Iran : le retour des patrouilles de la police des mœurs « se retournera contre le régime »

Elle avait disparu depuis dix mois, alors que ses officiers étaient jugés responsables de la mort de Mahsa Amini. Mais le 16 juillet, la police iranienne a annoncé indirectement le retour de la police des mœurs. Des vidéos amateurs et des témoignages de nos Observateurs indiquent même que les patrouilles avaient repris avant cette annonce. Mais les femmes qui ont pris l’habitude de sortir non voilées affirment ne pas avoir l’intention de changer leurs habitudes.

Mahsa Amini, 22 ans, avait été arrêtée par une patrouille de la police des mœurs le 13 septembre 2022 parce qu’elle ne portait pas le voile de façon réglementaire. La répression du mouvement “Femme, vie, liberté », né suite au décès de la jeune femme en détention a fait plus de 500 morts, des milliers de blessés et provoqué des dizaines de milliers d’arrestation.
Mais le mouvement a aussi conduit de nombreuses Iraniennes à refuser de porter le hijab islamique en public, au mépris de la loi islamique en vigueur. Sous le feu des critiques, les unités de la police des mœurs avaient cessé de patrouiller pendant que la police régulière se concentrait sur la répression des manifestations.

Le régime semble cependant considérer que le vent a tourné : le 16 juillet, Saeed Montazer Al-Mahdi, porte-parole de la police iranienne, a annoncé que “les patrouilles de police vont, à partir d’aujourd’hui, alerter les personnes portant des vêtements immoraux et, si elles insistent, les dénoncer à la justice » et ce “pour parvenir à une société plus sûre et faire respecter les valeurs familiales”.

Il n’a cependant pas mentionné spécifiquement dans son annonce la police des mœurs (littéralement la “patrouille d’orientation”, Gasht-e-Ershad en persan). Il n’est pas clair si les nouvelles patrouilles sont menées par la police régulière ou par le personnel de cette unité. En janvier, le procureur général avait annoncé que la police des mœurs était dissoute, une information démentie par les médias d’État.

Sur les réseaux sociaux, nombre d’Iraniens rapportent avoir vu la police effectuer des patrouilles de moralité dans les rues ces derniers jours. À l’appui, ils relaient des images montrant des femmes à la tête découverte accostées par des femmes vêtues de tchadors noirs accompagnées de policiers en uniforme. Des véhicules de police sont visibles sur les images, ainsi que des camionnettes blanches banalisées.

La plupart des messages qui accompagnent ces publications indiquent que les patrouilles se contentent d’ordonner aux femmes de mettre un foulard. Certaines vidéos suggèrent cependant que des arrestations ont lieu.

Depuis des mois, les autorités iraniennes utilisent des caméras de surveillance de la circulation pour repérer les conductrices et les passagères sans hijab. Elles se servent des plaques d’immatriculation des véhicules pour identifier les femmes et les convoquer au tribunal, où des amendes leur sont infligées.

“Les jeunes femmes ne craignent ni les arrestations, ni les amendes, ni la pression parentale, ni la privation de leurs droits sociaux”

Niusha [pseudonyme] vit à Téhéran et refuse depuis plus d’un an de porter des vêtements conformes à la loi islamique dans les lieux publics.

Je sors comme je veux, avec un T-shirt et un short. Cependant, j’ai vu des patrouilles de la police des mœurs dans plusieurs endroits de Téhéran, au nord et au centre de la ville, bien que je n’aie pas encore vu ou entendu dire qu’elles avaient arrêté quelqu’un.

J’ai vu des agentes, des femmes, vêtues de tchadors noirs, comme d’habitude. Mais maintenant, ils sont dans des camionnettes blanches, alors que leurs véhicules étaient auparavant blancs et verts [couleurs officielles des véhicules de la police iranienne, NDLR].

Je connais beaucoup de femmes qui ont été convoquées au tribunal. Les agents de police les ont dénoncées parce qu’elles ne portaient pas la tenue islamique dans les lieux publics et elles ont été présentées à un juge. Elles attendent maintenant leur verdict.

“Une de mes amies a mis un voile dans sa voiture par précaution”

Le nombre de SMS menaçants adressés aux conductrices de voitures a augmenté. Les caméras de circulation sont utilisées pour vérifier si les femmes qui sont en voiture portent le voile ou non, et si ce n’est pas le cas, ils envoient un SMS et infligent une amende au propriétaire de la voiture, parfois en confisquant la voiture pendant un certain temps.

Mais franchement, je ne vois pas comment les femmes iraniennes pourraient céder à la pression. La principale force derrière les manifestations sont des jeunes femmes et des adolescentes. Elles ne craignent ni les arrestations, ni les amendes, ni la pression parentale, ni la privation de leurs droits sociaux. Elles n’ont peur de rien.

Mais les familles de la classe moyenne qui doivent aller travailler tous les jours ont besoin de leur voiture, et certaines d’entre elles pourraient plier bagage. Une de mes amies, qui n’a pas porté une seule fois le voile ces derniers mois, en a mis un dans sa voiture par précaution ».

Le 17 juillet, des médias proches du pouvoir ont affirmé qu’un juge de la province de Téhéran avait condamné une femme à travailler dans une morgue de Téhéran parce qu’elle ne portait pas de foulard dans sa voiture.

La République islamique semble donc entreprendre de repousser les revendications des femmes iraniennes avec l’aide des forces de police, mais plusieurs analystes politiques estiment que cette décision revient à se tirer une balle dans le pied pour les autorités iraniennes.

Cette photo publiée sur Twitter le 15 juillet 2023 montre une patrouille de police soupçonnée de moralité sur la place Valiasr de Téhéran.

Cette photo publiée sur Twitter le 15 juillet 2023 montre une patrouille de police soupçonnée de moralité sur la place Valiasr de Téhéran.

« Pour les extrémistes, l’application du hijab est le dernier rempart avant l’effondrement du régime”

Tara [pseudonyme] est analyste politique en Iran. Arrêtée à plusieurs reprises pour avoir critiqué la République islamique, elle fait partie des Iraniennes qui refusent de se plier au code vestimentaire islamique. Selon elle, à deux mois de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini et dans un contexte de manque de légitimité sans précédent du régime, la République islamique jette de l’huile sur le feu après des décennies de crise.

Il y a une lutte entre différentes factions politiques en Iran. Il y a les extrémistes, dont Ahmad-Reza Radan, le nouveau chef de la police iranienne, qui veulent réintroduire la police des mœurs. Ils ont le dessus. Mais il y a d’autres blocs qui, pour une raison ou une autre – peut-être la crainte de nouvelles manifestations de masse – ne sont pas d’accord. Certains sites web de la ligne dure, tels que Tasnim News et Javan [deux médias proches du puissant Corps des gardiens de la révolution islamique, NDLR], ont nié le fait que la police des mœurs se serait redéployée, affirmant que les images amateurs montrant de telles patrouilles sont « fausses ».

Pour les extrémistes, il est essentiel d’imposer le port du hijab islamique dans les rues. C’est une façon de montrer que le régime est toujours aux commandes. C’est le dernier bastion avant l’effondrement du régime. C’est pour cela que des partisans de la ligne dure ont récemment organisé des rassemblements de leurs partisans pour protester contre, selon eux, le manque d’initiative du régime pour faire appliquer la charia dans les espaces publics.

Il ne faut pas oublier que l’on approche de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini. Peut-être pensent-ils qu’avec une telle présence dans les rues, ils peuvent empêcher les gens de marquer ce jour dans les semaines à venir. Mais je pense que cela se retournera contre eux en fin de compte.

observers

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