Mardi 4 juillet au matin, Elena Milachina, une journaliste du journal russe indépendant Novaïa Gazeta, ainsi qu’Alexandre Nemov, un avocat, ont été passés à tabac alors qu’ils devaient se rendre à un procès à Grozny, en Tchétchénie. Des images documentent l’extrême violence de l’agression. Selon l’Équipe contre la Torture, une organisation russe de défense des droits de l’Homme qui s’occupe des deux victimes, les agresseurs pourraient être liés à des autorités de la République de Tchétchénie.
Sur une vidéo publiée par Ostorozhno Novosti, une chaîne Telegram indépendante russe, on peut voir une femme allongée sur un lit d’hôpital, le visage recouvert d’une couleur verte, les deux bras et les mains bandés.
“[Les assaillants] ont jeté le chauffeur de taxi hors de sa voiture, sont montés, nous ont baissé la tête, m’ont attaché les mains, m’ont mise à genoux, un pistolet sur la tempe” explique Elena Milachina dans la vidéo.
Selon l’Équipe contre la Torture et Mémorial, une autre association russe de défense des droits de l’Homme, l’avocat Alexandre Nemov et la journaliste Elena Milachina ont été attaqués, mardi 4 juillet à 5 h du matin (4 h heure de Paris) à Grozny. Ils étaient attendus sur la route reliant l’aéroport au centre de Grozny par un groupe de 10 à 12 personnes formant un barrage de trois voitures.
“On vous avait prévenus. Partez d’ici et n’écrivez rien”
Ils ont attaqué Elena Milachina à coups de pied et de matraque, lui cassant plusieurs doigts et provoquant plusieurs traumatismes crâniens, avant de lui raser la tête et de l’asperger d’antiseptique vert, un produit déjà utilisé dans le passé dans des attaques contre des membres de l’opposition russe, notamment Alexei Navalny. Alexandre Nemov a lui aussi été tabassé et frappé à la jambe, probablement avec un couteau, toujours selon l’ONG.
Selon Mémorial, avant de s’enfuir, les assaillants ont détruit les documents et le matériel de la journaliste, et les ont menacés : “On vous avait prévenus. Partez d’ici et n’écrivez rien”.
Elena Milachina et Alexandre Nemov s’étaient rendus en Tchétchénie pour assister au procès de Zarema Moussaeva, l’épouse d’un opposant à Ramzan Kadyrov, président de la République de Tchétchénie. Les fils de Zarema Moussaeva, les frères Iangoulbaïev, sont eux-mêmes des opposants du régime qui vivent actuellement en exil en Europe.
Officiellement accusée “d’agression contre un représentant des forces de l’ordre”, Zarema Moussaeva, qui souffre de plusieurs problèmes de santé, a été condamnée mardi à cinq ans et demi de prison.
“Ils ont manifestement eu accès à une sorte de base de données d’enregistrement des mouvements”
“Elena est très traumatisée. Elle s’évanouit tout le temps” affirme Olga Sadovskaya de l’Équipe contre la Torture, contactée par notre rédaction. L’association essaie actuellement d’évacuer Elena Milachina et Alexandre Nemov à Moscou, craignant qu’ils ne soient pas traités correctement en Tchétchénie.
Nous pensons que les agresseurs pourraient être liés aux autorités locales.
Il s’agissait d’une opération de grande envergure, impliquant trois voitures, douze personnes munies d’armes à feu, visibles. Tout s’est déroulé sur la route, sous les caméras de vidéosurveillance.
Ils ont manifestement eu accès à une sorte de base de données d’enregistrement des mouvements. Or, en principe, il est très difficile d’obtenir cela sans une certaine autorisation des autorités tchétchènes.
En Tchétchénie, les autorités n’ont enquêté sur aucune des attaques commises sur le territoire au cours des 15 dernières années. L’enquête suivant cette agression n’aboutira certainement à rien.
La journaliste et l’avocat ont d’ailleurs refusé de parler à la police. Olga Sadovskaya explique que cela fait partie d’une stratégie de dissuasion contre les journalistes.
“Les autorités ne veulent plus que des militants des droits de l’Homme, des journalistes, viennent en Tchétchénie pour mener des enquêtes sur la situation dans la région.
Il y a eu tellement de cas d’attaques importantes en Tchétchénie sur des journalistes, qu’il est très rare que l’un d’entre eux s’y rende aujourd’hui”.
Agressions et meurtres de journalistes qui enquêtent sur la Tchétchénie
En 2016, un bus de journalistes russes et étrangers en route pour Groznyavait été attaqué par des hommes encagoulés. Ils avaient été passés à tabac.
Elena Milachina avait remplacé Anna Politkovskaïa au journal Novaïa Gazeta dans la couverture du Caucase, après l’assassinat de cette dernière, en 2006. Anna Politkovskaïa travaillait particulièrement sur la Tchétchénie.
En février 2020, Elena Milachina avait déjà été agressée dans le hall de son hôtel, après des menaces publiques de Kadyrov.
Novaïa Gazeta est l’un des rares journaux indépendants en Russie, dont une partie de la rédaction demeure à Moscou malgré une interdiction de publier, et une autre partie travaille depuis la Lettonie. Cinq des journalistes de la rédaction ont été assassinés en vingt-cinq ans.
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