Quinze ans après ses dernières aventures au cinéma, Indiana Jones reprend du service. Toujours campé par Harrison Ford, mais devant la caméra du réalisateur de Logan, l’archéologue le plus célèbre du globe se réinvente. Critique.
Un cinquième opus qui fait l’effet d’un bon coup fouet ? Indiana Jones est un monument de la culture populaire, une icône cinématographique qui a bercé bien des enfants à travers le monde. Il suffit qu’une note de la partition de John Williams ne retentisse pour qu’aussitôt l’envie de suivre Indiana Jones dans ses aventures ne se fasse pressante.
Vous l’aurez compris, ce nouvel opus n’avait pas le droit de nous décevoir. Sans Spielberg aux manettes, nous avions néanmoins quelques inquiétudes. Si même le maestro avait réussi à rater son dernier opus au cinéma…
James Mangold avait déjà fait montre de son talent pour la mise en scène de héros vieillissants. Son Logan a fait date dans l’histoire des super-héros, on pouvait espérer que notre Indy bénéficie du même soin. Le Cadran de la Destinée pourrait aussi faire office de carte de visite pour celui qui doit prendre en charge un nouveau film Star Wars annoncé il y a quelques mois.
En pleine course à l’espace à la fin des années 60, le professeur Jones prend sa retraite. Après des décennies de bons et loyaux services universitaires et quelques missions à travers le monde, il est temps de se ranger.
C’est du moins ce qu’il espérait avant qu’il ne retrouve Helena, la fille de son meilleur ami qui l’embarque à la poursuite du Cadran d’Archimède. L’objet est capable de prédire l’avenir, et un physicien nazi incarné par Mads Mikkelsen a bien l’intention de mettre la main dessus.
Difficile ne pas voir en la démarche de Disney et Lucasfilm une opération purement mercantile concernant une saga vieille de plus de quarante ans.
Le studio fondé par George Lucas a déjà réalisé l’exploit d’épuiser la vaste galaxie très lointaine, on ne pouvait qu’espérer que l’homme au fédora ne subisse pas le même traitement. James Mangold surprend à plus d’un titre avec Le Cadran de la destinée.
Si Le Royaume du Crâne de Cristal évitait volontairement de mentionner trop souvent l’âge du personnage et de son interprète, ce cinquième volet en fait son moteur.
Avec beaucoup de sensibilité, le film déconstruit Indiana Jones pour le confronter à un monde qu’il ne comprend plus. Homme tourné vers le passé, il se retrouve face à Helena qui incarne quant à elle l’avenir.
Cette nostalgie, cet ancrage historique devient ainsi le fil conducteur du récit qui se déploie avec beaucoup d’aisance dans sa première moitié.
Écrit par Mangold, en collaboration avec John-Henry Jez Butterworth et David Koepp, la narration coche toutes les cases du divertissement de circonstance. Cependant, elle puise sa force dans la manière qu’elle a d’offrir à ses acteurs une occasion de renverser l’ordre établi. De l’autre côté du miroir, il y avait déjà La Dernière Croisade qui reposait sur la même mécanique.
Si ce cinquième volet ne tient évidemment pas la comparaison avec celui qui est régulièrement qualifié de meilleur Indiana Jones, il bénéficie de tous les bons ingrédients d’une recette revisitée, juste ce qu’il faut pour nous embarquer à travers le monde.
C’est néanmoins un peu plus laborieux à mesure que le récit déroule le fil de sa réflexion.
Si l’accent mis sur l’action permet de garder le spectateur captivé, Mangold n’a pas la maîtrise de Spielberg. L’épilogue sauve le tout, livrant un final intense et sensible.
C’est finalement en explorant avec plus d’attention le voyage interne de son personnage principal que Mangold retrouve la force évocatrice de ses images et sa justesse narratrice.
Ce que la véritable introduction – qui suit vingt minutes de flashback consacré à Indy – avait installé, prend enfin vie et forme dans les derniers instants.
Il y invite toute la tendresse et l’amertume dont il avait déjà fait preuve en explorant le parcours d’un Logan vieillissant en 2017. Reste que si l’adaptation de Old Logan pouvait se targuer d’être brute de décoffrage et assez novatrice, Indiana Jones 5 reste dans les clous et ne surprend qu’à de très rares occasions.
Déjà la relève ?
Harrison Ford ne peut plus courir pour échapper à une immense boule de pierre ou sauter d’un char d’assaut en pleine chute vertigineuse. Du haut de ses 80 ans, l’acteur a dû délaisser le versant plus musclé de sa partition pour confier l’essentiel des cascades à Phoebe Waller-Bridge. L’actrice – et scénariste de l’excellente série Fleabag – s’illustre en parfait contre-pied à un Indiana Jones rincé par des années de lutte pour la sauvegarde de l’histoire et ses reliques.
Avec un plaisir certain, et une énergie folle, l’actrice britannique multiplie les cascades et les répliques cinglantes. Elle n’a rien perdu de son mordant chez Disney. Si rien n’a encore été annoncé dans ce sens, la firme aux grandes oreilles pourrait choisir de miser sur son personnage à l’avenir.
