On le voyait venir. Et il est enfin arrivé avec ses souliers bien cirés. Le président gabonais, Ali Bongo Odimba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a annoncé, le 9 juillet dernier, sa candidature à la prochaine présidentielle de 2023. A vrai dire, cette nouvelle n’a rien d’une surprise, d’autant que le sexagénaire président a fait, ces derniers mois, un grand ménage autour de lui pour ne s’entourer que de fidèles et stratèges politiques capables de mettre en route une machine électorale qui ne laisserait que des miettes à l’opposition aux prochaines élections.
Cet homme qui n’aurait plus rien à offrir à ses compatriotes, que sa mort au pouvoir, a miraculeusement survécu à l’accident vasculaire cérébral qui l’avait foudroyé à Ryad en 2018, les séquelles de ce dernier obérant toujours sa mobilité et son élocution, comme on a bien pu le constater en novembre dernier sur le perron de l’Elysée, lorsqu’il a été reçu par le président français, Emmanuel Macron.
Le dandinement de Bongo fils devant les caméras du monde entier, qui a été sauvé de la chute par son homologue français, avait fait courir des rumeurs évoquant des pronostics irréversibles pour le président gabonais. Il a fait naitre d’intenses spéculations sur d’autres maladies cachées à l’opinion et a suscité les interrogations les plus farfelues sur le silence de marbre de la classe politique qui n’a pas demandé au valétudinaire président de débarrasser enfin le plancher pour « incapacité physique ».
Quatre mois après cette scène à la fois humiliante et émouvante, Ali Bongo avait voulu rassurer ses compatriotes qu’il a « surmonté une terrible épreuve » en esquissant des pas de danse enjoués sans l’aide de sa canne. Reste à savoir si cette mise en scène suffira à convaincre les Gabonais que leur inamovible président, jouit effectivement de toutes ses capacités, et qu’il sera à même de diriger le pays pendant le prochain septennat, malgré son âge et surtout son état de santé chancelant.
Le doute est permis quand on pense à la fin chaotique du règne du président algérien, Abdel Aziz Bouteflika et de celui du Guinéen Lansana Conté, tous les deux perclus pendant des années sur des fauteuils roulants alors que leurs suppôts se lançaient dans des déclarations à l’emporte-pièce, insensées et irresponsables, faisant croire à l’opinion qu’ils tenaient le gouvernail le plus sereinement du monde.
Pour Ali Bongo, son problème est double, puisqu’il est non seulement critiqué pour son impotence, mais aussi pour sa longévité au pouvoir, quand on sait qu’il a succédé à son père en 1999, après que ce dernier a dirigé le pays 32 ans durant. Un total de 55 ans de règne de la dynastie des Bongo dans un pays indépendant, il y a seulement 62 ans, a fait du Gabon le symbole de la « maladie infantile du multipartisme en Afrique », avec cette succession à la tête de l’Etat de père en fils, comme on l’a vu au Congo-Kinshasa, au Togo, au Tchad, comme on l’a frôlé au Sénégal avec les Wade, ou comme c’est encore possible en Guinée équatoriale, en Ouganda et au Congo-Brazzaville.
Pour ce qui est du Gabon, malgré son état de santé pourtant rédhibitoire, le trapu et très massif Ali Bongo Ondimba a franchi le Rubicon. Ce qui fait dire à certains qu’il est l’otage d’un entourage tribal ou familial qui met le pays d’autant plus frénétiquement en coupe réglée qu’il craint la fin de son règne et le début de toutes les incertitudes, avec les nombreuses casseroles que les uns et les autres ont pu trainer après avoir arpenté les couloirs du Palais de marbre, plusieurs décennies durant.
De toute façon, Ali Bongo n’avait même pas besoin que des larbins ou des courtisans aiguisent leur plume ou fertilisent leur imagination pour préparer les esprits à sa nouvelle candidature, puisque la Constitution adoptée en 2018 ne limite pas le nombre de mandats à la tête de l’Etat.
« Le Pays »