« 316.V, épitaphe à l’idiot », une satire de la Russie oligarchique inédite en France ; « Beyrouth sentimental », l’histoire d’amour d’un immortel avec le Liban ; « La société de surveillance made in China », l’effroyable surveillance du peuple chinois par le PCC.
316.V, ÉPITAPHE À L’IDIOT PAR EDOuARD LIMONOV, TRAD. Du RUSSE PAR MARIE ROCHE-NAIDENOV.
On la surnomme la « Guerre des 24 heures ». Soit la durée du bref conflit nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie, qui a causé plus de 50 millions de victimes. Dans ce monde dévasté, les ressources sont rares. Une loi, 316.V, impose un strict contrôle de la population. Toute personne âgée de plus de 65 ans est impitoyablement supprimée par le terrible ministère de la Démographie. A New York, un homme se rebelle…
Publiée en Russie en 2005, cette dystopie d’Edouard Limonov n’avait jamais été traduite en français. Voyou à Kharkov, poète underground à Moscou, majordome à New York, écrivain déjanté à Paris, prisonnier politique et opposant de Poutine, Limonov, mort en 2020 à l’âge de 77 ans, incarne les soubresauts et les excès des décennies post-soviétiques.
Satire de la Russie oligarchique (« Le pays vit de l’exportation de matières premières vers les pays européens et d’investissements en dollars aux Etats-Unis et au Japon. Nous parasitons avec succès le labeur des autres », raille un protagoniste russe), ce roman orwellien explore des thèmes prémonitoires : le chantage nucléaire, la gérontocratie des classes dirigeantes ou les dérives autocratiques qui pèsent sur le monde.
« Les années ont balayé et détruit les idéologies, seuls en subsistent les principaux slogans qui décorent les façades des lieux de pouvoir […] C’est le système, la structure, l’Etat qui se sont avérés les plus importants », soupire le héros. Un régime sans idéologie, sinon la captation systématique des pouvoirs et la prédation des ressources. La Russie de Vladimir Poutine, telle qu’Edouard Limonov la voyait déjà en 2005. Charles Haquet
Beyrouth sentimental
BEYROUTH SENTIMENTAL PAR DANiEl RONDEAU
Il fallait bien un immortel pour raconter un pays aux si nombreuses vies. Avec Beyrouth sentimental, l’académicien Daniel Rondeau livre le carnet de bord de sa fabuleuse histoire d’amour avec le Liban, un mythe rencontré dans les ouvrages de la bibliothèque de Chalons pendant son enfance, qui ne le lâchera plus. « Je vis avec les pulsations de Beyrouth dans la tête », attaque l’auteur, grand voyageur, ouvrier à l’usine, journaliste, diplomate et, surtout, amoureux fou du pays du Cèdre.
Sa première virée au Liban, en 1987, résume cette terre rocambolesque : en pleine guerre civile (1975-1990), le Français débarque à bord d’un bateau plein à craquer de personnages loufoques, après avoir volé de Paris à Chypre dans un avion presque vide, avec un seul autre passager à bord.
Malgré les drames, du conflit armé à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, la légèreté ne quitte jamais sa plume.
« D’éphémères combats occupaient souvent les heures creuses de l’aube, malgré les consignes qui imposaient d’économiser les munitions, à cause de l’inflation », raconte le diplomate le long de la Ligne verte qui séparait Beyrouth en deux pendant la guerre.
Par ses brèves et ses anecdotes, Daniel Rondeau nous prend par la main et nous guide dans le dédale de ce pays si subtil, aux histoires folles et au chaos permanent.
Il nous fait rencontrer des présidents, des miliciens, des moines, des princes saoudiens ivres dilapidant des millions au casino, Carlos Ghosn tout juste sorti de sa malle ou encore, Liban oblige, de sacrés poètes. Un guide idéal pour explorer le labyrinthe libanais. Et son infinie mélancolie. Corentin Pennarguear
La société de surveillance made in China
LA SOCIÉTÉ DE SURVEILLANCE MADE IN CHINA PAR ZHANG ZHULIN.
Zhang Zhulin, qui est né et a grandi en Chine, est l’un des rares journalistes d’origine chinoise à exercer en France. Préoccupé par la dérive dictatoriale de la superpuissance asiatique, il explore la façon dont le parti communiste chinois surveille ses ressortissants : dans la rue – via ses caméras de reconnaissance faciale –, sur les réseaux sociaux, et même à l’étranger, afin de réprimer toute voix discordante. Son enquête s’appuie sur une multitude de témoignages.
Il décrit, par exemple, la surprise de cet artiste, convoqué par la police pour avoir fait partie d’un groupe Telegram sur Li Wenliang, médecin lanceur d’alerte lors de l’apparition du Covid-19, qui fut accusé injustement et succomba à la maladie. L’homme découvre que les agents, menaçants, connaissaient les moindres détails de ses conversations.
Zhang Zhulin nous plonge dans le quotidien ubuesque des Chinois, obligés à des contorsions pour rédiger des messages sur WeChat sans utiliser de mots rejetés par le système de contrôle automatique. Des communications qui peuvent disparaître au bout d’une dizaine de minutes si elles abordent un sujet jugé sensible.
L’ouvrage décrit aussi la pression exercée par les Chinois les plus nationalistes sur leurs compatriotes accusés de donner une mauvaise image de leur pays – et donc d’être des « fournisseurs de couteaux » pour l’Occident – s’ils évoquent des problèmes de société. Prévoyant, le régime abreuve les enfants de propagande à l’école et encourage les étudiants à dénoncer les professeurs « déviants ». « Le Parti est partout », martèle le président Xi Jinping.
Et il voit tout. Un effrayant « Big Brother » chinois. Cyrille Pluyette
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