La Cour constitutionnelle thaïlandaise a suspendu, mercredi, de son mandat de député le candidat réformiste au poste de Premier ministre, Pita Limjaroenrat, le temps d’instruire une enquête le concernant. Si le leader du parti Move Forward, vainqueur des élections, reste éligible, il a jugé peu probable d’avoir « assez de soutiens pour être nommé Premier ministre ».
Une crise politique se dessine en Thaïlande. Après la suspension de son mandat de député par la Cour constitutionnelle, Pita Limjaroenrat, le vainqueur des élections qui fait face à l’opposition de l’armée, se dirige vers un nouvel échec au Parlement pour l’accession au poste de Premier ministre.
Il a lui-même jugé peu probable d’être désigné Premier ministre après un premier échec le 13 juillet dernier. « Je n’aurai sans doute pas assez de soutiens pour être nommé Premier ministre », a déclaré le chef de file du parti Move Forward, estimant « évident que le vote du peuple n’est pas suffisant pour gouverner le pays », dans un message publié sur son compte Instagram.
« J’aimerais vous dire au revoir jusqu’à notre prochaine rencontre », a lancé l’intéressé en quittant l’hémicycle sous les applaudissements, le poing levé.
Les juges ont suivi les recommandations de la commission électorale, qui accuse le chef de file du parti Move Forward de posséder des actions dans une chaîne de télévision au moment de la campagne électorale, ce qui est interdit par la loi thaïlandaise. Cette décision inflige un coup quasi-fatal au candidat, dont les chances étaient déjà minces de former le prochain gouvernement.
Pita Limjaroenrat s’est défendu de toute manœuvre illégale, et a rappelé que le média en question, iTV, n’émettait plus depuis 2007. Il risque un bannissement de la vie politique durant vingt ans.
« Il a été ordonné que (Pita Limjaroenrat) doit être suspendu de son rôle à compter du 19 juillet », écrit la Cour constitutionnelle dans un communiqué.
Cette annonce fait craindre de nouvelles protestations d’ampleur, dans un royaume où interventions de l’armée et décisions de justice ont souvent perturbé le cours de la démocratie, à l’avantage des élites conservatrices royalistes.
Blocage des sénateurs nommés par l’armée
Plébiscité pour son programme de rupture, qui fait écho aux manifestations pro-démocratie de 2020, Pita Limjaroenrat incarne à 42 ans le renouveau souhaité par les Thaïlandais, après une quasi-décennie de domination par les militaires depuis le coup d’État de 2014.
Mais le champion de l’alternance, soutenu par une coalition majoritaire à l’Assemblée nationale, se heurte aux blocages des sénateurs nommés par l’armée qui lui reprochent un programme jugé trop radical vis-à-vis de la monarchie.
Bien que suspendu comme député, Pita Limjaroenrat peut toujours se présenter pour devenir Premier ministre, car la loi thaïlandaise permet à des personnalités extérieures à l’hémicycle, nommées par un parti, d’être chef de gouvernement.
Mais plus de cinq heures après le début des discussions, députés et sénateurs se déchiraient toujours pour savoir s’il devait avoir une deuxième chance, après un premier rejet par le Parlement bicaméral jeudi.
Le camp conservateur brandit un point du réglement qui empêche une motion préalablement refusée par le Parlement d’être présentée à nouveau lors d’une même session.
Rejeté une première fois par le Parlement bicaméral jeudi, il a besoin du ralliement d’une cinquantaine de sénateurs supplémentaires (sur 250) pour obtenir la majorité requise. Seuls treize d’entre eux l’ont approuvé au premier vote.
Certains sénateurs, échaudés par son projet de réformer la loi sur le crime de lèse-majesté, pensent même que Pita ne devrait pas être autorisé à se présenter, en vertu du règlement qui interdit au Parlement de discuter deux fois de la même motion lors d’une session.
Épée de Damoclès
Pour le moment, le député Move Forward, coqueluche des nouvelles générations, est le seul candidat déclaré pour devenir Premier ministre.
« Si vous votez en accord avec la voix du peuple, qu’importe le résultat, votre nom sera gravé dans ce royaume avec beaucoup d’honneur et de fierté », a-t-il lancé à destination des sénateurs, sur Twitter.
En cas de deuxième défaite, il a promis samedi qu’il se retirerait au profit du parti Pheu Thai, deuxième force dans l’hémicycle et membre de la coalition pro-démocratie.
L’homme d’affaires Srettha Thavisin (60 ans), au profil plus consensuel, est le mieux placé pour prendre la suite, mais la présence de Move Forward parmi ses soutiens pourrait dissuader les sénateurs et ainsi le pousser à s’allier avec des mouvements plus conciliants avec l’armée.
Aux incertitudes politiques s’ajoutent des affaires judiciaires, qui laissent planer au-dessus de Pita la menace d’une disqualification comme une épée de Damoclès.
Risque de contestations
En plus de l’affaire liées aux actions iTV, Pita et Move Forward sont accusés de vouloir renverser la monarchie.
Leur projet de réformer la loi controversée sur la lèse-majesté, l’une des plus sévères au monde de ce type, a provoqué de vives réactions du camp conservateur, qui les accuse de saper les valeurs traditionnelles du royaume.
La Thaïlande, où subsistent de fortes inégalités, affiche l’un des taux de croissance les plus faibles d’Asie du Sud-Est, qui appelle à des réformes structurelles d’ampleur.
Les milieux économiques s’inquiètent en cas d’instabilité prolongée, qui pourrait impacter le secteur vital du tourisme.
Policiers, barrières et même conteneurs pour bloquer les routes… Le Parlement est quadrillé par un important dispositif de sécurité, a constaté un photographe de l’AFP sur place.
Si le parti perd à nouveau au Parlement, « il y aura un retour de bâton, c’est certain. Il y a déjà quelques manifestations, les soutiens de Move Forward se sentent floués, volés », estime l’analyste politique Thitinan Pongsudhirak.
La dissolution de Future Forward en 2020, l’ancêtre de Move Forward, a conduit à des manifestations massives à Bangkok réclamant plus de démocratie et de transparence.
AFP