Globetrotteuse née en Normandie, Tallisker est une chanteuse libre et cosmopolite qui écrit ses textes à partir de souvenirs de voyages. Sa musique raconte l’Écosse, les États-Unis ou encore l’Iran, pays coup de cœur, avec lequel elle garde des liens forts.
Dans une salle de concert parisienne, un air enjoué de flûte orientale résonne. La foule suit son rythme en roulant les mains, et en secouant les épaules. De nombreux Iraniens sont parmi eux. Et pour cause : c’est une soirée en soutien aux femmes iraniennes, intitulée « Paris Azadi » – liberté en persan. Mais c’est en français que la chanteuse Tallisker entame le couplet suivant : « On me dit de faire comme les autres, c’est ma vie, ce n’est pas la vôtre. C’est toujours le zéphyr qui gagne, dans mon cœur de cocagne. »
Ces quelques rimes résument bien la pensée de cette petite brune aux yeux bleus, et à l’énergie électrique. Vagabonde, elle raconte dans ses chansons des bouts de ses voyages. Mais d’où vient-elle ? « Elle est peut-être Iranienne », croient deviner des spectateurs, l’imaginant chanter ses origines. Il n’en est rien.
De Rouen au reste du monde
Éléonore, de son vrai nom, vient de Déville-les-Rouen, en Normandie. Quelques jours après son concert, nous la retrouvons dans son appartement actuel, à Belleville. Pour y accéder, il faut passer par une cour intérieure lumineuse bercée par les palmiers – comme une oasis en plein Paris. L’artiste rentre de Californie. Peu avant, elle était au Japon. De chaque voyage, elle tente de tirer une vertu, et de l’inspiration pour ses chansons.
D’où tire-t-elle sa fibre si cosmopolite ? Peut-être déjà un peu dans le sang, avec une famille d’origine juive ashkénaze du côté de son père, de Grèce et d’Italie de celui de sa mère.
Dans sa ville d’origine, elle passe aussi une enfance dans un milieu multiculturel, avec beaucoup d’amis originaires du Maghreb. « Là-bas, il n’y avait… pas grand-chose ! Juste une route, un gymnase des années 70… Mais il y avait surtout une école municipale, où j’ai commencé à apprendre le violoncelle à l’âge de 8 ans », se souvient-elle. Un instrument qu’elle choisit en pensant au célèbre compositeur Ennio Morricone, auteur de la bande-son de son film préféré, Cinema Paradiso.
Au lycée, elle se met à la guitare. Mais à l’époque, elle ne se voit pas chanteuse. Elle s’imagine plutôt journaliste. « J’avais une âme d’exploratrice, j’étais curieuse de tout, je voulais voyager, rencontrer des gens, et avoir des horaires pas comme les autres. »
Après deux ans de khâgne à Paris, elle rate les concours d’écoles de journalisme. À 19 ans, elle est dégoûtée des études, et part seule au Népal pour travailler dans un orphelinat. « Là-bas, j’ai vraiment pris conscience de la bulle judéo-chrétienne dans laquelle je vivais. J’ai appris des modes de vie différents, le bouddhisme et l’idée du karma, ça m’a beaucoup inspirée. » De retour en France, elle reprend sa scolarité pour devenir professeur d’anglais, avec une idée dans un coin de la tête, celle d’enseigner aux États-Unis. Mais elle trouve l’agrégation « horrible » : « Je me suis rendu compte que j’allais faire un métier dans la connaissance, alors que j’ai besoin d’être dans la création. »
Alors qu’elle prend son élan musical après ce déclic, un drame survient dans sa vie : le décès brutal de sa petite sœur. Il la laisse désemparée longtemps : « Dès que quelqu’un ne me répondait pas, j’avais l’impression qu’il était mort. »
Tallisker, son nom d’artiste, naît en Écosse. Il vient de la baie de Talisker, un endroit qui semble être « le bout du monde », où elle se sent complètement déconnectée de la réalité.
Éléonore déménage à Glasgow, où elle se reconstruit. En souvenir de ses deux années dans le pays, elle sortira la chanson « Blind ». Mais son vrai premier succès, c’est un remix. Dans la capitale écossaise, elle enchaîne les DJ sets. Pendant ses recherches musicales, elle tombe sur la chanson « Gol-e Yakh » (fleur de glace) de la star iranienne des années 1970 Kourosh Yaghmaei.
Elle en fait un remix qu’elle poste sur Soundcloud, et qui devient viral à Téhéran. Enthousiaste, elle s’intéresse de plus en plus à la culture iranienne. De fil en aiguille, elle imagine son premier album « Contrepoints », construit en triangle amoureux entre Paris, New York et Téhéran, inspirée par les fortes différences entre ces trois villes. La chanteuse finit par prendre ses billets pour l’Iran, qui devient un coup de cœur. Elle ira deux fois.
« Des champs de roses à perte de vue »
« J’ai un souvenir : je sors de l’aéroport de Chiraz. Je pose mon sac à dos par terre, il y a des palmiers, il fait 35 degrés, j’entends le brouhaha de paroles de persan. Plus loin, il y a des champs de roses à perte de vue. Les tourniquets qui les arrosent font des petites poussières d’eau, le soleil qui se couche se reflète dessus », décrit Éléonore. Ces roses, elle les raconte dans Cocagne, morceau de son album.
Un autre titre, Azadi, parle plutôt du Téhéran « underground », et des fêtes privées auxquelles elle a assisté, loin des règles imposées par le régime. Dans son album, elle collabore avec des artistes iraniens rencontrés sur l’application Couchsurfing.
Aujourd’hui, la voyageuse garde toujours un lien fort avec ce pays qui l’a tant marquée. Elle vient de sortir Libre, un morceau en français inspiré du titre de l’artiste iranien Faramarz Aslani Age ye rooz (Si un jour), et enchaîne les dates de concerts.
À 35 ans, la question de la maternité est très présente dans sa tête. L’artiste est en couple avec un jazzman, qui comprend bien son emploi du temps. « Ma mère me dit tout le temps : « C’est le bon ! Qu’est-ce que tu attends ? » », rit-elle. Sa famille a souvent été stressée par son parcours de vie. « Je me rappelle d’emails inquiets de mon père quand j’avais 25 ans, il me disait qu’il fallait que je trouve un travail…
Aujourd’hui, je pense que mes proches sont rassurés de voir que ce que je fais marche. C’est un peu un running gag, parce qu’ils ne savent jamais où je suis. Mais ils sont très fiers de moi, et ils me le disent. »
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