Deux chercheurs français ayant analysé des données GPS enregistrées 48 heures avant des séismes majeurs dans le monde ont mis en évidence un phénomène précurseur, détectable deux heures avant le choc. Ce qui laisse entrevoir la possibilité de mettre en place à l’avenir un système d’alerte qui permettait de sauver beaucoup de vies.
Le 6 février 2023, la Turquie et la Syrie ont été frappés par deux séismes successifs de magnitude 7,8 et 7,5 sur l’échelle de Richter, faisant plus de 50 000 victimes et détruisant des milliers de bâtiments. Ces tremblements de terre, qui comptent parmi les plus meurtriers du 21e siècle, auraient-ils pu être prédits ?
La prévision de séismes est un objectif recherché par un grand nombre de scientifiques sans qu’aucune solution suffisamment précise ait émergé jusqu’à présent. En effet, pour être efficace une prévision doit définir clairement l’heure, le lieu et l’ampleur d’un choc imminent, de manière à pouvoir prendre des mesures de protection de la population.
Pour cela, il faut identifier un phénomène précurseur observable, activités sismiques ou déplacements de terrain. Mais contrairement à certaines éruptions volcaniques, aucun ensemble clair de signaux géologiques n’a jusqu’à présent été identifié avant les grands tremblements de terre.
Une phase de glissement accéléré entre des plaques tectoniques
D’où l’intérêt suscité par une nouvelle étude publiée dans Science par deux chercheurs de l’Université Côte d’Azur à Nice, Quentin Bletery et Jean-Mathieu Nocquet. Ils proposent une méthode reposant sur la surveillance de données GPS afin d’identifier un glissement accéléré entre des plaques tectoniques, ce qui permettrait de donner l’alerte deux heures avant qu’un séisme majeur ne se produise.
Leurs conclusions s’appuient sur l’analyse de 3026 séries temporelles GPS à haut débit – soit une mesure toutes les 5 minutes – et d’une précision centimétrique enregistrées durant les 48 heures précédant 90 tremblements de terre d’une magnitude égale ou supérieure à 7.
« Notre approche révèle une accélération exponentielle du glissement pendant environ deux heures avant les ruptures, ce qui suggère que les grands tremblements de terre commencent par une phase de glissement précurseur, que des améliorations de la précision et de la densité des mesures pourraient permettre de détecter plus efficacement et éventuellement de surveiller », écrivent les sismologues niçois.
Les niveaux de bruit des capteurs actuels insuffisants
Dans un article d’analyse publié conjointement dans Science, le géologue Roland Bürgmann, de l’Université de Berkeley, en Californie (États-Unis), remarque que pour chaque tremblement de terre étudié, le signal demeure souvent subtil. L’accélération du déplacement horizontal des stations géodésiques proches dans les deux heures précédant les secousses principales ne concernait qu’environ la moitié des séismes étudiés.
« Bien que les résultats de Bletery et Nocquet suggèrent qu’il peut effectivement y avoir une phase précurseur de plusieurs heures, il n’est pas clair que l’accélération de glissements lents soit associée sans équivoque à de forts séismes, ni qu’elle puisse jamais être mesurée avec la précision nécessaire pour fournir un avertissement utile », souligne-t-il.
Les deux chercheurs français en conviennent : les niveaux de bruit des capteurs GPS actuels ne permettent une détection que sur un grand ensemble de données. Seuls des capteurs de géo-positionnement capables de mesurer des mouvements d’un dixième de millimètre permettraient d’envisager un système d’alerte efficace.
Pour Roland Bürgmann, il faut maintenant évaluer la fréquence à laquelle des épisodes de glissement lent similaires ne débouchent sur aucun tremblement de terre. Des « faux départs », en quelque sorte. Autre bémol avancé par le chercheur californien : « La plupart des grands séismes se produisent dans des zones de subduction, localisées majoritairement dans les océans et donc assez éloignées des réseaux de surveillance GPS.
L’amélioration de la capacité à détecter correctement les événements de glissement lent en mer nécessitera l’installation de systèmes de mesure géodésique très précis et à haut débit sur le fond marin. » Quoi qu’il en soit, un nouveau champ de recherche prometteur vient de s’ouvrir.
AFP