Ailleurs dans le métrage, Mads Mikkelsen s’épanouit à nouveau dans la peau du méchant. Il maîtrise sa copie à la perfection, il est rompu à l’exercice.
Il suffit de citer son passage dans la licence James Bond pour justifier sa solide connaissance des antagonistes. Sans doute un peu trop puisque la menace qu’il représente ne parvient pas toujours à prendre corps.
Boyd Holbrook est de son côté cantonné au rang de gros bras anecdotique, lui qui avait pourtant fait des miracles dans la série The Sandman sur Netflix.
Enfin, le jeune Français Ethann Isidore vient d’ajouter une belle ligne à son CV, même si ses rares interventions ne lui offrent pas toujours l’occasion de briller. Si sa participation est assez sommaire, il ne démérite pas pour autant.
Cap sur l’aventure
Avec un acteur principal de 80 ans, le public pouvait légitimement s’attendre à ce que Le Cadran de la Destinée soit plus avare en séquences d’action. Pour autant, James Mangold s’en tient à la feuille de route de la saga, ne lésinant pas sur les courses poursuites et autres combats contre les Nazis.
La scène d’introduction – avec un Harrison Ford rajeuni pour l’occasion – permet ainsi au cinquième volet de donner aux spectateurs exactement ce qu’ils viennent chercher lorsqu’ils achètent un billet pour un film de l’estampille. Embrassant sa portée nostalgique, le métrage livre une séquence d’introduction particulièrement enthousiasmante à la mise en scène plutôt efficace.
L’utilisation des effets visuels et notamment les techniques de “rajeunissement numérique” favorise l’immersion en fin de Seconde Guerre Mondiale. Le résultat n’est pas exempt de défauts. Néanmoins, après l’horrible doublure numérique d’Ezra Miller dans The Flash, Indiana Jones 5 nous rappelle qu’avec du temps et un savoir-faire, rien n’est vraiment impossible.
Toutes ces technologies modernes mises au service d’une saga quarantenaire créent un joli paradoxe et une véritable invitation à l’aventure.
Ensuite, Mangold explore, avec plus de finesse, le parcours de son héros, jouant avec les décalages entre sa figure héroïque vieillissante et son acolyte plus impétueuse et nerveuse.
C’est d’ailleurs Helena qui mène la barque dès lors que le flashback est passé. De son côté, Indiana Jones a les os qui craquent, il est rouillé. Ce sont autant d’entraves que la caméra du réalisateur de Logan va mettre en exergue pour mieux servir son propos aux allures de choc des générations.
Ce souci de réalisme est tout à fait louable, même si la constitution d’Harrison Ford ne rappelle pas celle du commun des mortels pour autant.
Reste que sous la direction de Disney, et alors qu’il n’a pas le poids d’un Steven Spielberg face aux directives d’un studio, James Mangold semble s’être assagi. Malheureusement pour ceux qui espéraient un véritable renouveau, le film ne s’écarte que très rarement des sentiers battus. Pire, Le Cadran de la Destinée oublie le volet plus “épouvante” des récits du célèbre archéologue.
Dans cette nouvelle aventure, pas de squelettes effrayants qui surgissent, pas de rats qui fuient les flammes en mordant tout sur leur passage, la saga a perdu de sa noirceur et de sa moiteur. Une esthétique trop lisse et assez dommageable tant ce volet favorisait l’immersion chez Spielberg. En édulcorant les explorations de sanctuaires millénaires, Le Cadran de la Destinée “a choisi bien mal”.
Nostalgie et futur
Indiana Jones a toujours évolué autour du passé. À travers les aventures de son héros, Steven Spielberg se faisait l’avocat de la conservation historique, de la préservation des reliques. Henry Jones Junior voulait dans la première trilogie sauvegarder ces morceaux d’histoire convoités par les Nazis. Quarante ans plus tard, Indiana Jones est lui-même devenu une relique du septième art hollywoodien, un vestige d’une époque ou divertissement allait de pair avec ambition.
James Mangold semble être assez conscient de la dimension nostalgique de sa copie, de l’aspect presque méta de son récit. On peut aisément faire un parallèle avec la fièvre des reboots et remake qui s’empare des studios américains depuis des années. Cette même fièvre que Lucasfilm a déjà mise au profit d’une renaissance de la saga Star Wars loin de George Lucas.
Si Disney a vampirisé Luke Skywalker et la galaxie très lointaine, Indiana Jones et le Cadran de la destinée évite de justesse cette erreur en faisant primer l’avenir et en offrant une tendre conclusion à l’aventurier. Le final est particulièrement réussi en ce sens. À demi-mots, le réalisateur nous invite à tirer un trait sur l’estampille pour explorer de nouveaux horizons.
Les plus cyniques diront sans doute que de la part d’un homme s’apprêtant à mettre en scène un nouvel opus de la saga Star Wars, la démarche peut prêter à sourire.
journaldugeek