La CEDH condamne la Belgique après la plainte d’un demandeur d’asile à la rue

C’est la première fois que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’exprime sur la crise de l’accueil que traverse la Belgique depuis deux ans. Mardi 18 juillet, ses magistrats basés à Strasbourg ont condamné l’Etat belge, pour le non-respect d’une première condamnation rendue en juillet 2022 par le tribunal du travail francophone de Bruxelles. Il y a un an tout juste, cette Cour avait exhorté la Belgique à fournir une « assistance matérielle » et un « hébergement » à un citoyen guinéen, Abdoulaye Camara, à l’origine de la plainte. En vain.

Ce demandeur d’asile a affirmé qu’il vivait « à la rue » depuis plusieurs mois – entre juillet et novembre 2022 – et qu’il n’avait finalement été hébergé qu’à la suite d’une « mesure provisoire » prononcée par la CEDH. D’après l’institution, en agissant comme tel, la Belgique a violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui assure à tous le droit à un procès équitable.

Dans son arrêt, la CEDH affirme être « consciente de la situation difficile à laquelle l’État belge était confronté », et comprend « le choix de priorisation » des autorités, qui ont préféré réservé leurs places d’hébergements aux familles avec enfants plutôt qu’aux demandeurs d’asile ayant le même profil qu’Abdoulaye Camara. Elle estime, en revanche, « qu’elle ne pourrait juger raisonnable le délai » appliqué par les autorités belges pour exécuter la décision de justice « visant à protéger la dignité humaine ».

Elle considère que les autorités belges ont opposé non pas un « simple » retard dans l’application de la décision, mais plutôt « un refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge ».

Gaël, un demandeur d’asile ivoirien, était à la rue depuis deux mois à Bruxelles, en février 2023. Le jeune homme dort actuellement sous une tente, le long d’un canal qui sépare les quartiers du Midi et de Molenbeek. Crédit : InfoMigrants
Gaël, un demandeur d’asile ivoirien, était à la rue depuis deux mois à Bruxelles, en février 2023. Le jeune homme dort actuellement sous une tente, le long d’un canal qui sépare les quartiers du Midi et de Molenbeek. Crédit : InfoMigrants

Depuis deux ans, la Belgique est incapable d’absorber dans son réseau d’accueil la totalité des demandeurs d’asile arrivés sur son territoire. Au plus fort de la crise, en octobre 2022, des femmes et des enfants ont été contraints de dormir dehors. Si Fedasil a fait au mieux pour trouver des places aux familles, les hommes seuls, eux, trouvent régulièrement portes closes. Et se retrouvent, comme Abdoulaye Camara, à la rue.

En 2022, 36 871 demandes d’asile ont été déposées, pour 34 000 places d’hébergement. Entre 2021 et 2022, les demandes de protection internationale dans le pays ont augmenté de 42%, coïncidant notamment avec l’arrivée de près 65 000 ressortissants ukrainiens.

Plus de 1 100 condamnations

Bruxelles est régulièrement épinglé par la justice pour ses manquements vis-à-vis de l’accueil des demandeurs d’asile. Depuis le début de la crise, plus de 1 100 condamnations au total ont été prononcées à l’encontre de l’État fédéral. La CEDH indique par ailleurs traiter actuellement 358 requêtes « similaires » à celle d’Abdoulaye Camara.

La dernière condamnation en date a été prononcée le 29 juin. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a condamné l’État ainsi que Fedasil pour « faute régulière dans leur gestion de la crise de l’asile », après les plaintes de plusieurs organisations de la société civile. Pour sa défense, la Belgique a invoqué « le principe de force majeure », évoquant notamment « un afflux important de migrants, des difficultés à ouvrir de nouveaux centres d’accueil et la guerre en Ukraine », rapporte l’agence de presse Belga.

Cela n’a toutefois pas suffi à convaincre la Cour, pour qui l’argument de force majeure n’était pas recevable, étant donné que l’afflux n’est pas « un élément imprévisible ». Ainsi, la loi sur l’accueil a bien été violée, affirme-t-elle.

En parallèle de cette condamnation, le tribunal du travail de Bruxelles a lui aussi condamné l’État et Fedasil, indique Euractiv. Les deux entités se doivent donc de dédommager, nourrir et loger 80 demandeurs d’asile qui avaient élu domicile depuis avril dans des locaux abandonnés. « Ces derniers n’avaient pas réussi à obtenir une place dans un des centres Fedasil alors qu’ils y avaient légalement droit », rappelle le média.

Le tribunal estime par ailleurs que les mesures provisoires mises en place pour pallier le manque de place dans les centres sont insuffisantes. D’après lui, Fedasil et l’État ne peuvent « déléguer » à des « structures bénévoles, et au gré des possibilités de celles-ci », ainsi qu’à « des organisations humanitaires aux moyens limités », leurs obligations prévues par la loi.

Places supplémentaires et retours forcés

Pour mettre un terme à cette crise qui s’enlise, Bruxelles compte sur sa réforme de la politique d’asile adoptée le 9 mars. Une des solutions préconisées est l’augmentation du nombre de places disponibles pour les demandeurs d’asile : en plus des 8 000 existantes, 2 000 ont été ajoutées. Un chiffre « historique », s’était félicité le Premier ministre Alexander De Croo. Autre élément avancé par la réforme pour réduire le nombre de demandeurs d’asile sur son sol, le doublement, au cours du premier trimestre 2023, du nombre de retours forcés.

À l’échelle européenne, la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Nicole de Moor souhaite par ailleurs s’appuyer sur l’accord conclu début juin entre les Vingt-Sept sur la réforme du système d’asile. « Il faut une répartition plus équitable des demandeurs d’asile dans l’Union européenne, mais surtout une procédure frontalière rapide pour ceux qui n’ont que peu de chances d’obtenir l’asile dans l’UE », a-t-elle insisté.

En attendant que ces mesures s’appliquent sur le terrain, les conséquences psychologiques du non-accueil, l’errance et le l’angoisse qui l’accompagnent, sont visibles chez les exilés. « Au syndrome post traumatique de l’exil s’ajoute le choc de devoir dormir dehors, déplorait en février à InfoMigrants David Vogel, responsable plaidoyer pour MSF Belgique. Quand vous vous retrouvez à dormir à la gare avec un couteau sous votre oreiller, cela laisse des traces. Ces derniers mois, nous avons constaté une augmentation des pensées suicidaires chez les demandeurs d’asile, et même, des passages à l’acte ».

infomigrants

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