Alors que l’avenir d’Evguéni Prigojine s’écrit en pointillés depuis la rébellion avortée de Wagner, Vladimir Poutine a assuré jeudi avoir proposé aux miliciens le nom d’un nouveau chef : Andrei Troshev, un vétéran de guerre et l’un des fondateurs du groupe paramilitaire.
Le roi est mort, vive le roi ? Dans une interview publiée le 14 juillet, le président russe Vladimir Poutine a assuré qu’il avait proposé aux hommes de Wagner de servir sous les ordres d’un nouveau chef après la rébellion avortée d’Evguéni Prigojine, ce que ce dernier aurait refusé.
Dans cet entretien accordé au journal russe Kommersant, Vladimir Poutine a donné les détails d’une réunion qui s’est tenue fin juin au Kremlin, en présence des commandants du groupe paramilitaire.
Les soldats de Wagner « auraient pu être réunis dans un seul endroit et continuer à servir. Pour eux, rien n’aurait changé, ils auraient été dirigés par la personne qui était leur véritable commandant pendant toute cette période », a affirmé le président russe, lors de cette séance d’humiliation publique de son ancien cuisinier.
« Beaucoup (de commandants de Wagner) ont acquiescé de la tête quand j’ai dit ça. Mais Prigojine, qui était assis devant, […] a dit, après avoir écouté, ‘Non, les gars ne sont pas d’accord avec cette solution' », conclut Vladimir Poutine.
Un vétéran d’Afghanistan et de Tchétchénie
Selon la presse russe, celui que le maître du Kremlin appelle « le véritable commandant » de Wagner se nomme Andrei Troshev, alias « Sedoï », un nom de guerre signifiant « Cheveux gris ».
Né en avril 1953 à Léningrad, ce colonel à la retraite est considéré comme un héros en Russie. Pour son service pendant l’invasion soviétique de l’Afghanistan (1979-1989), Andrei Troshev, a reçu deux Ordres de l’Étoile rouge, une décoration militaire de l’ex-URSS pour service exceptionnel.
L’officier a également été décoré de deux Ordres du courage et d’une médaille de l’Ordre du mérite pour la patrie pour sa participation aux opérations militaires en Tchétchénie dans la deuxième moitié des années 1990.
Enfin, Andrei Troshev a été fait « Héros de la Russie » en 2016, le plus haut titre honorifique du pays, pour sa participation dans la prise de Palmyre en Syrie contre des combattants de l’organisation État islamique. L’ancien soldat avait alors déjà pris sa retraite et agissait pour le compte du groupe Wagner.
« Cheveux gris » est aussi un ancien du « Détachement mobile à vocation particulière » (OMON), les forces spéciales du ministère russe de l’Intérieur et de la « Force d’intervention spéciale rapide » (SOBR), une unité d’élite rattachée la Garde nationale russe, en charge notamment de la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme.
Le « directeur exécutif » de Wagner
Sanctionné par l’Union européenne pour son rôle « dans les opérations militaires du groupe Wagner en Syrie », Andrei Troshev est décrit par l’UE comme le « directeur exécutif » de la milice privée.
« Il était particulièrement impliqué dans la région de Deir al-Zor. En tant que tel, il apporte une contribution cruciale à l’effort de guerre du (président syrien) Bachar al-Assad et, par conséquent, soutient le régime syrien et en bénéficie », peut-on lire dans un document daté de 2021 détaillant des sanctions contre plusieurs personnalités et entités russes.
Les autorités britanniques indiquent aussi que l’ancien colonel de l’armée russe était « le directeur général du groupe Wagner. Par conséquent, il a soutenu le régime syrien, a été membre d’une milice et a réprimé la population civile en Syrie. »
Parmi ses proches collaborateurs figurent Dmitri Outkine, un ancien officier du renseignement militaire russe (GRU), et cofondateur du groupe Wagner, connu pour sa fascination pour l’histoire du IIIe Reich.
Une photographie d’une réception au Kremlin datant de 2016 montre Vladimir Poutine aux côtés d’Andrei Troshev et de Dmitri Outkine, décorés de plusieurs médailles militaires.
Putin claims many of the Wagner commanders nodded in agreement when he made his offer. But he says Prigozhin, trying to speak for the group, refused.
— John Hardie (@JohnH105) July 14, 2023
On y voit également deux autres commandants de la milice : Andrei Bogatov et Aleksandr Kuznetsov. Ce dernier avait été condamné en 2010 pour vol et kidnapping avant d’être libéré trois ans plus tard, rappelle le média indépendant russe Meduza.
Armes, alcool et argent
Hormis la réputation de brutalité qui colle à tous les cadres du groupe Wagner, les informations sont rares et parcellaires concernant la personnalité du possible successeur d’Evguéni Prigojine.
Les journalistes russes se sont toutefois fait l’écho d’un épisode d’alcoolisation avancée en 2017 ayant conduit à l’hospitalisation d’Andrei Troshev. Selon le média local Fontanka, le mercenaire aurait été repéré ivre mort dans les rues de Saint-Pétersbourg.
Les ambulanciers ont alors eu la surprise de découvrir sur lui cinq millions de roubles (près de 55 000 euros au cours actuel), 5 000 dollars en espèces, des cartes de la Syrie, des reçus d’armes à feu et un billet d’avion pour la ville de Krasnodar.
Les propos de Vladimir Poutine désignant Andrei Troshev comme un possible successeur à Evguéni Prigojine interviennent alors que l’avenir du patron de Wagner, qui n’a plus été vu en public depuis le 24 juin, semble de plus en plus incertain depuis sa tentative de rébellion contre le commandement militaire russe.
Le sort des forces du groupe paramilitaire reste aussi inconnu pour l’instant. Des sources ukrainiennes ont rapporté samedi que les premières troupes de Wagner étaient arrivées en Biélorussie.
Une loyauté récompensée ?
Selon Tatiana Stanovaya, chercheuse non résidente à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, le président russe souhaite désormais établir une distinction nette entre les combattants de Wagner, dont il peut exploiter l’expérience et l’expertise, et le chef des mercenaires, qu’il considère désormais comme imprudent et indigne de confiance.
« Ils veulent préserver le noyau de Wagner mais sous une direction différente, qui est clairement beaucoup plus loyale et même contrôlable », a expliqué Tatiana Stanovaya dans un entretien accordé au New York Times.
Début juillet, Newsweek a dévoilé une information qui pourrait éclairer le choix de Vladimir Poutine. Dans la foulée de la rébellion avortée de Prigojine, Andrei Troshev a été licencié du groupe Wagner pour avoir dévoilé les plans de son patron.
L’hebdomadaire américain s’appuie sur un document qui aurait été divulgué par le Service fédéral de sécurité russe (FSB) et circulant sur Telegram parmi les réseaux russes. Ce dernier suggère qu’Andrei Troshev a informé des hauts responsables du Kremlin du projet de rébellion du groupe Wagner. Une fidélité au chef suprême dont « Cheveux gris » pourrait bientôt récolter les fruits.
france24