Charles Trenet est à l’honneur d’un spectacle audacieux, à la fois déjanté et plein d’humanité, coécrit et interprété par Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson à Paris. Une production également destinée à défendre l’image du « Fou chantant », injustement ternie par de vieilles rumeurs tenaces.
Jusqu’au 20 juin 2021 à Paris, le Hall de la chanson célèbre la mémoire de Charles Trenet, disparu il y a vingt ans, avec l’hommage musical Trenet, le revenant. Un spectacle onirique plein d’humour, de dérision et de poésie, monté avec deux chanteurs et trois instrumentistes, et où l’on redécouvre des perles – souvent méconnues – du répertoire du « Fou chantant » reprises dans des esthétiques diverses : chanson, rock, jazz, slam…
Cette production a été créée à Vesoul à l’automne 2020 en prévision des vingt ans de la mort de Charles Trenet. Programmé au Hall de la chanson le 19 février 2021, jour anniversaire de la disparition du chanteur, le spectacle a été diffusé en ligne pour cause de confinement. Mercredi 2 juin, il a été présenté pour la première fois devant un public parisien, en effectif réduit mais conquis.
Planqué dans le parc de la Villette, juste derrière l’imposante Grande Halle, le Hall de la Chanson, centre national à mission patrimoniale, se consacre au répertoire francophone. À la fois co-metteur en scène et chanteur de Trenet, le revenant, Serge Hureau dirige cet endroit chaleureux, à échelle et visage humains, et sur les murs duquel trônent des photos en noir et blanc de légendes du music-hall.
Célébrer l’artiste, réhabiliter l’homme
Un splendide portrait de Charles Trenet est accroché dans le petit hall d’accueil, près d’un piano blanc. Le « Fou chantant » y arbore un sourire triste, presque désolé, qui nous interroge. De circonstance. Vingt ans après sa mort, il est très compliqué de célébrer Charles Trenet. La direction du Hall de la chanson évoque cette question en guise de prologue.
Juste avant le coup d’envoi, Olivier Hussenet, co-metteur en scène de Trenet, l’enchanteur, et directeur adjoint du Hall de la chanson, consacre plus de temps à démonter les fausses informations qui brouillent l’image du père de la chanson moderne, qu’à présenter le spectacle et ses protagonistes… Non, Trenet ne fut pas un « collabo » pendant la guerre de 1939-45 – mais plutôt un chanteur provocateur sous la pression constante du régime, et qui a filé un coup de pouce méconnu à des résistants à Bruxelles. Et non, Trenet n’était pas un « pédophile », mais la victime de lois homophobes qui ont perduré jusqu’en 1982, explique Hussenet, faits à l’appui. Mais il n’y a rien de plus coriace que la rumeur.
Comme un écho à cette injustice, c’est par un cri que démarre le spectacle, suivi de la chanson Le Revenant, interprétée a cappella par Serge Hureau depuis la salle, alors que les autres musiciens assurent les chœurs. Ce titre de 1970 pose un climat inquiétant alourdi par un décor austère – juste un rideau transparent dans le fond de la scène – tandis que deux des musiciens, impassibles, vêtus de blouses médicales, s’affairent à leurs instruments (claviers, clarinette basse, saxophone, guitare, banjo, batterie…), répartis sur les deux côtés.
Les chanteurs principaux, Serge Hureau et Loïc Renard nous évoquent un Trenet mûr confronté à son double, jeune, du passé : survêtement de sport vert foncé et bouclettes blanches anarchiques pour le premier, grand imper gris pour le second. Bientôt, Hureau chante enfoncé dans un fauteuil, sous une couverture, veillé par les musiciens. Puis il s’élance sur un vélo d’appartement, et chante en pédalant… Quand il a imaginé le spectacle entre les deux confinements, le metteur en scène a été traversé par l’idée d’un hommage aux personnes âgées emportées par la pandémie. Il a pensé « à la fin de vie des gens, des artistes, mais c’était trop anecdotique, alors que chaque chanson raconte déjà une histoire », nous expliquera-t-il après le show. Alors il a « gommé l’anecdote » et mis l’accent sur un aspect directement lié à Charles Trenet : son côté très sportif, adepte de gym et de musculation.
Des reprises rock et des moments burlesques
Derrière le rideau transparent, Loïc Renard reprend le classique Je chante (1937). Ce titre occasionna l’un des – nombreux – malentendus entre Charles Trenet et son public qui n’y vit qu’un manifeste de joie, quand la chanson évoquait un suicide suscité par des gendarmes sans compassion face au dénuement. Sous la direction musicale de Clément Caratini, présent sur scène où il joue de différents instruments, ce chef-d’œuvre est revisité dans un arrangement rock, tout comme, un peu plus tard, Le Jardin extraordinaire (1957), un autre classique sur la genèse duquel planent quelques légendes. Ces reprises prouvent – si c’était nécessaire – que les chansons de Trenet possèdent une essence intemporelle et s’adaptent avec bonheur à de nouveaux écrins.
Au total, dix-sept chansons sont revisitées au gré de saynètes déjantées. Il y a de grands classiques – La Folle Complainte ; Fidèle – et des chansons moins connues : Au bal de la nuit ; Renaud, Renaud ; L’Abbé à l’harmonium et son texte désopilant qui évoque les années de pensionnat de Trenet… Beaucoup évoquent la jeunesse perdue. Il y a des moments d’émotion comme Quand j’étais petit, tendre romance de 1938 que Hureau chante à un autre homme, en clin d’œil à l’homosexualité du poète. Des moments de drôlerie comme ce pot-pourri burlesque entremêlant trois chansons… Des moments oniriques comme Le Fils de la femme-poisson, où, comme souvent chez Trenet, la plus profonde mélancolie se niche au cœur des histoires les plus surréalistes. Et tout au long du spectacle, de la pure poésie, à l’image du chanteur disparu.
Source: overfeed.com