Le film Les Algues vertes de Pierre Jolivet et Inès Léraud est sorti sur les écrans le mercredi 12 juillet 2023. Il s’agit à la fois d’une enquête journalistique fouillée sur un scandale environnemental et sanitaire affectant le littoral breton et ayant provoqué des morts, et du portrait sensible d’une enquêtrice confrontée à des hommes coupables et victimes à la fois, otages sans retour de l’engrenage du système agro-alimentaire industriel mis en place après la Seconde guerre mondiale. Un véritable coup de poing à l’estomac.
Directement inspiré du roman graphique d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove, Algues vertes. L’histoire interdite (2019, plus de 150.000 exemplaires vendus), le film éponyme de Pierre Jolivet est sorti le 12 juillet 2023 sur les écrans. Cette fois, ce n’est plus la seule dénonciation d’un scandale sanitaire et environnemental, car le réalisateur a décidé d’en faire une fiction centrée sur le personnage de la journaliste indépendante – joué par Céline Sallette – qui enquête sur la pollution du littoral breton par les algues vertes.
On suit son cheminement depuis Paris et les antennes de France Culture, radio pour laquelle elle travaille, jusqu’à cette petite communauté rurale des Côtes-d’Armor où elle pose en 2015 ses bagages, le temps de l’enquête, pense-t-elle. Ses entretiens avec les acteurs de ce monde agricole vont d’abord nourrir son Journal breton, diffusé sur la radio nationale.
« Elle découvre peu à peu l’omerta imposée autour de la question des algues vertes par les élus locaux et régionaux. Ainsi que les syndicats agricoles, avec en tête de pont la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le syndicat majoritaire agricole en France, qui participe directement à la nomination des ministres de l’Agriculture », selon l’enquêtrice.
Le dossier noir des algues vertes s’ouvre dans les années 1980. A cette époque, les plages bretonnes sont régulièrement envahies par ces fines pellicules vertes qui s’amassent sur les plages et y pourrissent. On s’y habitue, on apprend à ne pas glisser sur ces tapis gluants durant les vacances. La presse s’en alarme. Mollement. Certaines plages, trop polluées, sont délaissées par les touristes.
En juin 1989, le corps d’un joggeur de 27 ans est découvert dans des amas d’algues vertes en décomposition sur la plage de Saint-Michel-en-Grève (22). Alerté par l’odeur pestilentielle qui émane du corps, le Dr Philippe, médecin urgentiste, réclame une autopsie… dont le rapport se perd ! Dix ans plus tard, un conducteur de tractopelle qui ramassait des algues sur cette même plage perd connaissance au volant de son engin. Secouru par deux joggeuses par ailleurs infirmières, il demeure dans le coma pendant cinq jours.
Dans les années qui vont suivre, deux gros chiens (plage d’Hillion, près de Saint-Brieuc en 2008) et un cheval (Saint-Michel-en-Grève en 2009) vont trouver la mort sur des plages engluées d’algues vertes. En cette même année 2009, Thierry Morfoisse, un transporteur routier qui venait de vider trois énormes chargements d’algues vertes, a été retrouvé mort au volant de son camion. Deux ans plus tard, les cadavres de 36 sangliers sont découverts dans l’estuaire du Gouessant à Morieux.
C’est là aussi que l’on trouvera, en 2016, le corps sans vie de Jean-René Auffray, un sportif sans antécédent médical de 50 ans, venu faire un jogging matinal. En 2019, un jeune ostréiculteur de 18 ans décède brutalement en baie de Morlaix, alors que des associations environnementales avaient alarmé les autorités publiques d’une inquiétante marée d’algues vertes sur ces côtes.
Découverte de corps de sangliers victimes des algues vertes.
A chaque fois, une chape de plomb politique et économique empêche ou caviarde les autopsies, annule les résultats d’analyses, clôture prématurément les enquêtes… « Tout le monde a peur dans cette affaire, explique dans le film le personnage incarnant le vice-président du Conseil régional chargé de l’environnement à la région Bretagne. Les algues vertes sont un véritable fléau pour la Bretagne. Un décès humain dû aux algues vertes aurait des conséquences dramatiques sur le tourisme, donc l’immobilier, et plus largement sur le modèle agricole développé en Bretagne. C’est un sujet hautement politique. »
« Un décès humain dû aux algues vertes aurait des conséquences dramatiques sur le tourisme, l’immobilier et surtout le modèle agricole breton »
Le premier coupable est en fait l’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz toxique à l’odeur d’œuf pourri dégagé par les algues vertes en décomposition. Plus lourd que l’air, il s’accumule au niveau du sol quand il n’y a pas de vent. Lorsqu’elles pénètrent les voies respiratoires, ces poches empoisonnées peuvent tuer comme autant de mines invisibles. Les autres coupables, humains, sont historiques, économiques et bancaires. Loin d’être une charge contre les agriculteurs bretons, ce film sensible fait entendre des voix justes, souvent poignantes.
De fait, les héritiers de terres souvent ancestrales sont eux-mêmes les victimes et otages d’un système industriel d’agriculture imposé par l’État après la Seconde guerre mondiale, dans le cadre du plan Marshall. Les décennies qui ont suivi ont transformé une société de petits paysans, pour nombre d’entre eux miséreux, en une industrie agro-alimentaire prospère, devenue l’un des fleurons de l’industrie française. « L’exportation de poulets français au Moyen-Orient rapporte plus que les ventes d’armes », explique dans le film Inès Léraud.
Au cours de son enquête, les questions de la journaliste se heurtent à des fins de non-recevoir des préfectures, à des menaces de procès en diffamation. Dans le même temps, la population porcine atteint les 14 millions de têtes, quatre fois plus que le nombre d’habitants, selon la journaliste et co-auteure du scénario, qui s’est aujourd’hui installée durablement en Bretagne.
Confrontation avec un agriculteur en souffrance.
Ce film clé, qui s’attache à la véracité des faits, nous plonge dans le monde agricole contemporain, en souffrance silencieux et pourtant quasiment absent de l’univers cinématographique ! Dans le même temps, les eaux saturées de nitrates des rivières bretonnes continuent à alimenter les algues vertes et à polluer l’eau potable.
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