Sept ans après le crash du vol AH5017 d’Air Algérie au Mali, la compagnie espagnole Swiftair, propriétaire de l’avion, est renvoyée en correctionnelle en France pour « homicides involontaires », accusée de « négligences » dans la formation de ses pilotes.
La compagnie était la propriétaire du McDonnell Douglas MD-83, qu’elle avait loué avec l’équipage à Air Algérie. Le 24 juillet 2014, l’appareil qui effectuait un vol Ouagadougou-Alger s’était écrasé en plein Sahel, dans le nord du Mali, avec à son bord 110 passagers, dont 54 Français, 23 Burkinabés, des Libanais, des Algériens et six membres d’équipage, tous espagnols.
En pleine nuit, alors que l’aéronef traversait une zone intertropicale orageuse, la non-activation du système d’antigivrage avait conduit à la formation de cristaux de glace dans des capteurs de pression, entraînant la décélération automatique des moteurs, sans réaction appropriée de l’équipage et jusqu’au décrochage fatal.
Dans leur ordonnance de 109 pages, datée du 18 mai et consultée lundi par l’AFP, les juges d’instruction du pôle Accidents collectifs du tribunal de Paris estiment toutefois qu' »au-delà des dramatiques absences de réaction directement imputables aux pilotes, divers manquements de la part de la compagnie » ont joué un rôle dans l’accident.
Selon les magistrats, la compagnie doit être jugée pour « homicides involontaires par négligence et imprudence », faute d’avoir assuré « une formation suffisante à l’équipage, ce qui a contribué à sa non perception des conditions de vol extérieures, à sa non appréhension de la détérioration des paramètres moteurs, à sa non utilisation des moyens de protection de l’aéronef et à son manque de réaction adaptée face à l’apparition du décrochage ».
« La formation lacunaire dispensée aux pilotes n’a pas permis à ces derniers de réagir de manière adaptée et d’éviter l’accident », concluent les magistrats.
« Economiser sur la sécurité »
L’ordonnance des juges est conforme aux réquisitions prises par le parquet de Paris le 3 juin 2020, qui relevait déjà les mêmes manquements: le commandant n’avait pas suivi la formation obligatoire à la gestion des ressources de l’équipage (CRM) ; sa copilote et lui, employés à titre saisonnier quelques mois par an, n’avaient pas reçu la formation prévue après une période d’inactivité ; le commandant, qui totalisait plus de 13.000 heures de vol, n’avait pas non plus suivi une des deux formations annuelles de contrôle (OPC) exigées par la réglementation.
Cette séance de simulateur, manquée en 2012, portait justement sur la révision des systèmes d’antigivrage et ce défaut de formation est « en lien certain avec l’accident », concluent les magistrats.
« Je ne peux qu’être atterré par la démonstration sans ambiguïté des juges d’instruction qui révèle de manière évidente que le commandant de bord ne devait pas réglementairement être en vol le jour de l’accident », a réagi auprès de l’AFP Me Sébastien Busy, avocat des associations AH5017-Ensemble et Fenvac, ainsi que de plusieurs familles de victimes.
« Pour économiser quelques séances de formation, on provoque le décès des 116 personnes se trouvant à bord », a-t-il dénoncé. « Le procès obligera les dirigeants de Swiftair à s’expliquer devant une juridiction pénale et surtout devant les familles des victimes sur ses choix et sa volonté de contourner la règlementation pour économiser sur la sécurité, à quel prix ! »
La compagnie madrilène, créée en 1986 et qui possède une flotte d’une cinquantaine d’avions, a contesté toute responsabilité depuis sa mise en examen le 29 juin 2017.
Elle estime que l’accident résulte d’une combinaison de facteurs extérieurs à sa responsabilité, notamment « les lacunes du manuel de vol sur la particularité du givrage par cristaux de glace » ainsi que « les lacunes de Boeing et de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) sur le décrochage qui intervient soudainement sans alarme préalable », résume l’ordonnance.
« Ce renvoi permettra à la société Swiftair de pouvoir enfin être entendue, en ce qu’elle a déjà été l’objet d’une instruction complète et définitive en Espagne, qui s’était clôturée par un non-lieu », fait valoir l’avocate de la compagnie Me Rachel Lindon, interrogée par l’AFP. Un argument contesté par les magistrats français qui considèrent le non-lieu espagnol « provisoire » et non définitif.
Source: msn.com