Thaïlande: le Parlement rejette la candidature de Pita Limjaroenrat comme Premier ministre

Le réformiste Pita Limjaroenrat, vainqueur des législatives en Thaïlande, a perdu jeudi le vote au Parlement pour devenir Premier ministre, les sénateurs fidèles à l’armée ayant rejeté sa candidature jugée trop radicale.

« Je ne vais pas abandonner », a déclaré Pita Limjaroenrat devant les journalistes, jeudi 13 juillet, en promettant une nouvelle stratégie pour convaincre les sénateurs nommés par l’armée qui s’opposent à sa nomination.

La deuxième économie d’Asie du Sud-Est, empêtrée dans un cycle de crises politiques, traverse une période d’instabilité, deux mois après les élections qui ont infligé un revers cuisant aux généraux au pouvoir depuis le coup d’État de 2014. Vainqueur des législatives sous la bannière de Move Forward, Pita Limjaorenrat, se heurte au système contrôlé par les élites conservatrices royalistes, qui lui reprochent ses ennuis judiciaires et son projet de réviser la loi sur la lèse-majesté.

La défaite du candidat progressiste, visage du renouveau politique auprès des plus jeunes, ravive le scénario de manifestations importantes, palpable autour du Parlement, protégé par un important dispositif de sécurité.

Malgré le soutien d’une coalition majoritaire à la Chambre basse (312 députés sur 500), Pita Limjaorenrat n’a pas obtenu la soixantaine de voix de sénateurs dont il avait besoin pour atteindre le seuil requis. Le député Move Forward, seul candidat déclaré au poste de Premier ministre, n’a convaincu que 13 des 249 sénateurs, tous nommés par l’armée. Au total, chambre basse et haute réunies, il a obtenu 324 votes sur 705, encore loin du seuil des 375 voix qu’il devait franchir.

Risque de suspension
Alors que le vote était en cours, plus de la moitié des électeurs ont choisi de voter contre ou de s’abstenir, selon un comptage de l’AFP, ne laissant plus aucune chance au député Move Forward, le seul candidat déclaré pour le moment, de pouvoir atteindre la majorité nécessaire. Les sénateurs sont donc pour la plupart restés fidèles à l’armée, malgré les appels de Move Forward à remettre la Thaïlande sur la voie de la démocratie.

« Ce n’est pas un vote sur moi ou Move Forward mais un vote pour donner une chance à la Thaïlande de retourner à la normalité », avait plaidé Pita Limjaorenrat, devant les électeurs, avant l’ouverture du vote. Nouvelle Constitution, abolition du service militaire obligatoire, légalisation du mariage pour tous, ouverture de certains marchés… Son programme de rénovation visait à tourner la page d’une quasi-décennie sous l’autorité de l’ex-général putschiste Prayut Chan-ocha, qui a vu les libertés fondamentales reculer et l’économie stagner.

Mais tout cela a exposé Move Forward et son chef de file à des poursuites judiciaires. Les concernés ont estimé que celles-ci visaient à les détourner du pouvoir. Pita Limjaroenrat est en effet accusé dans deux affaires distinctes, qui font planer la menace d’une disqualification comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Le président de la commission électorale a préconisé une suspension de ses fonctions parlementaires, en raison d’actions qu’il possédait dans une chaîne de télévision au moment de la campagne.

Le député, qui se défend de toute manœuvre illégale, risque la perte de son siège de parlementaire, une peine de prison et un bannissement de la vie politique pendant vingt ans. Dans un autre dossier, la Cour constitutionnelle a déclaré recevable la plainte d’un avocat qui accuse Pita Limjaroenrat et Move Forward de vouloir « renverser » la monarchie.

Le choix d’un candidat jugé plus consensuel
La question de la place du roi dans la société a occupé les discussions dans l’hémicycle, autour de la loi controversée réprimant la lèse-majesté, l’une des plus sévères au monde de ce type. Move Forward défend, seul, une réforme du texte, dont la formulation floue laissant place à l’interprétation a été détournée à des fins politiques pour faire taire toute contestation, selon des groupes de défense des droits. Le camp conservateur refuse toute modification de ce symbole, au nom du statut intouchable du roi, considéré comme une quasi-divinité.

Députés et sénateurs se réuniront autant de fois que nécessaire, avec la possibilité qu’un candidat jugé plus consensuel, issu d’un autre parti, emporte le poste. Le puissant mouvement d’opposition Pheu Thai, arrivé deuxième dans les suffrages et qui s’est rallié à Move Forward, a la possibilité de présenter un de ses cadres : Paetongtarn Shinawatra, la fille de l’ex-Premier ministre en exil, Thaksin Shinawatra, ou l’homme d’affaires Srettha Thavisin.

La Thaïlande, qui a connu une douzaine de coups d’État réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, est habituée aux crises politiques, parfois émaillées de violences. Barbelés, conteneurs pour bloquer les accès… Un dispositif sécuritaire d’ampleur quadrille les alentours du parlement, entouré de barricades.

afp

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