Tom Cruise est là, comme il y a 40 ans, et vous aussi, aussi hermétique aux bavardages sur l’urgence de sauver la planète que pressé d’en arriver à la poursuite en bagnole, analyse notre chroniqueur Christophe Donner.
Dire que Mission : Impossible est un navet serait injuste et offensant pour le divin naveton. Disons plutôt et sans mépris que ce film est à l’art cinématographique ce que le Magnum Classic (bâtonnet de glace vanille enrobée de chocolat au lait croquant) est à la gastronomie. Je les avale ensemble.
C’est un peu délicat, car sous la pression des dents, l’enrobage se brise en plaques instables et de dimensions imprévisibles qui menacent de tomber sur ma chemise ou mon pantalon. Et le chocolat, ça tache. Heureusement, grâce à la petite serviette en papier gracieusement fournie au stand confiserie du multisalle, j’arrive à m’en tirer.
Pour plus de sûreté, avant de croquer dans l’enrobage, je me penche en avant, écartant les jambes, comme pour vomir, ce qui a tendance à gâcher ce moment de transgression, car c’est un péché, je n’arrive pas à l’oublier. Une drogue molle.
Dans l’addiction aux séries, télé comme ciné, ce qui active le piston à l’intérieur de la seringue, c’est la musique du générique. De James Bond à Peaky Blinders, elle produit le même effet que le bruit de l’emballage du Magnum Classic quand vous le déchirez, le froissez, le jetez par terre. Vous croquez, le film commence et la bêtise se répand alors dans vos veines.
Tom Cruise est là, comme il y a quarante ans, et vous aussi, le même, aussi hermétique aux bavardages sur l’urgence de sauver la planète en danger que pressé d’en arriver à la poursuite en bagnole dans les rues étroites de Rome, suivie du saut en parachute avec bagarre entre le petit Tom et le grand méchant soviétique sur le toit d’un train lancé à cent à l’heure à travers le plus sensationnel des paysages de montagne.
Vous sortez de l’épreuve avec un je-ne-sais-quoi de lourd sur l’estomac, remords d’avoir avalé ça alors qu’il aurait suffi d’éplucher deux ou trois navets nouveaux, les plonger cinq minutes dans l’eau bouillante, les égoutter, les saler, les arroser d’huile d’olive, trois gouttes de citron, quelques feuilles d’estragon, et manger ça calmement, chez soi, dans une assiette, avant de partir au cinéma, bourré de vitamines et de bonne conscience pour aller voir un vrai film, par exemple The Wasteland (La Friche industrielle) du primo réalisateur iranien, Ahmad Bahrami.
Il ne sort pas avant le 6 septembre. En attendant, il sera possible de voir The Wastetown (Le Bidonville), du même Bahrami, dès le 2 août.
Est-ce que c’est dans la tradition persane d’inverser l’ordre des choses ? Car The Wastetown a été tourné après The Wasteland.
Un film à voir
Ce serait donner trop d’importance aux décors (une casse de voiture pour The Wastetown et une usine de briques en faillite pour The Wasteland) car les deux films ne sont pas du tout de même nature. Ça n’est pas parce qu’ils sont tous les deux en noir et blanc, avec des personnages misérables coincés dans un huis-clos en périphérie de la ville, qu’ils se ressemblent, qu’ils forment un tout, une suite. Pas même un diptyque.
Pour tout vous dire, je me suis un peu ennuyé à The Wasteland, j’ai même été énervé par la lenteur et la répétitivité. Après avoir vu The Wastetown que j’ai adoré du début à la fin, j’ai imaginé que le distributeur a ressenti la même chose que moi, et qu’il s’est dit que les spectateurs qui verront The Wastetown en premier auront envie de voir The Wasteland, l’inverse aurait au contraire risqué de décourager les spectateurs. Et ça serait très dommage.
Car The Wastetown raconte l’histoire d’une femme qui sort de prison où, après avoir accouché d’un garçon qui lui a été retiré et qu’elle n’a jamais revu, elle est restée dix ans avant que le juge, eu égard au fait qu’elle a tué son mari en état de légitime défense, ne la libère.
Pour savoir où est son fils, elle se rend dans cette casse où travaille le frère de son mari. C’est à lui que la justice a confié l’enfant. Qu’en a-t-il fait ?
Je ne vous dis pas la fin, car c’est l’une des plus espatrouillante qui soit.
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