la question de l’adaptation qui fait tant parler depuis quelques semaines. Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du HCC, nous aide à mieux comprendre.
À la télévision, dans les journaux, sur les réseaux sociaux, nous avons tous entendu parler du fameux objectif fixé par l’Accord de Paris sur le climat de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C au-dessus des normales de l’ère préindustrielle. Mais saviez-vous qu’en 2022, il aura fait, pas dans une région chaude de l’autre bout du monde, non, en France, il aura fait une température moyenne de pas moins de 2,9 °C au-dessus des moyennes de la période 1900-1930 ! En parallèle, un incroyable déficit de précipitation a été enregistré : moins 25 % par rapport à la période 1991-2020. Une année exceptionnellement chaude et sèche.
« Exceptionnellement ». C’est peut-être ce dont certains voudront continuer à se convaincre. Mais « la réalité, c’est que dans le contexte de changement climatique anthropique, nous allons connaître de plus en plus d’années comme 2022. Même si le réchauffement mondial est contenu dans la limite des +2 °C, le record de 2022 correspondra à la température moyenne que nous aurons à affronter en France dès 2050-2060 », nous assure Corinne Le Quéré, la climatologue et présidente du Haut conseil pour le climat (HCC).
Car le constat établi dans le 5e rapport qui vient tout juste d’être rendu par l’organisme chargé d’évaluer l’action publique dans le domaine est sans appel. La France connaît un réchauffement plus marqué que la moyenne. Quelque +1,9 °C depuis l’ère préindustrielle contre +1,15 °C au niveau mondial. De quoi exposer notre pays un peu plus que d’autres aux conséquences du changement climatique. Mais, selon le HCC, la France n’est pas prête à faire face. « En 2022, nous avons atteint notre limite capacitaire de la gestion de crise », prévient Corinne Le Quéré.
L’adaptation au changement climatique, une urgence qui demande de la réflexion
« Nous pensions être prêts à affronter des périodes de canicules. Pourtant, en 2022, la France a enregistré plus de 2 800 décès en excès induits par les vagues de chaleur. Nous pensions aussi pouvoir gérer les déficits en eau. Les dispositifs avaient été révisés en 2021. Cela n’a pas empêché que plus de 2 000 communes connaissent des tensions sur leur approvisionnement en eau potable », nous cite la présidente du HCC pour exemples. Avant de nous expliquer pourquoi. « Parce qu’aujourd’hui, l’adaptation se fait sur un mode réactif. » Comprenez que les plans sont établis en fonction des événements passés.
En prenant peu en compte ce qui pourrait arriver à l’avenir. « Il faut changer de logique. Passer à un mode d’adaptation préventive et transformationnel. Au lieu de seulement réagir à ce qui s’est passé, nous devons intégrer dans la planification ce que la science nous annonce des conséquences du réchauffement pour la France. Pour réussir à gérer les années de type 2022 sans être dépassés par les événements. »
À quelle hausse de température s’adapter ?
Mais alors, le Gouvernement avait raison, lorsqu’il évoquait la nécessité de se préparer à un réchauffement de +4 °C à l’horizon 2100 ?
« C’est cohérent avec ce que nous dit la science et avec les politiques climatiques mises en place à l’heure actuelle, nous répond Corinne Le Quéré.
Ce n’est pas exagéré. C’est une trajectoire non seulement à prendre très au sérieux. Mais à laquelle il faut en plus intégrer les risques additionnels.
Les variabilités annuelles naturelles qui peuvent s’ajouter ». Comprenez qu’il faudra s’attendre à avoir des années avec des températures moyennes supérieures à celles de l’ère préindustrielle de l’ordre de +5 °C. « Il faut aussi envisager qu’il puisse se produire un renversement des politiques climatiques internationales. » En d’autres mots, que nous perdions la guerre et que le réchauffement s’emballe.
Pour décider des mesures d’adaptation à prendre, il faudra donc savoir se projeter. « Une centrale nucléaire que nous construirons en 2030 devra résister au climat au moins jusqu’à 60 ans plus tard. Et plus l’infrastructure considérée est précieuse, plus il y a de risques associés, plus nous allons devoir prendre en compte, non seulement la trajectoire climatique centrale, mais aussi les extrêmes possibles. C’est le sens de l’adaptation transformationnelle », nous précise encore la présidente du HCC.
Bonsoir,
📢 Le rapport 2023 du @hc_climat est en ligne, https://t.co/YZryvXo7AQ
Quelques points clés pour vous donner envie de le lire, en démarrant par les effets du changement climatique.
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1/… pic.twitter.com/cMrLt81MdJ— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) June 28, 2023
Autre risque à prendre en compte : celui de la maladaptation. « Construire des murs en zones côtières pour échapper à la montée du niveau de la mer et finalement devoir s’éloigner malgré tout, c’est un exemple de maladaptation. » Qui nous amène à un sujet sensible, celui des coûts. « Le financement de l’adaptation doit désormais être intégré aux budgets », souligne Corinne Le Quéré. En considérant aussi le risque que le système actuel des assurances s’effondre. « Le Gouvernement doit revoir la distribution des risques et le système aussi doit s’adapter. »
“Limiter nos émissions de gaz à effet est la seule façon de contenir efficacement les risques d’impacts graves.”
Mais gare à ceux qui penseraient qu’en suivant ces conseils, nous allons pouvoir nous adapter au changement climatique. Quoi qu’il advienne. « Il y a des limites », corrige la climatologue. « C’est pourquoi il est crucial d’atteindre la neutralité carbone, de limiter nos émissions de gaz à effet de serre. C’est vraiment la seule façon que nous avons de contenir efficacement les risques d’impacts graves qui nous menacent. »
Avec une équation qui a tendance à se compliquer un peu. Parce qu’aujourd’hui, « nous devons avoir à l’esprit que nous ne pourrons pas atteindre les objectifs de réduction de nos émissions sans adaptation, explique Corinne Le Quéré. Si les centrales nucléaires commencent à ne pas être disponibles une année sur deux parce qu’il fait trop chaud, nous ne pourrons pas compter sur leur électricité décarbonée pour répondre à nos besoins. Nous avons plus que jamais besoin de relier les deux problématiques pour que nous puissions atteindre nos objectifs de réduction des émissions en ayant en place l’adaptation nécessaire ».
La bonne nouvelle, tout de même, « c’est que le Gouvernement a lancé cette trajectoire à +4 °C pour planifier l’adaptation. Elle devrait d’ailleurs être intégrée à la révision en cours du Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnac). C’est la preuve que le Gouvernement réfléchit dans le bon sens. » Plus généralement, sur le plan de la lutte contre le changement climatique, la présidente du HCC se réjouit d’avoir vu le cadre d’action de la stratégie du Gouvernement bien se développer cette année.
« Les plans publiés mobilisent les parties prenantes. Les objectifs sont fixés. Les acteurs savent ce qu’ils ont à faire. C’est positif. Nous n’en étions pas à ce niveau l’année dernière. L’étape suivante sera celle du financement et de la programmation. Et nous n’avons plus de temps à perdre. Il faut prendre les décisions. Tracer les trajectoires et y aller. »
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